Avocats : Incarcération du bâtonnier tunisien Abderrazak Kilani

Le bâtonnier tunisien Abderrazak Kilani incarcéré par un tribunal militaire. Photo Ashoola/Wikimedia.
Le bâtonnier tunisien Abderrazak Kilani incarcéré par un tribunal militaire. Photo Ashoola/Wikimedia, mars 2013.

Le Conseil national des barreaux (CNB) dit avoir appris avec « stupeur » la mise aux fers, mercredi dernier, du bâtonnier Abderrazak Kilani à l’issue de sa comparution devant un juge d’instruction du tribunal militaire de première instance de Tunis pour avoir notamment « pris part à un attroupement de nature à troubler la paix publique dont l’objet [était] de commettre une infraction ou de s’opposer à l’exécution d’une loi, d’une contrainte ou d’un jugement ».

En janvier dernier, explique l’instance représentative des quelque 70 000 avocats de France, « nous avons été alertés des violences policières dont [aurait] été victime M. le bâtonnier Abderrazak Kilani et des poursuites dont il [faisait] l’objet à la suite d’une manifestation [qui a eu lieu le 14 janvier 2022, ndlr] à laquelle il participait, en sa qualité d’avocat, contre l’interdiction faite au député [Noureddine] Bhiri de sortir alors qu’aucune assignation à résidence ne lui [aurait] été communiquée » et une motion de soutien au bâtonnier Kilani avait été adoptée le 4 février 2022 par l’assemblée générale du CNB.

Les liens amicaux, professionnels et politiques entre Abderrazak Kilani, 67 ans, et Noureddine Bhiri, 63 ans, sont profonds et ne datent pas d’hier puisque tous deux sont avocats de profession inscrits au barreau de Tunis, tous deux évoluent dans la mouvance « islamiste conservatrice » et ont été à ce titre aux premières loges de la révolution arabe du printemps 2011 et, enfin, tous deux ont fait partie du gouvernement Jebali sous la présidence de Moncef Marzouki, le premier en tant que ministre délégué chargé des relations avec l’assemblée constituante et le second en tant que ministre de la justice.

Diplômé de deux universités françaises (Grenoble et Lyon), Abderrazak Kilani a été membre du conseil de l’ordre national des avocats de Tunisie (1998-2007), élu bâtonnier en 2010, il quittera ses fonctions, le 24 décembre 2011, pour entrer au gouvernement Jebali qui durera jusqu’au 13 mars 2013. Il sera ensuite ambassadeur, représentant permanent de la Tunisie auprès des Nations Unies à Genève, pendant un an, d’octobre 2013 à septembre 2014 et à l’élection présidentielle de 2014, il ne recueillera toutefois que 0,31 % des voix. En 2020, le gouvernement Mechichi le nomme président de l’Instance générale des résistants, martyrs et blessés de la révolution et des opérations terroristes.

En 2015, le prix Nobel de la paix avait été attribué au « Dialogue national tunisien », un quartette regroupant l'Ugtt (premier syndicat), l'Utica (patronat), l'Ordre des avocats et la Ligue des droits de l’Homme, « pour sa contribution à la transition démocratique en Tunisie depuis la révolution de 2011 ». Un dialogue qui semble définitivement ou momentanément enterré.

Avec cette incarcération d’un bâtonnier et d’un défenseur des droits de l’homme dont la seule faute aura été de vouloir défendre et de rendre visite à un client et ami, la Tunisie, à l’instar de la Russie dans des conditions encore plus dramatiques et inhumaines, marque toutefois le pas et fait un retour en arrière de plus de dix ans, ce qui explique la « vive indignation et inquiétude » du barreau français concernant cette « procédure, devant une juridiction miliaire, [qui] ne respecte pas les garanties devant être assurées aux avocats dans l’exercice légitime de leurs fonctions, et telles qu’elles sont protégées par les normes internationales ».