Aller au contenu principal

Assises : Prison avec sursis pour deux anciens magistrat et notaire accusés de faux

Par STÉPHANE MALKA | LEXTIMES.FR |

Les deux accusés condamnés hier par la cour d'assises de Paris présentent un profil particulièrement rare. Hughes Verita, 63 ans, est un ancien magistrat.

Il écope de trois ans de prison avec sursis pour avoir imité la signature de son épouse sur des actes dits "authentiques", établis par un notaire. Marc Gorfinkiel, 57 ans, est le notaire en question. Il s'en sort, quant à lui, avec un an de prison avec sursis et 1 000 euros d'amende.

Retour sur une affaire sensible, à travers les réquisitions du procureur et les plaidoiries des avocats, qui ont permis de mieux comprendre les tenants et les aboutissants du dossier...

Les réquisitions du parquet

Il est environ 14 heures lorsque l'avocat général Bruno Sturlese prend la parole. Il rappelle les faits.

Hughes Verita, révoqué en 2003 de la magistrature, a admis avoir imité la signature de son ex-épouse, sans son accord, dans trois actes notariés. Dans deux actes établis en mai 1995, il la faisait passer pour co-emprunteur de fortes sommes d'argent. Dans un troisième acte daté de juillet 1997, elle apparaissait comme caution hypothécaire d'un emprunt de 180 000 euros.

L'avocat général évoque les "appétits matériels" de l'accusé, qui l'auraient enfermé dans une "spirale de malhonnêteté". Il parle de "cupidité" et d'"absence de scrupules". Ces vices l'auraient poussé à se comporter comme un faussaire, et à entraîner dans sa chute l'un de ses amis notaires, à qui il a demandé d'authentifier de faux actes.

Bruno Sturlese évoque des défauts "incompatibles avec le statut de magistrat", et aux "antipodes avec le serment de magistrat". Les mots sont durs: en agissant comme il l'a fait, Hughes Verita aurait dévoyé son "titre prestigieux".

Se faisant ensuite plus compatissant, l'avocat général dit vouloir éviter le"lynchage aisé" et l'"acharnement facile". Il décrit une vie marqué par l'échec. Celle d'un homme "aujourd'hui employé de supérette, qui n'est plus rien, n'a plus rien, et qui a perdu l'essentiel, sa dignité".

Il demande à son encontre 3 ans de prison avec sursis. La peine à laquelle il sera finalement condamné.

Vient le tour de l'autre accusé, Marc Gorfinkiel. Le notaire a cru sur parole son ami Hughes Verita, et a authentifié les actes sans même s'assurer que l'épouse les avaient bien signés. Il a entièrement reconnu cette faute lourde. L'avocat général commence par évoquer son "incroyable et coupable légèreté". "Vous vous êtes laissé instrumentaliser et vous avez oublié l'essence même de votre fonction", lui reproche-t-il.

L'amitié pourrait paraître une excuse. Mais l'avocat général a un point de vue très différent. La vigilance du notaire aurait dû être alertée. Il savait que le couple était séparé. Il connaissait Verita, il savait que c'était un "débiteur à haut risque", "tout le temps en train d'emprunter".

Le jeu de mots est facile, dans toutes les têtes, mais l'avocat général n'hésite pas, pour l'occasion, à le faire à voix haute. "Vous connaissiez Hughes Verita personnellement, vous saviez que ce n'était pas un homme de vérité".

Il dénonce l'absence totale de tout professionnalisme, avant de poser une question à laquelle les débats ne permettront pas d'apporter une réponse: "avez-vous fait cela uniquement pour être agréable à M. Verita ? Ou pour d'autres raisons inavouables ? On peut s'interroger".

Il demande aux juges de le déclarer coupable, et de le condamner à une amende de 50 000 euros.

Plaidoirie de l'avocat du notaire

Me Frank Berton prend la parole pour défendre son client, Marc Gorfinkiel.

"Il est jugé 17 ans après les faits, c'est pire que le procès Chirac...", constate-t-il tout d'abord.

Sa plaidoirie est brève. Les faits sont établis et reconnus.

Il revient sur l'argument du procureur, selon lequel le notaire savait que M. Verita était séparé de son épouse, et aurait donc dû être doublement attentif. L'avocat rappelle qu'à l'époque des actes falsifiés, le couple était parti en croisière ensemble, donc gardait des relations. Son client était leur ami et savait qu'ils n'étaient pas réellement brouillés, continuaient parfois à se voir.

Il reconnaît que M. Gorfinkiel aurait dû faire signer les documents en présence des parties au lieu de les envoyer par la poste, et qu'il a "commis une erreur".

Puis il évoque Hughes Verita, qui n'a pas dit à son ami que les écrits étaient falsifiés. "Quand on a des amis comme lui on n'a pas besoin d'ennemis !", lance l'avocat, avant d'estimer que l'ex-magistrat aurait "dû présenter des excuses".

Le ton est donné. Il n'y aura pas de solidarité ni de compassion entre les accusés. Ils ne sont pas ensemble face à la justice, mais sont chacun au tribunal l'un à cause de l'autre.

Me Franck Berton conclut son court discours. "L'honneur est la seule chose qui lui reste avec la famille et les amis. Il a cédé son étude. Il est disqualifié professionnellement. Il n'a jamais pu parler de cette affaire à sa mère, qui est décédée. Il a commis un faux. La Caisse d'Épargne va se retourner contre lui, pour obtenir remboursement de l'emprunt en question. Vous allez le déclarer coupable. Je plaide quelque chose que je n'ai jamais plaidé: la dispense de peine".

Plaidoirie des avocats de Hughes Verita

L'ex-magistrat est défendu par deux jeunes avocats. Le premier à prendre la parole est Me Pierre Darkanian.

Il rappelle tout d'abord des questions de forme.

Si son client comparaît aujourd'hui, ce n'est pas pour avoir imité la signature de son épouse, car cette infraction est aujourd'hui prescrite. Il est poursuivi pour complicité de faux d'un acte authentique. Concrètement, il a aidé un notaire à faire une grave faute professionnelle. C'est pour cela qu'il est aujourd'hui devant la justice. "Pourquoi alors requérir une peine plus grave pour lui que pour le notaire ?", relève Me Darkanian. On aura compris que la solidarité entre les accusés n'est définitivement pas de mise.

Le deuxième avocat s'appelle Me Benjamin Mathieu. Il revient en détail sur la biographie de l'accusé. Il décrit un destin étonnant, marqué par la lutte, le combat, et de stupéfiants coups du sort, plus ou moins heureux.

Hughes Verita grandit dans une famille peu aisée, sans père. Il doit se battre pour réussir. Il obtient ses diplômes de droit, fonde une famille. En 1984, il gagne au loto. Il empoche 2,36 millions de francs [359 780 €] au célèbre jeu de hasard. Cet incroyable coup de chance va bien vite se révéler une malédiction. Il dépense à n'en plus finir, se lance dans des investissements immobiliers faramineux,"prend goût au pouvoir".

L'avocat rappelle que ce cas de figure est très fréquent et que la Française des Jeux a même mis en place une cellule spéciale pour aider ses gagnants.

Les dettes s'accumulent. En 93/94, il "touche le fond financièrement", ce qui va le pousser à commettre les actes pour lesquels il est jugé aujourd'hui.

En 2003, l'ex-magistrat est décrit comme au bout du rouleau. Il est radié de ses fonctions, n'a plus de femme, plus de travail, et des dettes. Il fait une tentative de suicide et se rate.

Me Mathieu affirme que son client tente en ce moment de "se relever". "Il va travailler au Super-U pour avoir au moins un petit salaire, sa vie n'est pas ratée définitivement, il essaye de bâtir sa réinsertion dans la société", plaide-t-il. "On a demandé le huis-clos pour cela, protéger sa fille et son petit-fils". Mais ils ne l'ont pas obtenu.

Les plaidoiries s'achèvent. Les accusés ont chacun le droit une dernière fois à la parole.

Sobre, Marc Gorfinkiel reconnaît une nouvelle fois sa faute et évoque "remords et regrets". Hughes Verita, en larmes, murmure des choses difficilement compréhensibles. On entend simplement que "c'est difficile" pour lui.

Les débats sont clos à 16 heures. La décision tombera quelques heures plus tard, en fin d'après-midi. 

 

Ajouter un commentaire