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Société : Le mariage pour tous validé par le Conseil constitutionnel

Par Alfredo Allegra | LEXTIMES.FR |

La loi ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de personnes de même sexe a été déclarée hier conforme à la Constitution et aussitôt promulguée et publiée au Journal officiel.

Délibéré en conseil des ministres le 7 novembre 2012, le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, dit « mariage pour tous », a été adopté en première lecture1 par l'Assemblée nationale le 12 février 2013 et le 12 avril par le Sénat2  et, en seconde lecture, dans les mêmes termes, le 23 avril par l’assemblée nationale3 .

La Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) « regrette », pour sa part, que le gouvernement ne l'ait pas saisie de ce projet de loi qui entre « naturellement dans ses missions », elle s'est donc« autosaisie » et selon son avis rendu le 24 janvier (à la majorité de 31 voix, 7 contre et 6 abstentions), il ressort de ses travaux que « l'ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe [et] l'accession à la filiation adoptive procèdent d'une lutte contre les discriminations et marquent une avancée en matière d'égalité et de reconnaissance sociale des personnes homosexuelles et des couples de personnes de même sexe ». Elle recommande toutefois qu'une réforme de l'adoption plénière soit engagée. 

La loi4  comporte 22 articles répartis en cinq chapitres, le premier relatif au mariage (art. 1er à 6), le second à la filiation adoptive et au maintien des liens avec l’enfant (art. 7 à 9), le troisième au nom de famille (articles 10 à 12), le quatrième à des dispositions de coordination (art. 13 à 20) et le cinquième et dernier chapitre à des dispositions diverses, transitoires et finales (art. 21 et 22).

Le Conseil constitutionnel a été saisi par plus de soixante députés5  et plus de soixante sénateurs6  de l’opposition le 23 avril 2013 qui contestaient la procédure d’adoption de la loi, dans son ensemble, ainsi que la procédure d’adoption des articles 14, 16, 17, 18, 19 et 22. Sur le fond, c’étaient les articles 1er, 7, 8, 11, 12, 13, 14, 19, 21 et 22 qui étaient contestés.

Dans sa décision,7 le Conseil constitutionnel écarte les griefs de procédure (I) et déclare conformes (II) à la Constitution les articles contestés tout en formulant une réserve d’interprétation quant aux articles L. 225-2 et L. 225-17 du code de l’action sociale et des familles relatifs à l’agrément en vue de l’adoption.

I – Sur la procédure d’adoption de la loi

Députés et sénateurs critiquaient la procédure d’adoption de la loi aux motifs que l’étude d’impact était insuffisante et ne permettait pas de répondre aux exigences de la loi organique du 15 avril 2009 prise en application de l’article 39 de la Constitution (A) ainsi que la mise en œuvre de la procédure dite du temps législatif programmé prévue par l’article 49 du règlement de l’Assemblée nationale (B). Les seuls sénateurs invoquaient également des motifs de procédure à l’encontre des articles 16, 17 et 18 de la loi (C).

A. Sur l’étude d’impact

À l’occasion de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, ont été insérés dans l’article 39 de la Constitution deux alinéas 3 et 4 selon lesquels : « La présentation des projets de loi déposés devant l’Assemblée nationale ou le Sénat répond aux conditions fixées par une loi organique./ Les projets de loi ne peuvent être inscrits à l’ordre du jour si la Conférence des présidents de la première assemblée saisie constate que les règles fixées par la loi organique sont méconnues. En cas de désaccord entre la Conférence des présidents et le Gouvernement, le président de l’assemblée intéressée ou le Premier ministre peut saisir le Conseil constitutionnel qui statue dans un délai de huit jours ».

La loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution a, dans son article 8, fait application de ces dispositions constitutionnelles en disposant, notamment, que les documents rendant compte de cette étude d’impact « sont déposés sur le bureau de la première assemblée saisie en même temps que les projets de loi auxquels ils se rapportent » et « définissent les objectifs poursuivis par le projet de loi, recensent les options possibles en dehors de l’intervention de règles de droit nouvelles et exposent les motifs du recours à une nouvelle législation ». L’article 8 définit également, sous forme d’énumération, les différents éléments que l’étude d’impact doit comporter : articulation avec le droit européen en vigueur ou en cours d’élaboration, état d’application du droit, modalités d’application dans le temps des dispositions envisagées, évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales… L’article 9 dispose, quant à lui, que « la Conférence des présidents de l’assemblée sur le bureau de laquelle le projet de loi a été déposé dispose d’un délai de dix jours suivant le dépôt pour constater que les règles fixées par le présent chapitre sont méconnues ».

Dans sa décision8  relative à cette loi organique, le Conseil avait formulé deux réserves, l’une pour préciser que l’exigence de procéder à une étude correspondant à chacune des rubriques énumérées par l’article 8 ne s’imposait que pour celles de ces rubriques qui apparaissaient pertinentes au regard de l’objet de la loi, l’autre pour indiquer que, dans le cas où un projet de loi serait déposé sans être accompagné d’une étude d’impact satisfaisant en totalité ou en partie aux prescriptions de l’article 8, il apprécierait le respect de ces dispositions au regard des exigences de la continuité de la vie de la Nation.

Par la suite, le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de préciser que les dispositions organiques relatives aux études d’impact n’interdisent pas qu’une étude d’impact soit commune à plusieurs projets de loi ayant un objet analogue9 , que l’étude d’impact ne s’impose qu’à l’occasion du dépôt d’un projet de loi et non lors de la présentation d’un amendement10 .

Dans les saisines des députés et des sénateurs, il était soutenu que l’étude d’impact jointe au projet de loi déposé sur le bureau de l’assemblée nationale le 7 novembre 2012 était incomplète quant aux conséquences sociales, financières et juridiques, et d’avoir omis de présenter l’état de la législation comparée et la compatibilité du projet de loi avec les conventions internationales conclues par la France pour en conclure qu’il avait été « porté atteinte à l’exigence de clarté des débats parlementaires ».

Après avoir rappelé que la conférence des présidents de l’assemblée saisie en premier lieu du projet de loi n’avait pas été saisie de la question de l’absence de respect des exigences de la loi organique relatives au contenu des études d’impact, le Conseil a relevé que dans chaque assemblée, les commissions parlementaires avaient procédé à de nombreuses auditions pour juger, à l’instar de sa décision du 16 mai 201311 , qu’au regard du contenu de l’étude d’impact, le grief tiré de la méconnaissance de l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 précitée devait être écarté et que n’étaient pas, non plus, méconnues « les exigences constitutionnelles de clarté et de sincérité des débats parlementaires » (cons.4).

B. Sur la fixation des temps de parole à l’assemblée nationale

Au titre de la contestation de la procédure parlementaire, il était également soulevé, à l’instar de la saisine sur la loi portant réforme des retraites12  , la mise en œuvre du « temps législatif programmé », procédure que seule l’assemblée nationale a inscrite dans son règlement et qui permet à la conférence des présidents de cette assemblée de fixer la durée maximale de l’examen de l’ensemble d’un texte, ce qui implique de déterminer à l’avance le temps global de parole de chaque groupe et, le cas échéant, si ce temps de parole est épuisé, d’en faire respecter le terme.

En l’espèce, le grief des députés portait sur le fait que le « temps législatif programmé », en deuxième lecture à l’assemblée nationale, aurait été insuffisant pour assurer la clarté et la sincérité des débats, et qu’il aurait plus particulièrement été fixé sans qu’il soit fait droit à la demande du président du groupe de l’Union pour un mouvement populaire (UMP) d’obtenir « un allongement exceptionnel de cette durée » conformément à ce que prévoit l’alinéa 10 de l’article 49 du règlement de l’assemblée nationale, estimant que cette méconnaissance avait également pour effet de rendre la procédure d’examen du projet de loi en deuxième lecture à l’assemblée nationale contraire à l’article 51-1 de la Constitution selon lequel « le règlement de chaque assemblée détermine les droits des groupes parlementaires constitués en son sein. Il reconnaît des droits spécifiques aux groupes d’opposition de l’assemblée intéressée ainsi qu’aux groupes minoritaires ».

Sur la durée fixée par la conférence des présidents dans le cadre du « temps législatif programmé », le Conseil constitutionnel rappelle qu’il n’exerce qu’un contrôle de l’« erreur manifeste », celle qui conduirait la conférence des présidents à fixer « une durée si insuffisante » qu’elle priverait d’effet « les exigences de clarté et de sincérité des débats parlementaires ».

Le juge constitutionnel s’était déjà prononcé sur l’application, en première lecture, du temps législatif programmé lors de la procédure d’adoption du projet de loi de réforme des retraites13  et considéré que la fixation à 30 heures d’un temps législatif programmé initial, en première lecture du projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité « n’était pas manifestement disproportionnée au regard des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire »14 .

En deuxième lecture à l’assemblée nationale, la durée du temps législatif programmé a été fixée à 25 heures et le Conseil relève que le président d’un groupe d’opposition a formulé « une demande d’allongement exceptionnel » en conférence des présidents et que cette demande a été satisfaite par la fixation du temps législatif programmé à une durée de 25 heures et le grief tiré de« l’absence d’octroi de l’allongement exceptionnel du temps législatif programmé doit être écarté » (cons. 6) dans la mesure où cette durée de 25 heures pour l’examen en deuxième lecture n’a porté atteinte « ni à l’article 51-1 de la Constitution ni aux exigences de clarté et de sincérité des débats parlementaires » (cons. 7).

C. Sur la procédure d’adoption des articles 16, 17 et 18 de la loi déférée

Les sénateurs contestaient aussi l’adoption de plusieurs articles, dits « cavaliers législatifs », qui n’auraient présenté aucun lien avec le texte initial du projet de loi et auraient donc été adoptés selon une procédure contraire au premier alinéa de l’article 45 de la Constitution, soutenant que ces articles auraient dû trouver place en loi de finances ou en loi de financement de la sécurité sociale.

Le Conseil constitutionnel a en effet une jurisprudence qui le conduit à examiner le lien des dispositions introduites par voie d’amendement avec celles figurant dans le texte initialement déposé sur le bureau d’une assemblée et à ce titre, il censure systématiquement les dispositions introduites en première lecture qui « ne présentent pas de lien, même indirect, avec celles qui figuraient » dans le texte initial. À l’inverse, il considère que la procédure d’adoption d’articles insérés par amendements est conforme à la Constitution dès lors qu’ils présentent un lien avec le texte initial.

Au cas particulier, force est de constater, relèvent les Sages, que les articles 16 et 18 figuraient dans le texte du projet de loi initial (cons. 10) et pour ce qui est de l’article 17, qui avait pour sa part effectivement été inséré par amendement en première lecture à l’Assemblée nationale, il prévoit un dispositif en cas d’adoption par des travailleurs non salariés agricoles sans considération du sexe des bénéficiaires, à l’instar de ce que prévoyait l’article 14 du projet de loi déposé sur le bureau de l’assemblée nationale pour les salariés relevant du régime général, pour en conclure que l’article 17 présentait un lien avec le projet de loi initial (cons. 11).

II – Sur la constitutionnalité de la loi ouvrant le mariage et l'adoption aux couples de personnes de même sexe fond

A. Sur l'ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe

Le cœur de la loi déférée est son article premier qui a pour objet d’insérer dans le code civil un article 143 ainsi rédigé : « Le mariage est contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe ». La réforme vise, au nom du principe d’égalité, à permettre aux couples homosexuels de se marier et de bénéficier ainsi du régime juridique lié au mariage.

Jusqu’à cette réforme, les couples de personnes de même sexe soumises au droit civil français pouvaient vivre sous le régime du concubinage ou du PACS. Le mariage permettra aux couples de personnes de même sexe, constate le Conseil, de s’engager dans un régime juridique qui assure la protection de la famille, lequel comprend des dispositions qui fixent les obligations personnelles et patrimoniales attachées au statut matrimonial et des dispositions qui assurent la protection du conjoint survivant mais, aussi, la protection des intérêts de chaque conjoint en cas de divorce.

1° La jurisprudence du Conseil constitutionnel sur le mariage

La seule Constitution française ayant fait mention du mariage est celle du 3 septembre 1791 dont l’article 7 disposait que « la loi ne considère le mariage que comme un contrat civil ». Depuis lors, le mot « mariage » n’est pas réapparu dans les constitutions françaises, quels que soient les régimes, monarchique, impérial ou républicain. Seules des dispositions particulières ont existé relatives au mariage de l’empereur ou des membres de la famille impériale (Constitution du 28 Floréal an XII – 18 mai 1804, Senatus consultes du 7 novembre 1852 et du 21 mai 1870) mais le Conseil a eu l’occasion de rendre plusieurs décisions pour fixer sa jurisprudence relative à la protection constitutionnelle de la liberté de se marier.

La liberté du mariage est en effet reconnue comme une composante de la liberté personnelle et le juge constitutionnel a jugé que son respect « s’oppose à ce que le caractère irrégulier du séjour d’un étranger fasse obstacle, par lui-même, au mariage de l’intéressé »15  mais qu’il « ne fait pas obstacle à ce que le législateur prenne des mesures de prévention ou de lutte contre les mariages contractés à des fins étrangères à l’union matrimoniale »16 .

En 2010, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) lui demandant si l’interdiction du mariage entre personnes de même sexe était contraire à la Constitution, le Conseil constitutionnel a écarté le grief tiré de l’atteinte à la liberté du mariage après avoir écarté ceux tirés du droit de mener une vie familiale normale et de l’égalité devant la loi17 .

2° La conformité à la Constitution de l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe

L’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe était contestée par les députés et sénateurs de l’opposition, tant pour elle-même que pour ses effets sur la filiation et l’adoption. Dans un souci de lisibilité, le Conseil constitutionnel a distingué les griefs visant spécifiquement le mariage (qui étaient uniquement dirigés contre l’article 1er) et ceux qui visaient ses effets sur l’adoption (qui étaient dirigés non seulement contre l’article 1er, mais aussi contre les articles 7, 8 et 13 de la loi).

S’agissant de l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe, il était invoqué l’incompétence du législateur, la méconnaissance d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel le mariage est l’union d’un homme et d’une femme, l’atteinte aux principes du droit international public et l’atteinte à la liberté du mariage et au droit au maintien des conventions légalement conclues. 

a) L’absence de principe fondamental reconnu par les lois de la République

Les saisines, reprenant certains des arguments avancés au cours des débats parlementaires et par certains juristes, invoquaient un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR) relatif à l’altérité sexuelle dans le mariage. Ainsi, au Sénat, M. Patrice Gélard (photo G, UMP, Seine-Maritime, 74 ans, professeur d'université) avançait : « Personnellement je suis convaincu que l’altérité dans le mariage fait partie des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » (Sénat, débats, 5 avr. 2013). De même, M. Bruno Retailleau (photo D, UMP, Vendée, 52 ans) : « Cette réforme fait violence à notre identité constitutionnelle et particulièrement à ce que les juristes appellent le principe fondamental reconnu par les lois de la République. Je pense avec beaucoup d’autres juristes que le mariage et la filiation en font partie » (Sénat, débats, 9 avr. 2013).

Le Préambule de la Constitution de 1958 fait référence au Préambule de la Constitution de 1946, lequel « réaffirme solennellement », sans les énumérer, « les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ». Depuis sa décision fondatrice du 16 juillet 1971 relative à la liberté d’association18 , le Conseil constitutionnel a reconnu que ces principes ont valeur constitutionnelle et que le législateur ne peut y déroger sans méconnaître la Constitution. Il a reconnu, depuis cette date, une dizaine de PFRLR19 .

Pour les Sages de la rue de Montpensier, pour qu’il y ait un PFRLR, trois conditions doivent être réunies : le principe doit énoncer une règle suffisamment importante, avoir un degré suffisant de généralité et intéresser des domaines essentiels pour la vie de la Nation, comme les droits et libertés fondamentaux, la souveraineté nationale ou l’organisation des pouvoirs publics, il faut, ensuite, que le principe trouve un ancrage textuel dans une ou plusieurs lois intervenues sous un régime républicain antérieur à 1946 et, enfin, il faut qu’il n’ait jamais été dérogé à ce principe par une loi républicaine antérieure à l’entrée en vigueur de la Constitution de 1946.

 « Ouvrir aux homosexuels la possibilité de se marier ne restreint pas la possibilité des hétérosexuels de se marier [...] il n’y a pas là d’atteinte à un droit ou à une liberté fondamentale, il y a extension à de nouvelles personnes de la possibilité d’accéder à un régime légal »
Conseil constitutionnel, 17 mai 2013, n° 2013-669 DC, Loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe

La première condition porte sur le caractère « fondamental » du principe invoqué : le principe doit intéresser un domaine essentiel de la vie de la Nation, comme les droits et libertés fondamentaux, la souveraineté nationale ou l’organisation des pouvoirs publics. Dans son mémoire en défense20 , le gouvernement se fondait principalement sur le fait que cette première condition n’était pas remplie dans la mesure où l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe relève d’une question de société alors que les PFRLR dégagés par le Conseil ne sont pas de cette nature. Selon cette conception matérielle des PFRLR, le Conseil ne pourrait reconnaître de tels principes que dans le domaine des libertés fondamentales ou de l’organisation de la République.

Le Conseil constitutionnel s’est inscrit en ce sens, tous les PFRLR qu’il a jusqu’à présent dégagés relèvent soit des droits et libertés fondamentaux, telles que la liberté d’association (n° 71-44 DC, 16 juill. 1971), les droits de la défense (n° 76-70 DC, 2 déc. 1976), la liberté d’enseignement ou la liberté de conscience (n° 77-87 DC, 23 nov. 1977), les libertés universitaires (n° 83-165 DC, 20 janv. 1984) ou la justice pénale des mineurs (n° 2002-461 DC, 29 août 2002), soit de l’organisation de la République, tels les PFRLR relatifs à la justice administrative ou au droit local alsacien-mosellan (n° 2011-157 QPC, 5 août 2011).

Ouvrir aux homosexuels la possibilité de se marier ne restreint pas la possibilité des hétérosexuels de se marier. Il n’y a pas là d’atteinte à un droit ou à une liberté fondamentale ; il y a extension à de nouvelles personnes de la possibilité d’accéder à un régime légal. En outre, jamais le Conseil constitutionnel n’a dégagé de PFRLR sur des questions de société. Il n’a donc pas fait sienne la maxime du doyen Carbonnier selon laquelle « le code civil est la véritable constitution de la France ».

Le Conseil constitutionnel a donc estimé que la première condition pour qu’un PFRLR relatif à l’hétérosexualité du mariage soit reconnu faisait défaut, jugeant que « si la législation républicaine antérieure à 1946 et les lois postérieures ont, jusqu’à la loi déférée, regardé le mariage comme l’union d’un homme et d’une femme, cette règle qui n’intéresse ni les droits et libertés fondamentaux, ni la souveraineté nationale, ni l’organisation des pouvoirs publics, ne peut constituer un principe fondamental reconnu par les lois de la République au sens du premier alinéa du Préambule de 1946 » (cons. 21).

b) La compétence du législateur pour décider d’ouvrir le mariage aux couples de personnes de même sexe

Le grief d’incompétence du législateur consistant à soutenir que les conditions du mariage relevaient de la Constitution et non du domaine de la loi a été écarté. Il était invoqué deux arguments. Le premier visait l’absence de mention du mariage dans l’article 34 de la Constitution ce qui privait, selon les députés et sénateurs de l’opposition, le législateur de la compétence pour définir les conditions du mariage et il était repris un grief formulé au Sénat par le sénateur UMP Gélard : « l’article 34 de la Constitution ne nous donne pas compétence en matière de mariage mais seulement de régimes matrimoniaux (Sénat, débats, 5 avril 2013) […] par conséquent, ce domaine relève bel et bien du domaine constitutionnel » (Sénat, débats, 9 avril 2013) mais, relèvent les Sages, l’article 34 de la Constitution donne expressément compétence au législateur pour fixer les règles concernant « l’état des personnes », dont relève la législation sur le mariage.

Le second argument consistait à invoquer le caractère par nature trop fondamental du mariage pour pouvoir être réglementé par le législateur. Le Conseil était ainsi saisi d’une argumentation quasi jus naturaliste, inédite, invoquant un « ancrage » des droits de l’homme dans le droit naturel dont il aurait résulté la constitutionnalité de l’hétérosexualité du mariage à laquelle seul le constituant aurait pu déroger. Le Conseil constitutionnel n’a pas donné suite à cette argumentation et n’a fait que rappeler son considérant de principe selon lequel : « il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d’adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d’apprécier l’opportunité et de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions, dès lors que, dans l’exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ; que l’article 61 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois déférées à son examen » (cons. 14).

Sans formuler un grief tiré de l’atteinte au principe d’égalité, il était également soutenu une argumentation inversée consistant à mettre en cause l’objet de la loi comme improprement fondé sur l’égalité. Ce faisant, ils reprenaient un certain nombre d’auteurs critiquant la loi qui appliquerait à tort le principe d’égalité à des situations différentes. Ainsi, Claire Neirinck (photo, professeur de droit privé à l'université de Toulouse I Capitole) expliquait : « Le refus de la discrimination ne consiste pas à ignorer l’appartenance sexuée. Il impose uniquement de traiter à égalité de droit des situations identiques… L’égalité qui sous-tend cette réforme est totalement abstraite »21 .

Ce grief critiquant la pertinence de l’objectif poursuivi tendait en définitive à remettre en cause la légitimité du législateur pour décider d’ouvrir le mariage aux couples de personnes de même sexe alors que le Conseil avait déjà implicitement mais nécessairement admis une telle légitimité dans sa décision précitée du 28 janvier 2011 sur les dispositions interdisant le mariage entre personnes de même sexe. Le Conseil a donc jugé, s’agissant du principe d’égalité : « qu’en maintenant le principe selon lequel le mariage est l’union d’un homme et d’une femme, le législateur a, dans l’exercice de la compétence que lui attribue l’article 34 de la Constitution, estimé que la différence de situation entre les couples de même sexe et les couples composés d’un homme et d’une femme peut justifier une différence de traitement quant aux règles du droit de la famille […) il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, de cette différence de situation ».

D’une manière générale, la jurisprudence du Conseil constitutionnel est constante pour souligner la compétence du parlement sur les sujets de société et il en est allé successivement ainsi pour l’interruption volontaire de grossesse (n° 74-54 DC, 15 janv. 1975), pour la sélection des embryons (n° 94-343/344 DC, 27 juill. 1994), pour les greffes autogéniques (n° 2012-249 QPC, 16 mai 2012), pour l’adoption par des couples homosexuels (n° 2010-39 QPC, 6 oct. 2010) ou pour le mariage homosexuel (n° 2010-92 QPC, 28 janv. 2011).

Le Conseil a donc repris le sens de cette jurisprudence en jugeant « qu’en ouvrant aux couples de personnes de même sexe l’accès à l’institution du mariage, le législateur a estimé que la différence entre les couples formés d’un homme et d’une femme et les couples de personnes de même sexe ne justifiait plus que ces derniers ne puissent accéder au statut et à la protection juridique attachés au mariage […] il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en matière de mariage, de cette différence de situation » (cons. 22).

B. Sur la règle de conflit de lois

L’objet du chapitre IV bis inséré dans le titre V du livre premier du code civil est d’introduire des règles de conflit de lois en matière de mariage en reprenant les règles traditionnelles de rattachement à la loi personnelle de chacun des époux s’agissant des conditions de fond du mariage (nouvel article 202-1 du code civil) et à la règle du lieu de célébration, s’agissant des conditions de forme (nouvel article 202-2 du même code).

Le premier alinéa de l’article 202-1 inscrit dans la loi la règle prétorienne française selon laquelle la loi de fond applicable aux conditions du mariage est la loi personnelle de chacun des époux : « les qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage sont régies, pour chacun des époux, par sa loi personnelle » et l’article 202-2 consacre la règle locus regit actum en disposant :« le mariage est valablement célébré s’il l’a été conformément aux formalités prévues par la loi de l’État sur le territoire duquel la célébration a eu lieu ».

Le second alinéa de l’article 202-1, plus novateur que les dispositions précédentes, prévoit quant à lui une dérogation destinée à permettre en France la célébration du mariage entre personnes de même sexe lorsque l’une des deux ou les deux sont de nationalité étrangère, nonobstant la prohibition de ce mariage par sa ou leur loi personnelle. Ces dispositions permettent ainsi de faire obstacle à l’application de la loi personnelle étrangère.

Dans le projet de loi initial, il s’agissait d’écarter la loi personnelle étrangère dans une logique de droit international privé : « La loi personnelle d’un époux est écartée, sous réserve des engagements internationaux de la France, en tant qu’elle fait obstacle au mariage de deux personnes de même sexe, lorsque la loi de l’État sur le territoire duquel est célébré le mariage le permet ». Dans la loi déférée, il s’agit d’une règle matérielle impérative de droit français qui fait obstacle à l’application de la loi étrangère : « Toutefois, deux personnes de même sexe peuvent contracter mariage lorsque, pour au moins l’une d’elles, soit sa loi personnelle, soit la loi de l’État sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence le permet ».

Cet alinéa 2 de l’article 202-1, qui ne déroge pas aux autres règles d’ordre public du droit français, ne fixe qu’une règle matérielle nationale qui, à certaines conditions, assurant le rattachement du mariage avec une loi (française ou étrangère) et autorisant le mariage entre personnes de même sexe (loi personnelle ou résidence), neutralise l’application de la condition de fond fixée par la loi étrangère en tant qu’elle interdit le mariage entre personnes de même sexe.

Le choix du législateur tend donc à une solution simple pour les autorités françaises puisqu’elle fait prévaloir la loi nationale sur la loi étrangère. La loi déférée ne permet toutefois pas de déroger aux stipulations contraires d’une convention internationale. Ainsi le mariage entre deux personnes de même sexe dont l’une au moins est ressortissante d’un État lié par convention avec la France reste impossible dans deux cas. Le premier est celui des conventions bilatérales qui soumettent expressément les conditions de fond du mariage à la loi nationale (Pologne, Maroc, Bosnie-Herzégovine, Monténégro, Serbie, Slovénie, Viêt-Nam), le second, celui des conventions qui rattachent le statut personnel à la loi nationale (Madagascar, Cambodge, Laos, Tunisie, Algérie).

Il convient aussi de préciser que le législateur a prévu le cas dans lequel il serait impossible pour les Français établis hors de France de célébrer leur mariage à l’étranger. Lorsque les futurs époux de même sexe, dont l’un au moins a la nationalité française, ont tous les deux leur domicile ou résidence dans un pays n’autorisant pas le mariage entre personnes de même sexe et dans lequel les autorités diplomatiques et consulaires ne peuvent procéder à sa célébration, l’article 171-9 du code civil rétabli par l’article 6 de la loi déférée prévoit que : « Par dérogation aux articles 74 et 165 […] le mariage est célébré publiquement par l’officier de l’état civil de la commune de naissance ou de dernière résidence de l’un des époux ou de la commune dans laquelle l’un de leurs parents a son domicile ou sa résidence établie dans les conditions prévues à l’article 74. À défaut, le mariage est célébré par l’officier de l’état civil de la commune de leur choix ».

Il était soutenu par l’opposition parlementaire que ces dispositions, en particulier le second alinéa de l’article 202-1, avaient pour effet d’introduire, au profit de ce mariage, une règle de conflit de lois distincte de celle qui existe pour les mariages de personnes de sexe différent et il était ainsi invoqué une atteinte au principe d’égalité devant la loi tout en soulignant que les dispositions du second alinéa de l’article 202-1 auraient pour effet d’inciter des étrangers à venir en France pour « contourner les empêchements de leur loi nationale », de favoriser des mariages blancs en fraude à la législation sur l’entrée et le séjour des étrangers en France ainsi qu’à la législation sur la nationalité, outre le risque de« mariages boiteux », c’est-à-dire des mariages valablement célébrés en France et nuls dans un autre pays. 

Le grief est écarté en jugeant « qu’il était loisible au législateur de permettre à deux personnes de même sexe de nationalité étrangère, dont la loi personnelle prohibe le mariage entre personnes de même sexe, de se marier en France dès lors que les autres conditions du mariage et notamment la condition de résidence sont remplies […] le législateur, qui n’était pas tenu de retenir les mêmes règles pour les mariages contractés entre personnes de sexe différent, n’a pas traité différemment des personnes se trouvant dans des situations semblables » (cons. 29).

Pour les autres griefs relatifs aux risques de fraudes diverses et à celui tiré de l’insécurité juridique en découlant, le Conseil a rappelé que l’éventualité d’un détournement de la loi ou d’abus lors de son application n’entache pas cette loi d’inconstitutionnalité et « qu’il appartient aux juridictions compétentes d’empêcher, de priver d’effet et, le cas échéant, de réprimer de telles pratiques » (cons. 30).

Seront donc désormais valablement célébrés en France les mariages entre personnes de même sexe : entre deux Français(es), entre un(e) Français(e) et un(e) étranger(e), et entre deux étranger(e)s lorsque l’un(e) d’eux (d’elles) a sa résidence habituelle en France, y compris si leur loi nationale l’interdit.

Le seul cas dans lequel le mariage entre personnes de même sexe ne sera pas possible par application de cette règle de fond est le cas dans lequel les deux étranger(e)s dont la loi personnelle prohibe le mariage entre personnes de même sexe n’ont pas leur résidence habituelle en France22  . Cette hypothèse est en tout état de cause déjà exclue par les règles de compétence des officiers de l’état civil français. S’agissant des mariages célébrés à l’étranger, le dernier alinéa de l’article 171-1 du code civil exprime, a contrario, une règle traditionnelle du droit international faisant obstacle à ce que l’officier de l’état civil célèbre un mariage entre deux étrangers. Pour ce qui est des mariages célébrés en France, les règles de compétence territoriale s’opposent à la célébration d’un mariage entre des personnes n’ayant pas leur résidence en France, sous réserve du cas introduit par la nouvelle rédaction de l’article 171-9 du code civil. L’article 165 du code civil dispose que « le mariage sera célébré publiquement lors d’une cérémonie républicaine par l’officier de l’état-civil de la commune dans laquelle l’un des époux, ou l’un de leur parents, aura son domicile ou sa résidence à la date de la publication [des bans] prévue par l’article 63 ».

C. Sur la validation des mariages antérieurs à la loi

L’article 21 de la loi déférée dispose que « le mariage entre personnes de même sexe contracté avant l’entrée en vigueur de la présente loi est reconnu, dans ses effets à l’égard des époux et des enfants, en France, sous réserve du respect des articles 144, 146, 146-1, 147, 161, 162, 163, 180, 191 du code civil. Il peut faire l’objet d’une transcription dans les conditions prévues aux articles 171-5 et 171-7 du même code. À compter de sa transcription, il produit effet à l’égard des tiers ».

Aux termes de l’article 144, « le mariage ne peut être contracté avant dix-huit ans révolus » et aux termes de l’article 146, « il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a point de consentement ». L’article 146-1 énonce que le mariage d’un Français, même s’il est contracté à l’étranger, requiert sa présence et l’article 147 que l’on ne peut contracter un second mariage avant la dissolution du premier. Les articles 161, 162 et 163 prévoient les cas dans lesquels le mariage est prohibé :« en ligne directe, le mariage est prohibé entre tous les ascendants et descendants et les alliés dans la même ligne » (art. 161), « en ligne collatérale, le mariage est prohibé, entre le frère et la sœur, entre frères et sœurs » (art. 162) et « le mariage est prohibé entre l’oncle et la nièce ou le neveu, et entre la tante et le neveu ou la nièce » (art. 163).

L’article 180 porte sur les demandes de nullité pour cause d’absence de consentement libre des époux ou de l’un d’eux, d’erreur dans la personne ou sur des qualités essentielles de la personne et l’article 191 sur la possibilité d’attaquer un mariage qui n’aurait pas été contracté publiquement ni célébré devant l’officier public compétent.

Le premier alinéa de l’article 171-5 rappelle que l’acte de mariage d’un Français célébré par une autorité étrangère doit, pour être opposable aux tiers en France, être transcrit sur les registres de l’état civil français. S’il n’y a pas eu de transcription, le mariage d’un Français, valablement célébré par une autorité étrangère, produit ses effets civils en France seulement à l’égard des époux et des enfants. L’article 171-7 précise notamment que « lorsque des indices sérieux laissent présumer que le mariage célébré devant une autorité étrangère encourt la nullité au titre des articles 144, 146, 146-1, 147, 161, 162, 163, 180 ou 191, l’autorité diplomatique ou consulaire chargée de transcrire l’acte en informe immédiatement le ministère public et sursoit à la transcription ».

Cet article 21, adopté dans le même esprit que le paragraphe II de l’article premier sur les règles de conflit de lois, concerne, ainsi qu’il ressort des travaux préparatoires de la loi, le mariage entre Français(e)s ou encore le mariage entre un(e) Français(e) et un(e) étranger(e) précédemment célébrés à l’étranger. Cet article ne concerne donc pas les mariages entre étrangers puisque ces mariages ne sont pas soumis, pour les conditions de fond du mariage, aux articles 144 et suivants du code civil, mais à la loi personnelle des époux.

Députés et sénateurs faisaient valoir que l’article 21 a pour objet de valider des mariages conclus avant la loi déférée et qui étaient contraires à la loi alors applicable, créant ainsi une insécurité juridique manifeste, arguant que cette validation, dont la portée ne serait pas strictement définie, ne répond pas à un motif suffisant d’intérêt général et les dispositions de l’article 21 sont en outre contraires à l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi.

Relevant qu’il résultait des travaux préparatoires de la loi que le législateur a entendu préciser les conditions de reconnaissance et de transcription des mariages contractés à l’étranger avant l’entrée en vigueur de la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, le Conseil a rappelé qu’en l’état du droit antérieur à la promulgation de cette loi, « le mariage célébré à l’étranger entre un ressortissant français et un citoyen d’un État qui reconnaît aux couples de personnes de même sexe le droit de se marier n’est pas reconnu par le droit français », soulignant que la reconnaissance par l’article 21 du mariage contracté à l’étranger entre deux personnes de même sexe avant l’entrée en vigueur de la loi, ainsi que la possibilité d’en obtenir la transcription, sont subordonnées au respect des règles relatives à la validité du mariage prévues par les articles 144, 146, 146-1, 147, 161, 162, 163, 180 et 191 du code civil et qu’en outre la transcription d’un tel mariage est soumise aux contrôles de l’autorité diplomatique ou consulaire ainsi que du ministère public, dans les conditions prévues par les articles 171-5 et 171-7 du code civil (cons. 85).

Le Conseil n’a pas statué en l’espèce comme s’il était saisi d’une loi de validation, il a simplement relevé que les règles posées « ne portent atteinte à aucun droit acquis » avant de juger « qu’il était loisible au législateur d’instaurer une exception à la règle selon laquelle la validité d’un mariage s’apprécie au jour de sa célébration, en faisant produire des effets en France aux mariages célébrés à l’étranger antérieurement à la promulgation de la loi » (cons. 86).

III – Sur l’adoption par des couples de même sexe 

A. Sur les dispositions critiquées

Indépendamment des dispositions particulières de la loi modifiant certaines dispositions du code civil relatives à la filiation adoptive (art. 7 et 8) et assurant l’équivalence des effets du mariage et de la filiation adoptive que les époux ou parents soient de même sexe ou de sexe différent (art. 13), le seul fait de permettre le mariage de personnes de même sexe donne aux couples de personnes de même sexe la possibilité d’adopter.

L’adoption plénière peut en effet être demandée par deux époux (art. 343 du code civil) ou par une personne âgée de plus de 28 ans. Si cette personne est célibataire, elle fonde une famille monoparentale. Si elle est mariée et non séparée de corps, le consentement de son conjoint est nécessaire (art. 343-1). L’adoption plénière de l’enfant du conjoint est actuellement permise dans trois cas: lorsque l’enfant n’a de filiation établie qu’à l’égard de ce conjoint, lorsque l’autre parent que le conjoint s’est vu retirer l’autorité parentale et lorsque l’autre parent que le conjoint est décédé et n’a pas laissé d’ascendant au premier degré ou lorsque ceux-ci se sont manifestement désintéressés de l’enfant (art. 345-1).

L’adoption simple, régie par les articles 360 à 370-2 du code civil, peut être prononcée quel que soit l’âge de l’adopté. Elle ne rompt pas les liens avec la famille d’origine. Selon l’article 364, « l’adopté reste dans sa famille d’origine et y conserve tous ses droits, notamment ses droits héréditaires ». L’adoption simple est mentionnée en marge de l’acte de naissance de l’enfant.

Le modèle de la famille issu du mariage est transposé dans l’adoption simple. En application du premier alinéa de l’article 365 du code civil, « l’adoptant est seul investi à l’égard de l’adopté de tous les droits d’autorité parentale […] à moins qu’il ne soit le conjoint du père ou de la mère de l’adopté, dans ce cas l’adoptant a l’autorité parentale concurremment avec son conjoint lequel en conserve seul l’exercice, sous réserve d’une déclaration conjointe avec l’adoptant devant le greffier en chef du tribunal de grande instance aux fins d’un exercice en commun de cette autorité ».

Dans l’état du droit antérieur à la loi déférée, pour un couple homosexuel, une délégation d’autorité parentale seule — c'est-à-dire sans adoption — était, sous certaines conditions, possible au profit du compagnon homosexuel si celui-ci élève l’enfant. L’article 377 du code civil dispose en son premier alinéa que « les père et mère, ensemble ou séparément, peuvent, lorsque les circonstances l’exigent, saisir le juge en vue de voir déléguer tout ou partie de l’exercice de leur autorité parentale à un tiers, membre de la famille, proche digne de confiance, établissement agréé pour le recueil des enfants ou service départemental de l’aide sociale à l’enfance ». Dans ce cadre, la cour de cassation admet, sur le fondement du deuxième alinéa de l’article 377-1 du code civil, qu’une mère, seule titulaire de l’autorité parentale, en délègue tout ou partie de l’exercice à la femme avec laquelle elle vit en union stable et continue, dès lors que « les circonstances exceptionnelles l’exigent et que la mesure est conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant »23  mais la délégation d’autorité parentale est précaire puisqu’elle peut prendre fin à tout moment par un nouveau jugement, s’il est justifié de circonstances nouvelles (art. 377-2), telle une séparation du couple ou le décès du délégant, l’ancien délégataire de l’autorité parentale n’ayant alors aucune garantie juridique d’être désigné tuteur ni même de faire partie du conseil de famille.

En permettant le mariage des personnes de même sexe, la loi déférée rend possible l’application à ces couples des dispositions sur l’adoption. D’une part, l’adoption conjointe, plénière ou simple, d’un enfant par les couples homosexuels devient possible. D’autre part, est également ouverte l’adoption de l’enfant du conjoint dans les conditions fixées à l’article 345-1 du code civil pour l’adoption plénière et à l’article 365 pour l’adoption simple.

Aux conséquences directes du nouvel article 143 du code civil, la loi apporte deux compléments. D’une part, les articles 7 et 8 modifient respectivement l’article 345-1 du code civil, applicable à l’adoption plénière, et l’article 360, applicable à l’adoption simple, afin de permettre qu’un enfant ayant déjà été adopté par une personne seule puisse ultérieurement être adopté par le conjoint. C’est une dérogation supplémentaire à la règle selon laquelle, en principe, un enfant ne peut être adopté deux fois. Cette dérogation n’est pas réservée aux couples mariés de même sexe, mais elle devrait, pour ces couples qui ne peuvent procréer du fait de l’identité de sexe des conjoints, faciliter l’accès à l’établissement d’un double lien de filiation à l’égard d’un enfant.

B. Sur le grief d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi

La réforme ne va pas assez loin pour certains et trop loin pour d’autres, les critiques d’une réforme incomplète ou incohérente visent soit à contester l’extension du mariage aux homosexuels, soit à obtenir la modification des dispositions relatives à la procréation médicalement assistée, voire à la gestation pour le compte d’autrui.

Les parlementaires de l’opposition soutenaient que l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe sans réforme du droit de la filiation et de l’adoption conduirait à ce qu’une partie au moins des dispositions du code civil devienne incohérente et incompréhensible, concentrant leurs critiques à l’encontre des dispositions de l’article 6-1 du code civil relatif à l’équivalence des effets du mariage et de la filiation adoptive sans modification des dispositions du code civil qui continuent à désigner distinctement le père et la mère et le mari et la femme.

En effet, le texte adopté ne procède qu’à certaines coordinations indispensables dans les dispositions relatives aux actes de l’état civil et renvoie, au moyen de l’article 6-1 précité, à une règle générale d’interprétation et d’application.

Mais il était aussi soutenu que le législateur ne pouvait traiter de la filiation adoptive par des personnes de même sexe sans modifier les règles applicables à la gestation pour autrui et à la procréation médicalement assistée mais ces griefs n’étaient guère étayés d’un point de vue constitutionnel.

1° La filiation et la filiation adoptive

L’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe sera sans effet sur l’application des dispositions sur la filiation. En effet, l’article 320 du code civil dispose que « tant qu’elle n’a pas été contestée en justice, la filiation légalement établie fait obstacle à l’établissement d’une autre filiation qui la contredirait ». L’épouse d’une femme qui accouche ne bénéficiera pas de la présomption de paternité (car cela conduirait à établir une deuxième filiation maternelle qui contredirait la première) et, pour les mêmes raisons, ne pourra pas établir de lien de filiation par la reconnaissance, par la possession d’état ou par jugement tant que le lien de filiation précédemment établi n’a pas été annulé. C’est pourquoi, l’article 13 de la loi introduit dans le code civil un article 6-1 qui dispose que « le mariage et la filiation adoptive emportent les mêmes effets, droits et obligations reconnus par les lois, à l’exclusion de ceux prévus au titre VII du livre Ier du présent code, que les époux ou les parents soient de sexe différent ou de même sexe ».

Quant à la filiation adoptive, elle résulte toujours d’un jugement et elle est soit« plénière » soit « simple ».

L’adoption plénière est actuellement régie par les articles 343 à 359 du code civil. Selon les termes du premier alinéa de l’article 356, « l’adoption [plénière] confère à l’enfant une filiation qui se substitue à sa filiation d’origine : l’adopté cesse d’appartenir à sa famille par le sang ». L’adoption n’est, sauf cas particuliers, permise qu’en faveur des enfants de moins de 15 ans (art. 345). L’enfant a alors les mêmes droits que les autres enfants dont la filiation est établie. Un nouvel acte de naissance est établi qui fait de lui le fils ou la fille de ses parents adoptifs, l’acte de naissance d’origine est annulé. L’adoption plénière est irrévocable.

Deux articles du code civil traitent de l’égalité entre enfants. L’article 310 dispose que « tous les enfants dont la filiation est légalement établie ont les mêmes droits et les mêmes devoirs dans leurs rapports avec leur père et mère. Ils entrent dans la famille de chacun d’eux ». Cet article assure une parfaite égalité entre les enfants qu’ils soient ou non nés ou conçus dans le mariage. Quant à l’article 358 applicable à l’adoption plénière dispose que « l’adopté a, dans la famille de l’adoptant, les mêmes droits et les mêmes obligations qu’un enfant dont la filiation est établie […] » et assure l’égalité entre les enfants adoptés en la forme plénière et les enfants dont la filiation est établie naturellement.

S’agissant de l’absence de coordination terminologique du code civil, le Conseil constitutionnel a constaté que ces dispositions — à l’exception de celles relatives à la filiation naturelle — ne distinguent plus entre l’homme et la femme dans les droits et obligations des parents ou des époux. Il n’y a donc pas d’inintelligibilité, relève le Conseil, résultant de l’absence de suppression des termes « père et mère » ou « mari et femme ».

2° La procréation médicalement assistée et la gestation pour autrui

Les articles L. 2141-1 et L. 2141-2 du code de la santé publique (CSP) fixent le cadre juridique de la procréation médicalement assistée (PMA) ou assistance médicale à la procréation (AMP).

L’article L. 2141-2 du CSP dispose que « l’assistance médicale à la procréation a pour objet de remédier à l’infertilité d’un couple ou d’éviter la transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité. Le caractère pathologique de l’infertilité doit être médicalement diagnostiqué./ L’homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer et consentir préalablement au transfert des embryons ou à l’insémination. Font obstacle à l’insémination ou au transfert des embryons le décès d’un des membres du couple, le dépôt d’une requête en divorce ou en séparation de corps ou la cessation de la communauté de vie, ainsi que la révocation par écrit du consentement par l’homme ou la femme auprès du médecin chargé de mettre en œuvre l’assistance médicale à la procréation ».

Le premier alinéa de l’article L. 2141-1 dispose que « l’assistance médicale à la procréation s’entend des pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, la conservation des gamètes, des tissus germinaux et des embryons, le transfert d’embryons et l’insémination artificielle ».

En l’état du droit, le régime de la PMA avec tiers donneur est défini aux articles 311-19 et 311-20 du code civil, intégrés dans le titre VII du livre premier du code civil qui réglemente la filiation biologique, et à l’article 16-8 du même code qui interdit toute identification du donneur. En 2010, on recensait en France près de 140 000 tentatives de PMA et 22 401 enfants étaient issus d’une insémination artificielle ou d’une fécondation in vitro, sur 830 000 naissances annuelles. Dans ces chiffres, la part de la PMA avec tiers donneur est très faible : moins de 500 enfants naissent avec un don de spermatozoïdes, une centaine avec un don d’ovule, une dizaine avec un don d’embryon.

Ces dispositions réservent donc la PMA au cas médicalement constaté du caractère pathologique de l’infertilité d’un couple formé d’un homme et d’une femme en âge de procréer, qu’ils soient ou non mariés. La loi déférée ne modifie ni le droit de la procréation médicalement assistée ni celui de la gestation pour autrui.

Les règles relatives à la PMA et la GPA sont clairement en dehors du champ d’application de la loi déférée et aucune exigence constitutionnelle n’imposait, disent les Sages, que l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de personnes de même sexe soit accompagnée d’une réforme des conditions de la PMA. Le droit de la PMA étant en France un droit fondé sur l’infertilité d’un couple formé d’un homme et d’une femme, qu’ils soient mariés ou non, c’est ce critère d’infertilité pathologique du couple qui est déterminant.

C. Sur l’adoption par ou au sein des couples de personnes de même sexe

Pour ce qui est de la possibilité d’une adoption par des personnes de même sexe, il était soulevé de nombreux griefs. L’existence d’un PFRLR « de filiation bilinéaire fondée sur l’altérité sexuelle », le droit de mener une vie familiale normale et la protection de l’enfant, l’atteinte à l’égalité entre les enfants adoptés et le droit à la protection de leur vie privée, incitation à la PMA et la GPA à l’étranger en fraude à la loi française et, enfin, la méconnaissance de la Convention de New-York relative aux droits de l’enfant.

Ces deux derniers griefs ont été rapidement écartés par le Conseil qui a appliqué sa jurisprudence constante et ancienne, « l’éventualité d’un détournement de la loi lors de son application n’entache pas celle-ci d’inconstitutionnalité […] qu’il appartient aux juridictions compétentes d’empêcher, de priver d’effet et, le cas échéant, de réprimer de telles pratiques » (cons. 58) et si les dispositions de l’article 55 de la Constitution « confèrent aux traités, dans les conditions qu’elles définissent, une autorité supérieure à celle des lois, elles ne prescrivent ni n’impliquent que le respect de ce principe doive être assuré dans le cadre du contrôle de la conformité des lois à la Constitution » (cons. 57)24 ).

Quant au grief tiré de l’atteinte à un PFRLR selon lequel l’enfant aurait « un droit à voir établir un lien de filiation à l’égard de deux parents de sexe différent dont il est issu pour pouvoir être élevé par eux » a fait sourire, imagine-t-on, les Sages (cons. 56). Tant le droit de l’adoption, que les règles relatives à la recherche de paternité et de maternité soulignent que le droit français n’a jamais consacré un tel droit général.

Le Conseil cite dans sa décision deux illustrations de ce que la législation républicaine antérieure à 1946 a modifié les règles relatives à la filiation et à l’adoption sans consacrer un principe de droit de l’enfant à établir un lien avec son père et sa mère : la loi du 16 novembre 1912 qui a permis l’action en recherche de paternité naturelle (tout en laissant interdite l’action en recherche de paternité adultérine qui n’a été permise que par la loi du 3 janvier 1972) et la loi du 19 juin 1923 qui a permis l’adoption des enfants mineurs. L’état actuel du droit de la filiation adoptive ne consacre, considère le Conseil, aucunement un droit général à voir établir un lien de filiation biologique et saisi de deux QPC sur des dispositions qui limitent cette prétention, il a reconnu la liberté d’appréciation du législateur, qu’il s’agisse de l’accouchement sous X25  ou de la limitation des expertises génétiques post mortem26  dans une procédure aux fins d’établissement du lien de filiation.

Pour les parlementaires de l’opposition, les enfants qui seront adoptés par des personnes de même sexe seront traités différemment des autres enfants adoptés dans la mesure où le caractère adoptif de leur filiation apparaîtra nécessairement, soulignant qu’il en résulterait également une atteinte au droit à la protection de leur vie privée compte tenu de la révélation de l’orientation sexuelle de leurs parents.

L’argument consistait à donner une portée constitutionnelle à la théorie de la« fiction procréatrice » de l’adoption plénière mais comme le soulignait le gouvernement dans ses observations, dit le Conseil, un tel argument était de nature à remettre en cause « le principe même de l’adoption plénière, en particulier internationale » et il a donc été écarté, en deux temps. Un, dès lors que l’adoption plénière procède à une substitution de lien de filiation, le principe d’égalité entre les enfants impose que les enfants adoptés en la forme plénière bénéficient dans leur famille adoptive des mêmes droits que ceux dont bénéficient les enfants dont la filiation est établie dans les conditions d’une filiation naturelle, relevant toutefois que cette exigence d’égalité est satisfaite par les dispositions de l’article 358 du code civil précité (cons. 50). Deux, aucune exigence constitutionnelle n’impose ni que le caractère adoptif de la filiation soit dissimulé ni que les liens de parenté établis par la filiation adoptive imitent ceux de la filiation biologique (cons. 51).

Le droit de mener une vie familiale normale, que la jurisprudence du Conseil constitutionnel rattache au dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, a une portée circonscrite et n’est appliqué que dans les cas où « la disposition législative contestée empêchait les membres d’une famille de vivre ensemble ».

 « Qu'il s'agisse d'un couple de personnes de même sexe ou de sexe différent, l'agrément pour adopter n'est délivré que si l'adoption est conforme à l'intérêt de l'enfant »
Conseil constitutionnel, 17 mai 2013, n° 2013-669 DC, Loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe

Comme il l’avait fait dans sa décision du 9 novembre 1999 sur la loi relative au PACS27 , le Conseil constitutionnel a examiné le grief tiré de l’atteinte à l’intérêt de l’enfant sous l’angle du dixième aliéna du Préambule de 1946 selon lequel« la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ».

Au cas particulier, le juge constitutionnel rejette l’argument selon lequel la réforme donnerait un « droit à l’enfant » ou un « droit à l’adoption » aux couples de personnes de même sexe, relevant qu’ils seront soumis, comme ceux qui sont formés d’un homme et d’une femme, aux mêmes règles, conditions et contrôles en matière de filiation adoptive.

Les Sages rappellent les exigences qui figurent tant dans le code civil que dans le code de l’action sociale et des familles (CASF) et qui imposent, d’une part, que la capacité des couples candidats à l’adoption soit reconnue (principalement par la procédure d’agrément) et, d’autre part, que l’adoption ne puisse être prononcée qu’à l’issue d’un examen au cas par cas par la juridiction compétente à qui il appartient de ne prononcer l’adoption que « si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant » (cons. 52).

Faisant usage de sa jurisprudence dite « néo calédonienne » selon laquelle la conformité d’une loi promulguée peut être appréciée à l’occasion de l’examen des dispositions législatives qui les modifient complètement ou affectent son domaine, le Conseil constitutionnel a procédé à l’examen des dispositions des articles L. 225-2 et L. 225-17 du CASF et 353 du code civil relatifs respectivement à l’agrément et au prononcé de l’adoption par le tribunal.

Si les dispositions législatives relatives à l’agrément ne prévoient pas expressément les finalités de l’agrément, elles figurent dans les dispositions réglementaires sur l’agrément28  et le Conseil a donc formulé une réserve d’interprétation sur les articles L. 225-2 et L. 225-17 du CASF en jugeant « que les dispositions relatives à l’agrément du ou des adoptants, qu’ils soient de sexe différent ou de même sexe, ne sauraient conduire à ce que cet agrément soit délivré sans que l’autorité administrative ait vérifié, dans chaque cas, le respect de l’exigence de conformité de l’adoption à l’intérêt de l’enfant qu’implique le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 » (cons. 53).

En revanche, dit le Conseil, les dispositions de l’article 353 prévoient que l’adoption est prononcée par le tribunal de grande instance à la requête de l’adoptant si les conditions de la loi sont remplies « et si l’adoption est conforme à l’intérêt de l’enfant », dispositions applicables que les adoptants soient de même sexe ou de sexe différent et mettant en œuvre, relèvent les Sages, l’exigence résultant du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 selon laquelle l’adoption ne peut être prononcée que si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant (cons. 54).

IV – Sur le nom de famille 

Le 1° du paragraphe I de l’article 11 complète le premier alinéa de l’article 311-21 du code civil, applicable à la filiation, par une phrase ainsi rédigée :« en cas de désaccord entre les parents, signalé par l’un d’eux à l’officier de l’état civil, au plus tard au jour de la déclaration de naissance ou après la naissance, lors de l’établissement simultané de la filiation, l’enfant prend leurs deux noms, dans la limite du premier nom de famille pour chacun d’eux, accolés selon l’ordre alphabétique ».

Le paragraphe III du même article 11 donne une nouvelle rédaction de l’article 357 du code civil relatif aux effets de l’adoption plénière sur le nom et les prénoms de l’enfant avec en particulier le quatrième alinéa de l’article 357 qui prévoit qu’en « l’absence de déclaration conjointe mentionnant le choix de nom de l’enfant, celui-ci prend le nom de l’adoptant et de son conjoint ou de chacun des deux adoptants, dans la limite du premier nom de famille pour chacun d’eux, accolés selon l’ordre alphabétique ».

Le paragraphe II de l’article 12 donne une nouvelle rédaction de l’article 363 du même code relatif aux effets de l’adoption simple sur le nom et les prénoms de l’enfant.

Les sénateurs soutenaient que la nouvelle rédaction de l’article 311-21 du code civil résultant de l’article 11 de la loi déférée modifie « artificiellement les règles qui prévalent en matière de dévolution du nom de famille pour tenter de trouver une solution à l’établissement de filiations artificielles » et la complexité des dispositions nouvelles risquent de conduire « à une multiplication des noms de famille double » et de faire « ainsi disparaître des noms patronymiques en fin d’alphabet », outre que la différence dans l’attribution du choix du nom entre les enfants adoptés et les autres enfants méconnaît le principe d’égalité devant la loi et les dispositions de l’article 12 qui « relèvent de la même logique » sont inintelligibles et méconnaissent le principe d’égalité.

Tous les griefs ont été écartés, s’agissant plus particulièrement de celui tiré de la méconnaissance du principe d’égalité, le Conseil a relevé que, par la nouvelle rédaction des articles 357 et 363 du code civil, le législateur a entendu, en particulier, tirer les conséquences, sur la dévolution du nom de famille, de l’ouverture de l’adoption aux couples mariés de personnes de même sexe et qu’il « a notamment prévu qu’en l’absence de déclaration conjointe mentionnant le nom de l’enfant, celui-ci prendra le nom de l’adoptant et de son conjoint ou de chacun des deux adoptants, dans la limite du premier nom de famille pour chacun d’eux, présentés dans l’ordre alphabétique ». La modification apportée par l’article 11 à l’article 321 du code civil prévoit une règle similaire pour les enfants dont la filiation est naturelle. Ce n’est pas exactement la même règle puisqu’elle ne vaut qu’en cas de désaccord entre les parents, signalé par l’un d’eux à l’officier de l’état civil au plus tard au jour de la déclaration de naissance ou après la naissance, lors de l’établissement simultané de la filiation. Cette différence de traitement, assure le Conseil, ne méconnaît en rien le principe d’égalité puisque, selon le mode d’établissement de la filiation, ni les parents ni les enfants ne sont placés dans la même situation (cons.66).

V – Sur les dispositions relatives au code du travail

L’article 19 de la loi déférée insère après l’article L. 1132-3-1 du code du travail un article L. 1132-3-2 ainsi rédigé : « Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire mentionnée à l’article L. 1132-1 pour avoir refusé en raison de son orientation sexuelle une mutation géographique dans un État incriminant l’homosexualité ».

Députés et sénateurs soutenaient que ces dispositions, dépourvues de tout lien avec le texte, avaient été adoptées en méconnaissance du premier alinéa de l’article 45 de la Constitution, qu’elles obligent un salarié à dévoiler son orientation sexuelle à son employeur en méconnaissance du droit au respect de la vie privée qu’implique l’article 2 de la Déclaration de 1789 et qu’elles portent atteinte à l’égalité entre salariés selon leur orientation sexuelle.

Sur la procédure, l’article en question est issu d’un amendement inséré en première lecture à l’assemblée nationale dans le projet de loi initial, amendement qui ne concernait, au départ, que les salariés mariés avec une personne de même sexe. L’article a ensuite été modifié en première lecture au Sénat pour s’appliquer à tout salarié, qu’il soit célibataire, en concubinage, marié ou ayant conclu un PACS. Eu égard à son objet, le Conseil juge que cet article 19 présente un lien avec le projet de loi initial et a été adopté selon une procédure conforme à la Constitution.

L’atteinte au droit au respect de la vie privée a été écartée après avoir rappelé que les dispositions contestées tendent à assurer une protection aux salariés qui, en raison de leur orientation sexuelle, auraient refusé une mutation géographique dans un État incriminant l’homosexualité. Ces dispositions ne méconnaissent pas en elles-mêmes ce droit puisque c’est au salarié qu’il appartient de décider de se prévaloir ou non de la protection que lui offre l’article 19 (cons. 72).

Exit également du grief tiré de l’atteinte au principe d’égalité puisque « les dispositions contestées n’ont ni pour objet ni pour effet de traiter différemment des personnes placées dans la même situation » (cons. 73).

VI – Sur le recours aux ordonnances

Les parlementaires contestaient l’article 14 de la loi déférée, qui habilite le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi, pour prendre « 1° Les mesures nécessaires pour adapter l’ensemble des dispositions législatives en vigueur, à l’exception de celles du code civil, afin de tirer les conséquences de l’application aux conjoints et parents de même sexe des dispositions applicables aux conjoints et parents de sexe différent ;/ 2° Les mesures relevant du domaine de la loi permettant, d’une part, de rendre applicables, avec les adaptations nécessaires, les dispositions mentionnées au 1° en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises, pour celles qui relèvent de la compétence de l’État, et, d’autre part, de procéder aux adaptations nécessaires en ce qui concerne Mayotte et les collectivités de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon ».

Il était soutenu que l’introduction de cette disposition par amendement, lors de l’examen en première lecture au Sénat, aurait permis de ne pas présenter d’étude d’impact correspondant à la demande d’habilitation, comme cela aurait dû être le cas si cette demande avait figuré dès l’origine dans le projet de loi, contestant également la définition trop imprécise de la finalité et du champ de l’habilitation, en méconnaissance de l’article 38 de la Constitution.

Le Conseil constitutionnel a développé une jurisprudence constante quant au contrôle de ces lois d’habilitation, rappelant que la délégation doit être limitée dans le temps et prévoir le dépôt d’un projet de loi de ratification.

VII – Sur l’application de la loi outre-mer

Les parlementaires contestaient également l’application des dispositions de la loi déférée dans les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution et en Nouvelle-Calédonie. Ils faisaient valoir que cette extension, expressément prévue par l’article 22 de la loi déférée, qui n’a été précédée d’aucune consultation des assemblées délibérantes de ces collectivités, viole les articles 74 et 77 de la Constitution, ajoutant que l’habilitation à légiférer par voie l’ordonnance, prévue par le 2° du paragraphe I de l’article 14 pour permettre d’adapter les dispositions législatives autres que celles du code civil dans les collectivités d’outre-mer relevant de l’article 74 de la Constitution et en Nouvelle-Calédonie, permettrait de différer la consultation des assemblées délibérantes de ces collectivités et de vider de tout sens utile la portée de la consultation, qui ne portera que sur des dispositions tirant les conséquences mécaniques de la loi déférée.

L’article 22 de la loi déférée prévoit en effet que les dispositions des articles 1er à 13 et 21 de la loi déférée sont applicables en Nouvelle-Calédonie, dans les îles Wallis et Futuna et en Polynésie française. Pour les autres collectivités régies par l’article 74 de la Constitution (Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon), aucune mention expresse n’est nécessaire pour rendre ces dispositions applicables compte tenu du régime d’application des lois et règlements qui a été retenu dans chaque cas par la loi organique portant statut de la collectivité.

Le Conseil a d’abord relevé que les dispositions de la loi déférée rendues applicables par l’article 22 en Nouvelle-Calédonie, dans les îles Wallis et Futuna et en Polynésie française « portent sur l’état et la capacité des personnes » et « que ces matières relèvent de la compétence de l’État ». En particulier, pour la Nouvelle-Calédonie, si les compétences en matière de « droit civil » doivent faire l’objet d’un transfert dans les conditions prévues par l’article 26 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, ce transfert n’est pas encore intervenu et les règles d’application des dispositions législatives de la compétence de l’État prévues par l’article 6-2 de la même loi organique s’appliquent.

Les dispositions rendues applicables dans ces collectivités, relève par ailleurs le Conseil, ne sont assorties d’aucune mesure d’adaptation tenant à l’organisation particulière des territoires concernés et la consultation des assemblées délibérantes n’était donc pas un préalable nécessaire.

  • 1 « Société : Les députés adoptent le mariage pour tous », Alfredo Allegra, 10 févr. 2013.
  • 2« Société : Le Sénat adopte le projet de mariage pour tous », Alfredo Allegra, 13 avr. 2013.
  • 3 « Société : La loi sur le mariage pour tous définitivement adoptée », Alfredo Allegra, 23 avr. 2013.
  • 4Loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, J.O., n° 114, 18 mai 2013, p. 8253, n° 3.
  • 5Saisine du Conseil constitutionnel en date du 23 avril 2013 présentée par au moins soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2013-669 DC, J.O., n° 114, 18 mai 2013, p. 8289, n° 11.
  • 6Saisine du Conseil constitutionnel en date du 23 avril 2013 présentée par au moins soixante sénateurs, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2013-669 DC, J.O., n° 114, 18 mai 2013, p. 8299, n° 12.
  • 7Cons. constit., 17 mai 2013, n° 2013-669 DC, Loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
  • 8Cons. constit., 9 avr. 2009, n° 2009-579 DC, Loi organique relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, cons. 15 et 17.
  • 9Cons. constit., 11 févr. 2010, n° 2010-603 DC, Loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux, cons. 3 à 5.
  • 10Cons. constit., 9 déc. 2010, n° 2010-618 DC, Loi de réforme des collectivités territoriales, cons. 4.
  • 11Cons. constit., 16 mai 2013, n° 2013-667 DC, Loi relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral, cons. 4.
  • 12Cons. constit., 9 nov. 2010, n° 2010-617 DC, Loi portant réforme des retraites.
  • 13Cons. constit., 9 nov. 2010, n° 2010-617 DC, précitée, cons. 4.
  • 14Cons. constit., 9 juin 2011, n° 2011-631 DC, Loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, cons. 4.
  • 15Cons. constit., 20 nov. 2003, n° 2003-484 DC, Loi relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité (Loi Sarkozy), cons. 94.
  • 16Cons. constit., 9 nov. 2006, n° 2006-542 DC, Loi relative au contrôle de la validité des mariages, cons. 4.
  • 17Cons. constit., 28 janv. 2011, n° 2010-92 QPC, Corinne C. et a.
  • 18Cons. constit., 16 juill. 1971, n° 71-44 DC, Loi complétant les dispositions des articles 5 et 7 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association.
  • 19Liberté d’association (n° 71-44 DC, 16 juill. 1971), droits de la défense (n° 76-70 DC, 2 déc. 1976, Loi relative au développement et à la prévention des accidents du travail), liberté d’enseignement (n° 77-87 DC, 23 nov. 1977, Loi complémentaire à la loi n° 59-1557 du 31 décembre 1959 modifiée par la loi n° 71-400 du 1er juin 1971 et relative à la liberté de l’enseignement, liberté de conscience (même décision), indépendance de la juridiction administrative (n° 80-119 DC, 22 juill. 1980, Loi portant validation d’actes administratifs, validation d’actes administratifs), compétence exclusive de la juridiction administrative en matière d’annulation d’actes administratifs (n° 86-224 DC, 23 janv. 1987, Loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence, Conseil de la concurrence), libertés universitaires (n° 83-165 DC, 20 janv. 1984, Loi relative à l’enseignement supérieur, Libertés universitaires), justice pénale des mineurs (n° 2002-461 DC, 29 août 2002, Loi d’orientation et de programmation pour la justice, Loi Perben). Aujourd’hui, toutefois, les droits de la défense sont rattachés, comme le droit à un procès équitable, à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (n° 2006-535 DC, 30 mars 2006, Loi pour l’égalité des chances, CPE, contrat première embauche, contrat de responsabilité parentale, cons. 24, et n° 2006-540 DC, 27 juill. 2006, Loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, DADVSI, cons. 11).
  • 20Observations du gouvernement sur les recours contre la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, J.O., n° 114, 18 mai 2013, p. 8307, n° 13.
  • 21« Le mariage homosexuel ou l’arbre qui cache la forêt », Claire Neirinck, Droit de la famille, oct. 2012, p. 8 et s.
  • 22Outre les hypothèses évoquées plus haut où une convention internationale liant la France aurait pour conséquence de prohiber le mariage entre personnes de même sexe.
  • 23Civ. 1re, 8 juill. 2010, n° 09-12623, Bull. civ. I. 158.
  • 24Cons. constit., 15 janv. 1975, n° 74-54 DC, Loi relative à l’interruption volontaire de la grossesse, cons. 3.
  • 25Cons. constit., 16 mai 2012, n° 2012-248 QPC, Mathieu E.
  • 26Cons. constit., 30 sept. 2011, n° 2011-173 QPC, Louis C. et a.
  • 27Cons. constit., 9 nov. 1999, n° 99-419 DC, Loi relative au pacte civil de solidarité, cons. 77 et 78.
  • 28« Avant de délivrer l'agrément, le président du conseil général doit s'assurer que les conditions d'accueil offertes par le demandeur sur les plans familial, éducatif et psychologique correspondent aux besoins et à l'intérêt d'un enfant adopté » (art. R. 225-4 du CASF, alinéa 1er).

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