Avocats : Les fonds secrets du barreau de Paris mis à mal par trois gêneurs

À la demande de trois avocats membres du conseil de l’ordre, la cour d’appel de Paris a annulé deux résolutions du conseil de l’ordre de Paris du 18 juin 2013 approuvant les comptes de l’exercice 2012 et l’affectation du résultat au motif qu’il n’a pas été fourni à tous les membres du conseil toutes les informations pertinentes « en vue de son vote ».
En cause, une somme de 5 106 282 euros versée au cours de l’année 2012 à des « prestataires dont l’identité, la mission qui leur a été confiée et la rémunération qui leur a été versée n’ont pas été portées à [la] connaissance » des trois avocats poursuivants, Avi Bitton, Elizabeth Oster et Elisabeth Cauly, qui estimaient que cela constituait « une entrave à leur fonction de membres du conseil de l’ordre et caractérisait un abus de pouvoir commis par le bâtonnier » de l’époque, Christiane Féral-Schuhl. À cette somme s’ajoute, un autre poste pour un montant de 455 099 euros intitulé "honoraires autres" qui n’est pas davantage expliqué, soit un montant global opaque de 5 561 381 euros représentant à peu près un quart des cotisations ordinales versées par l’ensemble des avocats parisiens à l’ordre.
Pour sa défense, le conseil de l’ordre soutenait qu’il « ne relève évidemment pas des prérogatives du conseil de l’ordre de disposer de l’ensemble des informations "pour expliquer les flux financiers gérés par l’ordre des avocats de Paris", ni a fortiori de les recueillir au cours d’une séance d’approbation des comptes qui, en dépit de sa densité n’est pas destinée à procéder à des contrôles de détails, mais à vérifier, en présence des membres de la commission des finances, des services administratifs et financiers de l’ordre concerné et du commissaire aux comptes, la conformité des comptes au budget et le respect des procédures ».
Après avoir rappelé que, selon l’article 15 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, « chaque barreau est administré par un conseil de l’ordre élu pour trois ans » qui, aux termes de l’article 17, « gère les biens de l’ordre, prépare le budget, fixe le montant des cotisations des avocats relevant de ce conseil […], administre et utilise les ressources pour assurer les secours, allocations et avantages […] », la cour
L’information nominative de la rémunération versée aux confrères […] n’a pas à être communiquée
Christiane Féral-Schuhl, bâtonnier de Paris (2012-2013), 12 sept. 2013.
Les trois avocats fouineurs, relève la cour, n’ont pu obtenir « préalablement à la séance du 18 juin 2013 ni au cours de celle-ci [… les] informations précises et détaillées concernant leur demande particulière portant sur le règlement de la somme de 5 106 282 euros, les confrères qui en ont été destinataires et les missions qui en sont la justification » et de citer un paragraphe d’une lettre du 12 septembre 2013 de la bâtonnière Christiane Féral-Schuhl : « Pour être complète je vous précise qu’en effet, l’information nominative de la rémunération versée éventuellement aux confrères qui ont reçu le versement d’honoraires de notre ordre, suivant les procédures validées par la commission des finances, n’a pas à être communiquée, comme n’étant pas pertinente pour procéder à l’arrêté des comptes, dûment certifiés par les commissaires aux comptes » duquel il ressort clairement que le conseil de l’ordre n’a pas et n’entend pas communiqué l’information précise sollicitée quant à la « rémunération versée individuellement à chaque avocat mandaté ».
La cour estime que les informations demandées par les trois plaignants ne sont pas, contrairement à ce qu’il est soutenu, « secondaires au regard de la mission de gestion des biens de l’ordre et d’approbation des comptes exercée par le conseil de l’ordre alors même que la somme en cause représente un chapitre important du budget voté » et qu’en outre la somme prévue au budget 2012 pour ce poste était de 4 672 760 euros, « nettement inférieure à celle réellement exposée » de 5 106 282 euros (+9,28 %) et en hausse de 16,50 % par rapport à celle de 2011 où ces honoraires occultes n'avaient représenté « que » la somme de 4 383 122 euros.
S’il peut être fait exception des cas du bâtonnier, du vice-bâtonnier et de trois secrétaires de commission dont le détail des rémunérations figure dans le rapport spécial établi par les commissaires aux comptes au titre des conventions réglementées, le déficit d’informations dénoncé par les trois avocats concernant l’emploi de la somme de 5 561 381 euros est ainsi avéré, juge sévèrement la cour, qui rappelle, une fois encore néanmoins, que le débat porte sur le défaut d’une information suffisante et non pas sur l’existence même des missions qui peuvent être à l’origine de ces dépenses.
Pour la cour, ni les travaux de la commission des finances de l’ordre qui n’a aucune existence légale ni les appréciations du commissaire aux comptes qui n’ont relevé aucune anomalie significative dans les comptes litigieux ne peuvent suppléer cette carence d’informations et ne peut « priver le conseil de l’ordre de la mission de contrôle qui lui a été conférée par la loi ». Les deux résolutions approuvant les comptes de l’ordre des avocats de Paris pour l’exercice 2012 sont donc annulées et devront faire l’objet d’une nouvelle approbation plus conforme aux textes de loi.
Avi Bitton se réjouit dans un billet publié avant-hier d’avoir « fait annuler les comptes financiers 2012 de l’ordre de Paris » et rapporte avoir été convoqué par l’actuel bâtonnier Frédéric Sicard, « affolé comme une boussole déréglée », dès le prononcé de l’arrêt, quant à ses « conséquences ».
Le Canard enchaîné ayant consacré trois petites colonnes (« Sur la piste des millions du bâtonnier », 23 mars 2016) à cette décision, le bâtonnier Sicard a gratifié ses confrères, quelques heures plus tard, d’un courriel intitulé « Le défi de la transparence financière » leur annonçant la constitution d’un « comité de contrôle des comptes », composé des bâtonniers Jean-René Farthouat et Bernard Vatier et de Jean-Charles Krebs, destiné à veiller « à la conformité des comptes au regard des missions de notre barreau et de faire des recommandations pour que soient assurées la régularité et l’efficience des dépenses de l’ordre ». La transparence n’est pas pour demain.