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Que doit attendre l'Europe d'un gouvernement Syriza ?

Par PAVLOS VASILOPOULOS | LEXTIMES.FR |

Dans une conjoncture économique asphyxiante, la Grèce retourne aux urnes dimanche pour la troisième fois en l’espace de seulement trois ans. La bataille électorale oppose Nouvelle Démocratie, le parti conservateur actuellement au pouvoir et favorable aux plans de sauvetage de la Grèce, à Syriza, un parti de gauche opposé aux politiques d’austérité. A première vue, le contexte électoral semble donner gagnant Nouvelle Démocratie: d’une part, le chômage a chuté de 2,3 points au mois de septembre pour atteindre son niveau le plus bas depuis deux ans (25,7 %); d’autre part l’économie grecque retrouve la croissance (0,6 %) depuis le mois de novembre, après six années consécutives de récession. De surcroit, les efforts consentis par le gouvernement actuel ont été salués à la fois par l’Union européenne et les institutions financières. Plus décisif encore, les discours alarmistes que prononcent certains dirigeants européens, et qui ont joué un rôle clé dans la victoire de la Nouvelle Démocratie en 2012, s’amplifient. Lors d’un entretien le mois dernier, Jean-Claude Juncker a mis en garde l’électorat grec contre les conséquences d’un “mauvais résultat électoral” pour la Grèce et la zone euro, tandis que le gouvernement Merkel a lié le maintien de la Grèce dans l’UE à son résultat électoral. Or, malgré de telles pressions externes, et en dépit du spectre de la faillite qui hante le pays, le peuple grec ne semble guère convaincu. Selon les derniers sondages, Syriza a de fortes chances de remporter les suffrages ce dimanche. Comprendre pourquoi Syriza demeure si populaire permet de mieux appréhender l’avenir de la Grèce et de la zone euro. 

Il est important de rappeler que, malgré son étiquette “radicale”, le programme de Syriza s’est progressivement édulcoré. Au lieu de promouvoir la suppression du plan de sauvetage, le parti vise désormais à sa renégociation afin d’atténuer l’austérité et obtenir un allègement la dette, comme cela a été le cas en Allemagne en 1953, et ce qui — selon les leaders du parti — est indispensable pour relancer l’économie. Dans ce sens, le programme soutenu par Syriza en 2015 n’est pas radicalement différent des promesses faites par Nouvelle Démocratie en 2012, promesses qui ont par ailleurs été abandonnées dès que le gouvernement s’est soumis aux mesures d’austérité exigées par les créanciers de la Grèce. La possibilité d’un changement de cap post-electoral de la part de Syriza est anticipé par ceux qui préconisent l’austérité en Europe ; or un tel revirement serait en réalité considérablement plus difficile cette fois-ci à réaliser, et ce principalement pour deux raisons. Tout d’abord, bien que le parti se réoriente vers le centre-gauche, un grand nombre des élus Syriza viendrait de l’aile gauche radicale du parti et serait donc réticent à faire des concessions en faveur des politiques d’austérité. Deuxièmement, un revirement politique est d’autant plus difficile à réaliser que le clivage entre les bases électorales de Nouvelle Démocratie et Syriza est conséquent. Alors qu’en 2012, Nouvelle Démocratie était parvenu à s’attirer le soutien des classes supérieures prêtes à faire des sacrifices afin de s’assurer que la Grèce ne ferait pas faillite, la base électorale de Syriza est principalement constituée de ceux qui ont souffert le plus de la crise, à savoir les jeunes, les classes inférieures et les chômeurs. Syriza semble être le choix des électeurs qui se sentent privés de protection sociale, qui n’ont rien à perdre et qui sont prêts à encourir des risques pour améliorer leur propre situation économique. C’est pour cette raison que la pression extraordinaire exercée par les représentants de l’UE et le gouvernement au pouvoir n’a pas les effets escomptés sur de nombreux électeurs grecs. Et plus important encore, cela démontre aussi que contrairement à Nouvelle Démocratie en 2012, Syriza dispose de peu de marge de manœuvre politique.

Syriza a en effet réussi à susciter beaucoup d’espoir parmi ses électeurs. Le parti a notamment promis d’augmenter le salaire minimum, de garantir la gratuité des soins médicaux, de proposer des bons alimentaires ainsi que la prise en charge du coût de l’électricité pour les plus démunis. Si de telles promesses semblent pertinentes dans un pays européen où 3,9 millions de personnes vivent dans la pauvreté et où 2,5 millions ne bénéficient plus d’assurance maladie, il est peu probable que les créanciers de la Grèce acceptent une demande d’allégement significatif de la dette. D’où la possibilité d’un sort tragique pour la Grèce et la zone euro dans son ensemble. Que Syriza gouverne avec une majorité ou au sein d’une coalition, le parti serait obligé de négocier l’avenir du pays sans pouvoir repenser ses promesses électorales. Un éventuel effondrement d’un gouvernement Syriza laisserait la Grèce paralysée, avec des conséquences incertaines pour son économie fragile et son système politique polarisé. Les créanciers du pays seraient dès lors confrontés à un choix difficile : soit soulager la Grèce de l’austérité afin d’atténuer les effets des difficultés économiques sévères que connait le pays, ce qui ne ferait que nourrir les critiques des eurosceptiques, soit encourir le risque d’un affrontement. Eviter une telle catastrophe, qui pourrait avoir des répercussions imprévisibles pour la Grèce, la zone euro et le projet d’intégration européen dans son ensemble, constitue un défi considérable pour les gouvernements européens et la nouvelle commission Juncker.
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* Pavlos Vasilopoulos est chercheur associé au CEVIPOF-Sciences Po (traduit de l’anglais).

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