Aller au contenu principal

Gaz : Les prix réglementés en question

Par Alfredo Allegra | LEXTIMES.FR |
Gaz naturel. Gaz naturel.

La sécurité de l’approvisionnement et la cohésion territoriale sont des objectifs d’intérêt général qui peuvent justifier une intervention étatique sur la fixation du prix du gaz, a jugé la Cour de justice de l'Union européenne mais une réglementation permanente des tarifs à l’échelon national, imposée uniquement à certaines entreprises du secteur du gaz naturel, pourrait s’avérer « discriminatoire et aller au-delà du nécessaire ».

En France, il est imposé à l’opérateur historique de gaz naturel, GDF Suez devenu Engie, ainsi qu’à des entreprises locales de distribution et à Total Energie Gaz, de proposer le gaz naturel à des tarifs réglementés, c’est-à-dire maximaux, pour certaines catégories de consommateurs1 . En parallèle, l’ensemble des fournisseurs de gaz naturel, y compris les entreprises qui doivent fournir du gaz naturel à des tarifs réglementés, ont la possibilité de proposer la fourniture de gaz naturel à des prix inférieurs aux tarifs réglementés.

L’Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (Anode) conteste l’intervention du gouvernement sur le prix de fourniture du gaz naturel et considère que la réglementation des tarifs du gaz naturel en France méconnaît les objectifs de la directive sur le marché intérieur du gaz naturel2 , telle qu’interprétée par la Cour3 . La réglementation des tarifs entraverait, selon l'Anode, la réalisation d’un marché du gaz naturel concurrentiel, d’autant plus que les conditions posées par l’arrêt de 2010 ne seraient pas remplies.

Saisi du litige, le Conseil d’État4 a demandé à la Cour de justice si la réglementation des tarifs du gaz naturel en France constitue une telle entrave et, dans l’affirmative, si cette entrave est justifiée.

La directive a pour objectif, rappelle la Cour5 , la libre fixation du prix de fourniture du gaz naturel par le jeu de l’offre et de la demande. Or, les tarifs réglementés ne sont pas le résultat d’une libre détermination découlant du jeu de l’offre et de la demande sur le marché mais résultent d’une détermination effectuée sur la base de critères imposés par les autorités publiques et qui se situe donc en dehors de la dynamique des forces du marché.

La Cour en conclut qu’une telle réglementation constitue, par sa nature même, une entrave à la réalisation d’un marché du gaz naturel concurrentiel, cette entrave subsistant même si des offres concurrentes peuvent être proposées par les fournisseurs à des prix inférieurs aux tarifs réglementés mais cette réglementation des tarifs du gaz naturel en France peut-elle être justifiée au regard des principes dégagés dans l’arrêt Federutility de 2010, s'interroge la Cour.

Selon l'arrêt précité, les États membres ne peuvent intervenir sur la fixation du prix de fourniture du gaz naturel au consommateur final que moyennant trois conditions cumulatives, l'intervention doit poursuivre un intérêt économique général, être proportionnée et prévoir des obligations de service public clairement définies, transparentes, non discriminatoires et contrôlables tout en garantissant un égal accès des entreprises de gaz de l’Union aux consommateurs.

S’agissant de l’objectif d’intérêt général, les autorités françaises invoquent la nécessité d’assurer la sécurité d’approvisionnement et la cohésion territoriale. La Cour reconnaît que les États membres peuvent, dans l’intérêt économique général, imposer aux entreprises intervenant dans le secteur du gaz « des obligations de service public portant sur le prix de fourniture du gaz naturel afin d’assurer la sécurité de l’approvisionnement et la cohésion territoriale ».

Quant à la proportionnalité de la réglementation en cause, la Cour estime qu'il revient au Conseil d’État d’apprécier si une telle réglementation est nécessaire pour réaliser les objectifs d’intérêt général invoqués par les autorités. En particulier, la Cour doute que l’objectif de la cohésion territoriale puisse être poursuivi par l’imposition de tarifs réglementés sur tout le territoire national, notamment s’il est possible d’appliquer des tarifs réglementés à certaines catégories de clients se trouvant dans des zones reculées et identifiées selon des critères géographiques objectifs. De même, le fait que la réglementation des tarifs en cause présente un caractère permanent pourrait ne pas satisfaire au critère de proportionnalité. Le Conseil d’État devra également vérifier, indique la Cour, si la méthode d’intervention sur les prix ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs d’intérêt économique général poursuivis et s’il n’y a pas de mesures appropriées moins contraignantes. Enfin, il y a lieu de déterminer si une telle réglementation, qui semble bénéficier de manière identique aux clients domestiques et aux petites et moyennes entreprises, respecte l’exigence de proportionnalité en ce qui concerne le champ d’application personnel de la mesure, au regard des objectifs d’intérêt général poursuivis.

Et s’agissant de la troisième et dernière condition posée par l’arrêt Federutility, la Cour relève que des obligations de service public, telles que l’obligation de fournir le gaz à certains tarifs, doivent être imposées de manière générale aux entreprises du secteur du gaz et non à certaines entreprises en particulier. En outre, le système de désignation des entreprises chargées d’obligations de service public ne peut exclure a priori aucune des entreprises opérant dans le secteur de la distribution du gaz.

 

  • 1Il s’agit des consommateurs finals de gaz naturel qui consomment moins de 30 000 kilowattheures par an (ménages et petites et moyennes entreprises essentiellement). En 2014, 67,5 % de tous les sites résidentiels et 40,2 % de tous les sites non résidentiels (comme les PME) étaient desservis aux tarifs réglementés.
  • 2Directive 2009/73/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 2003/55/CE, J.O.UE, L 211, p. 94.
  • 3CJUE, 20 avr. 2010, n° C-265/08, Federutility et a.
  • 4CE, 9e et 10e SSR, 15 déc. 2014, n° 370321, Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (Anode) c/ premier ministre, ministre de l'économie, commission de régulation de l'énergie et Engie (ex-GDF Suez).
  • 5CJUE, 7e ch., 7 sept. 2016, n° C-121/15, Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (Anode) c/ premier ministre, ministre de l'économie, commission de régulation de l'énergie et Engie (ex-GDF Suez).

Ajouter un commentaire