Action de concert : L’État et Bouygues doivent lancer une OPA sur Alstom

Rebondissement spectaculaire dans le dossier Alstom,« l’État et la société Bouygues agissent de concert », a jugé jeudi l’Autorité des marchés financiers (AMF) mais ne leur a toutefois pas encore rappelé qu’ils sont dans l’obligation de lancer une offre publique d’achat (OPA) dans la mesure où ils détiennent ensemble plus de 30 % des titres et des droits de vote de la société dont le pôle énergie a été cédé à General Electric pour 12,35 milliards d’euros.

L’action de concert est définie par l’article L. 233-10 du code du commerce comme étant le fait pour deux ou plusieurs personnes de conclure « un accord en vue d'acquérir, de céder ou d'exercer des droits de vote, pour mettre en œuvre une politique commune vis-à-vis de la société ou pour obtenir le contrôle de cette société ».

Pour retenir que l’État et Bouygues agissent de concert, le gendarme de la bourse a procédé à une analyse juridique fine et minutieuse des clauses (options de vente, prêt de titres, droits de vote, nombre d’administrateurs,…) du protocole d’accord conclu le 22 juin 2014 entre la République française et le conglomérat Bouygues pour considérer que cette convention formalise « un accord en vue d’acquérir, de céder ou d’exercer des droits de vote, pour mettre en œuvre une politique commune vis-à-vis de la société Alstom » laquelle consiste notamment en « un projet devenu commun, la réalisation de l’alliance avec General Electric, qu’aucune des parties ne pouvait conduire sans l’accord de l'autre ». 

Cela doit être une « surprise » de taille pour le ministre de l’économie et du redressement productif Arnaud Montebourg et le conglomérat de Martin Bouygues car la transmission de la convention à l’AMF avait pour « seul but »d’obtenir « la confirmation de l’absence de concert […] du fait de la conclusion du […] contrat » et dans le cas contraire, les deux parties disaient s’être engagées « à ne rien faire qui aurait pour effet de les faire franchir de concert le seuil de 30 % du capital ou des droits de vote d’Alstom », allant même jusqu’à préciser que « la partie qui aurait manqué à cette obligation sera seule responsable des conséquences de ce manquement et notamment de toute offre publique obligatoire qui pourrait être exigée en conséquence ».

La CDC a 0,9 % du capital d'Alstom, Arnaud Montebourg, 28 avr. 2014, RTL.

Or, selon les informations disponibles, la participation de Bouygues dans Alstom est de 29,33 % et celle de l’État via la Caisse des dépôts et consignations (CDC) est de 1,01 %, soit une participation globale cumulée de 30,34 %. Participation que M. Montebourg ne peut feindre d’ignorer puisqu’il en a lui-même fait état, le 28 avril 2014, à l’occasion d’un entretien (à environ 05:40) avec Jean-Michel Apathie de RTL lors de l’annonce de la première offre de General Electric au cours duquel il se plaignait d’avoir été laissé à l’écart des négociations. « La Caisse des dépôts et consignations a 0,9 % du capital d’Alstom et pourtant malgré cette présence ultra-minoritaire [de l’État], nous savons qu’Alstom vit de la commande publique et du soutien à l’exportation […] l’État est très présent dans le soutien de cette entreprise », expliquait alors le ministre.

C’est l’article L. 433-3 du code monétaire et financier, qui renvoie au règlement général de l’AMF pour les modalités pratiques (art. 234-1 et suivants en matière de dépôt obligatoire d’un projet d’offre publique), qui dispose que toute personne « agissant seule ou de concert […] venant à détenir, directement ou indirectement, plus des trois dixièmes du capital ou des droits de vote […] est tenue d'en informer immédiatement l'Autorité des marchés financiers et de déposer un projet d'offre publique […] ».

L’article 234-2 du règlement général de l’AMF précise, quant à lui, que« lorsqu'une personne physique ou morale, agissant seule ou de concert […], vient à détenir, directement ou indirectement, plus de 30 % des titres de capital ou des droits de vote d'une société, elle est tenue à son initiative d'en informer immédiatement l'AMF et de déposer un projet d'offre publique visant la totalité du capital et des titres donnant accès au capital ou aux droits de vote, et libellé à des conditions telles qu'il puisse être déclaré conforme par l'AMF./ Le projet d'offre publique ne peut comporter aucune clause prévoyant la présentation nécessaire d'un nombre minimal de titres pour que l'offre ait une suite positive […] ».

Détenant ensemble une participation de 30,34 % dans Alstom, l’État et Bouygues devraient donc normalement déposer une OPA sur Alstom pour éviter d’y être obligés par l’AMF ou judiciairement. Judiciairement car, a priori, interrogée vendredi par LexTimes.fr, l’AMF semble un peu dubitative et estime que la convention vise l’Agence des participations de l’État (APE) et que la CDC ne serait pas « concernée » par cette convention mais nous a néanmoins invités à interroger l’APE qui, elle, n’a pas encore réagi. Bouygues, non plus.

La convention a été conclue au nom de la République française « représentée par l’Agence des participations de l’État, qui pourra substituer totalement ou partiellement toute entité de son choix contrôlée par l’État, y compris Bpifrance »et la CDC est bien évidemment concernée par cet accord avec Bouygues puisqu’elle est contrôlée à 100 % par l’État et que elle-même contrôle Bpifrance.

Ayant vu, depuis trois mois, le titre Alstom fluctuer au gré des déclarations ministérielles de 21,39 euros à 30,95 euros et de plus de 30 euros à moins de 26 euros alors que les trois quarts du groupe industriel français a été cédé pour 12,35 milliards d’euros, soit environ 40 euros par titre, au géant américain General Electric, les petits actionnaires semblaient s’activer dès samedi sur leforum Alstom de Boursorama pour réclamer au gendarme de la bourse, par courriels et par recommandés, de veiller « à l'intérêt des petits actionnaires » en obligeant « l’État et Bouygues à respecter la loi »

L’occasion rêvée pour l’AMF de démontrer qu’elle est effectivement « une autorité administrative indépendante ». Mais l’est-elle vraiment avec son ancien président, Jean-Pierre Jouyet, nommé il y a moins de trois mois au secrétariat général de la présidence de la République ?

À 10h00, dans un marché en baisse de 0,33 % à 4454,07 points, Alstom est en hausse de 0,44 % à 26,415 € et Bouygues est en hausse de 0,27 % à 30,175 €.