Aides d'État : Bruxelles enquête sur le traitement fiscal accordé à Engie par le Luxembourg

Il n’y a pas que les multinationales américaines qui utilisent toutes les ficelles pour payer le moins d’impôt possible. L’un de nos leaders nationaux, la société GDF Suez devenue Engie n’est pas en reste, elle est soupçonnée d’avoir négocié avec le Grand-Duché de Luxembourg un traitement fiscal fort particulier entraînant « de toute évidence, selon la Commission européenne qui a ouvert hier une enquête approfondie, une double non-imposition ».
Depuis septembre 2008, explique la Commission, le Luxembourg a émis plusieurs décisions fiscales (tax rulings) concernant le traitement fiscal de deux transactions financières effectuées entre quatre sociétés du groupe GDF Suez, toutes les quatre basées au Luxembourg. Ces transactions financières, poursuit la Commission, sont des emprunts convertibles en actions pour lesquels le prêteur ne perçoit aucun intérêt. Le premier de ces emprunts convertibles a été accordé en 2009 par LNG Luxembourg (le prêteur) à GDF Suez LNG Supply (l’emprunteur) et le second en 2011 par Electrabel Invest Luxembourg (le prêteur) à GDF Suez Treasury Management (l’emprunteur).
Une même transaction est traitée différemment, relève la Commission. Pour l’emprunteur, il s’agit d’un emprunt mais pour le prêteur, il s’agit d’une prise de participation avec la conséquence que « l’emprunteur peut constituer une provision pour les intérêts dus au prêteur et que les revenus perçus par le prêteur sont considérés comme un dividende rémunérant une prise de participation non imposable ».
Fort humblement faut reconnaître qu’on s’y perd un peu dans les explications fournies par la Commission dans son communiqué car s’agissant d’un emprunt sans intérêt convertible en actions, comment se fait-il que l’emprunteur puisse constituer une provision pour les intérêts dus au prêteur et quand bien même le pourrait-il, la provision sera annulée si les intérêts provisionnés ne sont pas effectivement versés au prêteur. Et seconde question de même importance cruciale, d’où proviennent ces revenus perçus par le prêteur sur un emprunt convertible sans intérêt ?
Mais c’est là que tout le génie des équipes de GDF Suez, associé à la réglementation luxembourgeoise et aux tax rulings brillamment négociés avec l’administration fiscale grand-ducale, réalise des prouesses qui n’ont rien à envier à tous les Google, Microsoft et autres Amazon de l’oncle Sam.
Les tax rulings négociés par GDF Suez avec le Luxembourg prévoient, en effet, notamment, que pour chaque emprunt convertible à taux zéro, l’emprunteur est autorisé à enregistrer dans sa comptabilité une provision pour intérêts débiteurs qui réduit d’autant son bénéfice imposable mais sans pour autant augmenter celui du prêteur puisqu’il ne les perçoit pas.
Lorsque l’emprunt est converti en actions — et c’est là que réside tout le stratagème critiqué mis en place — ce sera le montant majoré des intérêts provisionnés qui sera attribué au prêteur permettant ainsi à l’emprunteur de minorer son résultat en amont par le provisionnement d’intérêts non versés et à l’emprunteur de ne pas payer d'impôt ensuite sur ces intérêts assimilés à un versement de dividende lié à une prise de participation.
Si cette enquête devait effectivement confirmer les faits dont il est fait état, le dossier est d’autant plus grave pour la société et le gouvernement que l’État français est le premier actionnaire d’Engie [FR0010208488, ENGI] avec une participation de 32,76 %, outre 1,88 % via la CDC et 1,77 % via la CNP. À 11h50, le titre, 12ème capitalisation boursière de la place de Paris, est en baisse de 0,07 % à 13,74 euros, ce qui valorise le groupe à 32,4 milliards d’euros.