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Lois : L’application d’un texte ne doit pas aboutir à une absurdité

Par Alfredo Allegra | LEXTIMES.FR |
Barreau de Marseille Barreau de Marseille

Si toute recherche de la volonté du législateur par voie d’interprétation est interdite au juge lorsque le sens de la loi n’est « ni obscur ni ambigu, et doit par conséquent être tenu pour certain », rappelle la Cour de cassation, il y a exception si l’application du texte aboutit à « quelque absurdité » à propos d’une éventuelle élection du bâtonnier au « scrutin secret binominal majoritaire à deux tours ».

Il convient de rappeler que l’article 8 de l’ordonnance n° 2015-949 relative à l’égal accès des femmes et des hommes au sein des ordres professionnels a modifié l’article 15 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques pour que les membres des conseils de l’ordre soient élus au « scrutin secret binominal majoritaire à deux tours » et le quatrième alinéa du même article prévoyant que le bâtonnier « est élu pour deux dans les mêmes conditions », un avocat du barreau de Marseille avait formé un recours en annulation de l’élection, au second tour de scrutin, le 9 novembre 2015, du bâtonnier élu qui ne s’était pas présenté en binôme.

Pour rejeter la requête en annulation, les juges du fond1 avaient estimé qu’il serait « au demeurant impossible de prévoir un scrutin binominal pour l’élection d’une seule personne, puisque comme le rappelle l’article 8 de l’ordonnance, le bâtonnier peut être assisté d’un vice-bâtonnier, mais qu’il n’a pas l’obligation de se présenter avec un vice-bâtonnier ». « L’idée d’un bâtonnier bicéphale évoquée par Me Philippe […] dans ses conclusions n’apparaît en aucun cas, poursuivent les magistrats de la cour d’Aix, ni dans les termes de l’article 15, ni en lecture des travaux préparatoires du groupe de travail parité du CNB ».

Persuadé mordicus qu’ « élu dans les mêmes conditions » impliquait nécessairement que le bâtonnier ne pouvait être que bicéphale, Me Philippe s’est pourvu en cassation et c’est donc par la première chambre civile de la Cour de cassation2 que surgit finalement la lumière brute et intense. Et tous les juristes ne pourront que s'en féliciter : il n’y a pas lieu à appliquer un texte qui aboutit à « quelque absurdité » après avoir sagacement relevé que « si toute recherche de la volonté du législateur par voie d’interprétation est interdite au juge, lorsque le sens de la loi, tel qu’il résulte de sa rédaction, n’est ni obscur ni ambigu, et doit par conséquent être tenu pour certain, il y a exception si l’application du texte aboutit à quelque absurdité ».

Le scrutin binominal majoritaire à deux tours est « manifestement inadapté à l’élection du bâtonnier », la juridiction suprême approuve la cour d’appel qui avait donc décidé que les dispositions de l’article 6 du décret du 27 novembre 1991 restent applicables à l’organisation de ce vote, la mention « dans les mêmes conditions », énoncée par l’article 8 de l’ordonnance du 31 juillet 2015 précitée se rapportant seulement « à la désignation des électeurs, qui sont les avocats inscrits au barreau et les avocats honoraires, dès lors que l’exigence d’un tel scrutin, destinée à assurer une représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des instances ordinales, n’a de sens que pour le renouvellement des membres du conseil de l’ordre ».

Il en coûtera 4 000 euros au titre des frais irrépétibles à cet avocat marseillais pour ne pas avoir saisi l’absurdité de son recours.

 

  • 1Aix-en-Provence, 25 févr. 2016, n° 2016/03D, Me Philippe Z c/ bâtonnier élu Geneviève Maillet et Ordre des avocats au barreau de Marseille.
  • 2Civ. 1re, 11 mai 2017, n° 16-15549 et 16-60115, Me Philippe Z c/ bâtonnier élu Geneviève Maillet et Ordre des avocats au barreau de Marseille.

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