Réforme Macron : Juges et greffiers des tribunaux de commerce en grève

Les juges consulaires des tribunaux de commerce ont annoncé vendredi un arrêt illimité d'activité « à compter du lundi 8 décembre », mais Christiane Taubira invité à leur congrès national à Nice a cherché l'apaisement en rapatriant dans son ministère la réforme de la justice commerciale.
Les juges des tribunaux de commerce avaient déterré la hache de guerre vendredi, deux heures avant l'arrivée à Nice de la garde des Sceaux. La« suspension de toute activité juridictionnelle » à compter du 8 décembre a été décidée à la quasi-unanimité lors d'un conseil d'administration de la Conférence générale des juges consulaires de France, avait annoncé son président Yves Lelièvre.
La France compte 135 tribunaux de commerce, où siègent 3 200 juges consulaires, tous issus du monde de l'entreprise et qui se mettent bénévolement au service de la justice commerciale. Motif de leur colère : deux articles jugés irrecevables inscrits dans un nouveau projet de réforme du ministre de l'économie Emmanuel Macron.
Le gouvernement souhaite permettre à des juges des tribunaux de commerce d'aller siéger au côté de juges professionnels dans des chambres commerciales spécialisées, au sein des 36 cours d'appel françaises. Cette pratique de« l'échevinage » — mélange de juges professionnels et non professionnels — uniquement pour des affaires allant en appel est toutefois catégoriquement rejetée par les bénévoles des tribunaux de commerce, de
crainte que cette mixité ne s'applique un jour chez eux par voie parlementaire.
La justice du XXIe siècle
Les magistrats professionnels sont présents dans les tribunaux de commerce mais seulement par le biais de représentants du ministère public. Le projet de loi de M. Macron prévoit aussi l'institution, au sein d'une cour d'appel, d'un tribunal de commerce spécialisé, lorsque le nombre de salariés ou le chiffre d'affaires de l'entreprise en difficulté sont supérieurs à certains seuils.
Accueillie froidement, la ministre de la justice a rendu hommage vendredi au« statut particulier et singulier » des juges bénévoles des tribunaux de commerce, en soulignant que la réforme avait pour but de « renforcer leur légitimité auprès des autres acteurs judiciaires » et de « croiser les cultures professionnelles ».
Rappelant que l'échevinage en première instance dans les tribunaux de commerce était un engagement de campagne de François Hollande, Mme Taubira a toutefois noté que cette mesure ne figurait pas dans le projet du ministère de l'économie. La mixité des juges dans les tribunaux entraînerait en outre la mobilisation de quelque 300 magistrats professionnels, une mesure jugée trop coûteuse selon elle. « Il y a des contentieux plus complexes qui nécessitent une technicité plus pointue », a-t-elle aussi argué.
Mais la garde des sceaux avait réservé une surprise dans sa conclusion, suscitant enfin les applaudissements mais aussi des interrogations. « Il y a deux jours de cela, j'ai obtenu du premier ministre que le texte sur la justice commerciale soit sortie du projet de loi croissance et attractivité » d'Emmanuel Macron. La garde des sceaux portera donc elle-même la réforme des tribunaux de commerce dans son projet de loi sur « la Justice du 21e siècle », qui sera présenté début 2015, a précisé son ministère dans un communiqué. Le texte de Mme Taubira mettra en œeuvre un nouveau statut des juges consulaires et des administrateurs et mandataires judiciaires, et créera des juridictions spécialisées pour les affaires les plus importantes.
Les juridictions commerciales ont totalisé plus de 67 000 procédures collectives en 2013. Quelque 850 000 salariés étaient concernés, parmi lesquels 300 000 salariés dans le cadre des redressements et liquidations judiciaires et 550 000 salariés au titre des procédures préventives.
De leur côté, les greffiers des tribunaux de commerce ont annoncé qu'ils n'assureront qu'un service minimum jeudi et vendredi prochain et participeront à la journée de mobilisation des professionnels du droit contre le projet de loi Macron, prévue le 10 décembre. Réunis en assemblée générale jeudi, les greffiers ont décidé de mettre en place « un service minimum » dans les greffes les 4 et 5 décembre, dates auxquelles les services en ligne du site infogreffe.frseront également suspendus. Ils participeront à la journée de manifestation des professions du droit le 10 décembre, jour d'examen du projet de loi Macron sur les professions réglementées au conseil des ministres contre lequel ils protestent.
Dans un communiqué, les greffiers estiment notamment que ce projet de loi aura des « effets néfastes » qui se traduiront « par une remise en cause de l'accès au droit, de la sécurité juridique des actes et un dysfonctionnement certain de la justice commerciale ». Ils attirent également l'attention du gouvernement sur « les risques que fait peser le projet de loi sur l'emploi dans les greffes en ce qu'il remet en cause l'équilibre financier des offices ».