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Assises : Le pouvoir de juger du motif de refus d'un avocat d'être commis d'office

Par Nicolas de Will | LEXTIMES.FR |
Frank Berton. DR. Frank Berton. DR.

La formation plénière du Conseil régional de discipline des avocats du ressort de la cour d'appel de Douai a accepté, le 13 novembre 2017, de transmettre à la Cour de cassation une question prioritaire de constitutionnalité (QCP) soumise par l’avocat pénaliste parisien François Saint-Pierre et l’ancien bâtonnier d’Amiens Hubert Delarue dans l’intérêt de leur confrère pénaliste lillois Frank Berton poursuivi par le parquet général de Douai pour avoir refusé d’être commis d’office par le président d’une cour d’assises dans le cadre d’un procès criminel qui s’est tenu en 2014.

L’article 9 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques dispose en effet que « l'avocat régulièrement commis d'office par le bâtonnier ou par le président de la cour d'assises ne peut refuser son ministère sans faire approuver ses motifs d'excuse ou d'empêchement par le bâtonnier ou par le président ». Ainsi, en cas de commission d’office par le président d’une cour d’assises, seul ce même président aura à apprécier les éventuels motifs d’excuse de l’avocat « sans avoir à motiver sa décision et sans aucun recours ».

Au cas particulier, Frank Berton assurait en 2013, avec son confrère Éric Dupond-Moretti, la défense d’un accusé devant la cour d’assises de Saint-Omer (Pas-de-Calais), condamné à 29 ans de réclusion criminelle en première instance. En indélicatesse avec l’avocat général Luc Frémiot dès l’ouverture des débats et suspectant la présidente de la cour d’assises, Sophie Degouys, de partialité dans ce procès qu’ils ne « voulaient plus cautionner », les deux avocats ont été amenés, après avoir soulevé quelques exceptions de procédure (dépaysement, récusation,…), à renoncer à assurer la défense de leur client et c’est dans ces circonstances fort particulières et exceptionnelles que Mme Degouys avait estimé pouvoir commettre d’office, en application de l’article 9 de la loi de 1971 précitée, Me Berton pour que le procès puisse reprendre son cours normal. Il refuse et est poursuivi disciplinairement, trois ans plus tard, à la demande du parquet devant ses pairs.

Au-delà du particularisme et du caractère tout-à-fait exceptionnel de cette commission d’office, ce qui est en jeu à l’occasion de cette QPC c’est le caractère discrétionnaire de l’examen des motifs d’excuse de l’avocat — qui peuvent relever du secret professionnel (culpabilité de l’accusé, cas de conscience,…) auquel il est par ailleurs tenu — qui doivent être confiés au président de la cour d’assises et que ce dernier peut écarter d’un revers de main un motif qui le vise directement et personnellement sans avoir à en justifier ni que cela puisse faire l’objet d’un recours ni même que le bâtonnier puisse donner son avis sur la pertinence du motif d’excuse allégué par l’avocat pour refuser la mission qui lui est confiée.

C’est l’indépendance de l’avocat, et du barreau plus généralement, vis-à-vis des magistrats qui est au centre de la question soulevée et si les avocats ne contestent nullement à un président de cour d’assises qu’il puisse continuer à avoir le pouvoir de commettre un avocat d’office, ce qu’ils dénoncent c’est l’absence de contrôle réel quant au motif d’excuse invoqué et réclament donc que ce pouvoir de contrôle et d’appréciation du motif d’excuse invoqué par l’avocat en cas de refus soit transféré au bâtonnier pour deux raisons. L’avocat pourra confier à son bâtonnier, sans risque pour l’accusé, le motif réel pour lequel il ne peut vaquer d’une part, et, d’autre part, si le bâtonnier retient le motif d’excuse comme justifié pourra aussitôt commettre un autre avocat en toute connaissance de cause.

Si la Cour de cassation considère la question1 comme sérieuse et pertinente, le Conseil constitutionnel aura alors l’occasion de rendre au barreau l’indépendance qui lui fait défaut sur ce point. Tous les avocats font bloc. Après le barreau de Lille et le Conseil national des barreaux (CNB), c’est l’Union internationale des avocats (UIA) qui a apporté mercredi son soutien à Me Berton et à sa QPC qu’ils vont suivre de très près.

 

  • 1Question enregistrée le 22 nov. 2017, n° E 17-90025 : L’article 9 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques qui dispose que « L’avocat est régulièrement commis d’office par le bâtonnier ou par le président de la cour d’assises ne peut refuser son ministère sans faire approuver ses motifs d’excuse ou d’empêchement par le bâtonnier ou par le président » est-il contraire à la Constitution du 4 octobre 1958, au regard des articles 7 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ainsi qu’aux droits de la défense qui résultent des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, en ce que cette disposition, telle qu’elle est interprétée par la Cour de Cassation, suivant une jurisprudence constante, confère au seul président de la cour d’assises le pouvoir de rejeter les motifs d’excuse de l’avocat qu’il a lui-même commis d’office, sans motivation ni recours ?

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