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Pour l’unité de la magistrature

Par BERTRAND LOUVEL | LEXTIMES.FR |

La magistrature française est scindée en deux groupes depuis que Bonaparte a résolu de placer la Justice sous le contrôle de l’Exécutif : d’une part, les magistrats du siège, d’autre part, ceux du ministère public ou du parquet.

Les magistrats du siège, qui ont la mission de juger, c’est-à-dire de trancher entre des intérêts contraires, bénéficient pour remplir cette mission de garanties d’indépendance constitutionnelles spécifiques. La hiérarchie du siège (Cour de cassation, premiers présidents des cours d’appel, présidents des tribunaux de grande instance) est nommée sur la proposition de la formation du siège du Conseil supérieur de la magistrature, et les autres juges des cours et des tribunaux sont nommés sur son avis conforme.

Les magistrats du ministère public, qui ont notamment la mission d’exercer les poursuites contre les auteurs présumés d’infractions pénales, et qui, dans l’exercice de cette mission, appliquent les directives de politique pénale définies par le gouvernement (ce qui justifie l’existence d’un ministre de la Justice), bénéficient légalement d’une indépendance de principe pour l’exercice des poursuites individuelles, mais les garanties constitutionnelles de leur indépendance statutaire sont moindres que celles des magistrats du siège.

En effet, tous les magistrats du ministère public sont nommés sur la proposition du ministre de la justice, et l’avis qu’émet la formation du parquet du Conseil supérieur de la magistrature sur ses propositions n’est qu’un avis simple que le ministre a la faculté, consacrée par la Constitution, de ne pas suivre.

Il résulte de ce système de carrière dualiste une culture de suspicion largement répandue à l’égard de l’indépendance effective du parquet dans l’exercice de l’action publique. Cette suspicion, par capillarité, atteint la justice dans son ensemble, y compris l’activité pénale des magistrats du siège en ce que celle-ci dépend pour l’essentiel de l’initiative des magistrats du ministère public.

Le moyen d’échapper enfin à cette suspicion consiste à réaliser l’unité effective du corps des magistrats en les soumettant tous au même statut garanti par un Conseil supérieur de la magistrature lui-même unique.

Les cours et tribunaux seraient ainsi composés d’une seule catégorie statutaire de magistrats aux fonctions différenciées. Déjà, il existe aujourd’hui, au sein de la magistrature du siège, des fonctions spécialisées, comme celle du juge d’instruction qui ne permet pas à ce magistrat de juger les affaires qu’il a instruites. On peut aisément concevoir que, sur ce modèle, la fonction de poursuite soit confiée à un magistrat qui, pour être spécialisé dans cette attribution particulière, n’en appartiendrait pas moins au tribunal ou à la cour, plutôt que d’être seulement placé auprès du tribunal ou de la cour comme c’est le cas actuellement.

En effet, le particularisme de la fonction de procureur à la poursuite, consistant à mettre en œuvre la politique pénale du gouvernement, n’établit pas par sa nature une distance infranchissable avec les magistrats du siège qui, selon la même logique, ont quant à eux le devoir d’appliquer les lois voulues par le législateur.

Ainsi, sans remettre en cause la dualité des fonctions de poursuite et de jugement, entre lesquelles aucune confusion ne peut évidemment exister, la réalisation de l’unité statutaire des magistrats et de leurs garanties d’indépendance, en mettant fin à la dépendance organique du ministère public à l’égard du gouvernement, permettrait d’établir solidement la confiance publique entre les Français et leur justice.
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Bertrand Louvel est le premier président de la Cour de cassation.

 

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