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Avocat en entreprise : Un avant-projet mal ficelé qui divise

Par Alfredo Allegra | LEXTIMES.FR |
Éric Dupont-Moretti ouvert à l'avocat en entreprise. Éric Dupont-Moretti ouvert à l'avocat en entreprise.

La Chancellerie planche sur l’avant-projet d’une loi portant sur l’expérimentation du salariat des avocats en entreprise a révélé vendredi le site Dalloz actualité qui en publie l’intégralité du contenu tout en précisant qu’il ne s’agit que d’un « pré-projet encore au stade préliminaire et soumis à concertation qui nécessitera de trouver un véhicule législatif adapté » mais il n’en a pas fallu plus pour que, quelques minutes plus tard, quatre des syndicats de la profession s’insurgent et disent « unanimement non » à cette idée qui revient régulièrement depuis trente ans.

Le « pré-projet » dévoilé par Dalloz1 , comprenant un seul chapitre intitulé « L’avocat salarié en entreprise » et sept articles modifiant notamment la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions juridiques et judiciaires, prévoit une expérimentation du salariat en entreprise pendant une période de cinq ans au sein des barreaux qui en auront manifesté le souhait avec, principalement, en ligne de mire Paris et Nanterre où sont concentrés un vaste échantillon d’entreprises, des avocats d’affaires souhaitant travailler en entreprise et des juristes d’entreprise souhaitant se draper du titre d’avocat.

Le juriste d’entreprise devenu avocat ou l’avocat acceptant de se faire salarier par une entreprise ne pourrait exercer, selon les prémices de cet avant-projet, ni fonctions judiciaires ni se voir confier de missions par la justice ni plaider —si ce n’est pour son employeur et uniquement lorsque la représentation par avocat n’est pas obligatoire — ni même exercer la profession sous une autre forme ou structure et il n’aurait même pas besoin de justifier d’avoir souscrit une assurance responsabilité civile professionnelle, c’est ce qui fait dire à bon nombre d'avocats interrogés par LexTimes qu’il ne s’agirait en réalité que d’un ersatz d’avocat si on le compare notamment à son homologue allemand qui, lui, peut développer une clientèle personnelle dans le cadre d'un exercice libéral, en parallèle de son statut de juriste d’entreprise.

Cet ersatz d’avocat bénéficierait toutefois, sur papier, de l’indépendance lui permettant de refuser d’exécuter une mission contraire à ses convictions, serait astreint au secret professionnel et ses avis et analyses juridiques, portant la mention « avis juridique confidentiel », seraient couverts par la confidentialité pouvant être sanctionnée pénalement d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende mais son contrat de travail pourrait prévoir une clause de non-concurrence le privant, par exemple, de la possibilité de cumuler deux ou plusieurs temps partiels pour deux ou plusieurs entreprises différentes.

Si le Cercle Montesquieu dit avoir pris connaissance « avec une grande satisfaction » de ce pré-projet qui permettrait « d’unifier les professions d’avocat et de juriste d’entreprise et de placer la France au même niveau que les grandes démocraties occidentales en matière d’exercice du droit et de respect du secret professionnel mettant fin à une situation absurde et bloquée depuis plus de trente années », quatre des syndicats de la profession, le Syndicat des avocats de France (SAF), la Fédération nationale des unions de jeunes avocats (FNUJA), l’Avenir des barreaux de France (ABF) et la Confédération nationale des avocats (CNA), disent « unanimement non » et déclarent « dans une unité sans faille et avec force » qu’il ne « saurait être question de créer ni d’imposer ce nouveau statut qui n’a rien à voir avec un avocat », dénonçant, de la part de leur ancien confrère et actuel garde des sceaux Éric Dupont-Moretti, une « méthode inacceptable […] brutale et méprisante à l’égard du Conseil du national des barreaux récemment renouvelé » qui reste, pour l’instant, silencieux.

Dans un Flash info diffusé jeudi 21 janvier, le barreau de Paris indique qu'ayant pris connaissance de « l'avant-projet de loi concernant notamment l'expérimentation du statut d'avocat salarié en entreprise », le conseil de l'ordre « confirme » son intérêt à poursuivre la réflexion sur ce sujet mais « en l'état de cet avant-projet, il souhaite obtenir des modifications permettant de garantir le respect des principes fondamentaux qui gouvernent la profession d'avocat, dans le cadre d'un groupe de travail susceptible d'échanger avec l'ensemble des parties prenantes ».

Réuni en assemblée générale le 22 janvier, le Conseil national des barreaux (CNB) dit avoir voté, à 71,23 %, contre cet avant-projet et, après avoir rappelé qu'il s'est déjà opposé à plusieurs reprises à la création d'un statut d'avocat salarié en entreprise, dénonce « l'atteinte inacceptable que [ce projet] porterait à l'indépendance de l'avocat et à son secret professionnel », en « exige » le retrait pur et simple et s'oppose, même à titre expérimental, à la création d'un statut d'avocat salarié d'une entreprise tel que préconisé dans cet avant-projet. Une position fort bien éloignée de celle du barreau de Paris dominé par les gros cabinets nationaux et internationaux et de celle du Cercle Montesquieu où se côtoient avocats d'affaires et juristes d'entreprises.

 

  • 1« La Chancellerie avance sur l’avocat en entreprise et le legal privilege », Pierre Januel, 15 janv. 2021.

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