Barreau de Paris : Les avis déontologiques contraignants sont susceptibles d’appel

Une chamaillerie au sein du conseil de l’ordre de Paris donne l’occasion aux confrères ennemis qui y siègent de déterrer une décision rendue l’an dernier par la cour d’appel de Paris qui a jugé que deux « avis déontologiques », sans fondement juridique et sans respecter le principe du contradictoire, constituent en réalité des « décisions » susceptibles de recours.
C’est Avi Bitton (photo G) — membre (2009-2012), quasi-ancien membre et re-membre du conseil de l’ordre de Paris (2013-2015) — qui nous narre, dans un papier publié sur le site du Manifeste des avocats collaborateurs qu'il préside, qu'avant-hier, lors de la proclamation des résultats du premier tour des élections par le bâtonnier, à la bibliothèque de l’ordre, « au prononcé [de son] nom en sixième position sur 32 candidats pour 14 mandats à pourvoir […],au fond de la salle, madame Dominique Piwnica (photo D), ancienne membre du conseil de l’ordre, s’exclama "Qu’il crève ce mec !" » et c’est donc cette exclamation de trop qui nous vaut d’avoir connaissance de cette fort intéressante décision
Dans cet arrêt que nous dévoile donc Avi Bitton, il s’agit d’un banal litige après divorce pour lequel Me Dominique Piwnica intervient pour l’ex-époux et saisit la commission de déontologie du barreau de Paris pour que sa confrère, Me Pieri, qui assiste l’ex-épouse, soit déchargée du dossier au motif qu’elle est « une amie de longue date du couple ». Désir exaucé par un avis du 8 mars 2011 de la commission dite des « Incompatibilités et conflits d’intérêts » qui invite Me Pieri à se « déporter » pour respecter « le principe d’indépendance » et il lui est demandé « de communiquer le nom du confrère qui lui succédera dans ce dossier ». Une demande symétrique alléguant que Me Piwnica est également « l’amie du mari et aurait conseillé, pour la liquidation de la communauté, un notaire avec lequel elle travaille habituellement » est à l’origine d’un autre « avis » en date du 15 mars 2011 qui permet à Me Piwnica de « continuer à occuper pour le compte de [l’ex-époux] ».
Dans ses écritures devant la cour, le barreau de Paris soulevait l’irrecevabilité des recours au motif que la « commission de déontologie », dont le rôle serait de « conseiller les confrères », rend des « avis » qui s’analyseraient en « des consultations juridiques […] couverts par la confidentialité » qui peuvent contenir« des recommandations et même des injonctions de veiller à ses devoirs » mais ne peuvent s’apparenter à des « décisions » ni à des « sanctions », il s’agirait simplement d’une « opinion juridique » dont le non-respect est toutefois « susceptible d’entraîner […] l’ouverture d’une procédure disciplinaire susceptible elle-même […] d’entraîner une sanction » contre laquelle un recours est possible.
La commission de déontologie du barreau de Paris est une structure dépourvue de légitimité
Cour d'appel de Paris, pôle 2 chambre 1, aud. sol., 8 déc. 2011, n° 11/05268.
Quelle est la nature juridique des documents émanant du « service de la déontologie » de l’ordre des avocats à la cour de Paris, se demande la cour en relevant d’emblée « une contradiction certaine » dans la position du barreau de Paris qui soutient, d’une part, que les positions prises par la commission de déontologie ne sont que des « avis », des « consultations », des « opinions », des « recommandations » ne faisant pas grief et, d’autre part, que leur non-respect peut entraîner des poursuites disciplinaires à l’égard de l’avocat qui n’entend pas les suivre.
Analysant les articles 17 à 19 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, la commission de déontologie du barreau de Paris est, selon la cour, « une structure dépourvue de légitimité pour pouvoir imposer à un avocat, sous peine de sanctions, d’abandonner, contre toute règle, son client », il ne peut s’agir, tranche-t-elle, quelle que soit son appellation, que « d’instances préparatoires des "délibérations" ou des "décisions" prises par le conseil de l’ordre soumises, elles, à recours de l’avocat qui en est le destinataire et qui s’estime lésé ».
Volée de bois vert en forme de consultation juridique pour le conseil de l’ordre de Paris qui considérait que ces « avis » de sa commission de déontologie avaient pour fondement le 5° de l’article 17 de la loi de 1971 précitée : cette disposition, lui enseigne la cour, « ne confère [au] conseil, pas plus qu’au bâtonnier, le pouvoir de donner injonction à un avocat de se dessaisir d’un dossier [.. elle] ne saurait donc, a fortiori, servir de fondement à une poursuite disciplinaire ultérieure pour le cas où l’avocat concerné n’entendrait pas se plier à l’injonction qui lui a été faite, et ne saurait, encore moins, permettre d’infliger une peine disciplinaire à un avocat au seul motif qu’il n’aurait pas obtempéré à une telle injonction ».
Au cas particulier, l’ « avis » en question doit s’analyser, selon la cour, comme une « décision » et cette décision est irrégulière pour avoir été prise « sans fondement juridique, par un organe qui n’en avait pas le pouvoir, faisant fi au surplus de toutes les règles visant à assurer le respect de la contradiction, sans vérification des assertions de [Me Dominique Piwnica], nécessairement partisane puisque avocate de la partie adverse, sans inviter la consœur incriminée à s’expliquer, en s’appuyant, a posteriori, que sur les écritures qu’elle a prises dans le cadre de la procédure dans laquelle elle assiste sa cliente et en rupture totale avec l’égalité de traitement entre avocats, une décision différente ayant été prise, sans plus de vérification, en faveur de la consœur adverse pourtant dans la même situation déontologique ».
Dans son papier, Me Bitton nous apprend également qu’une autorisation de se pourvoir en cassation à l’encontre de cette décision avait été adoptée, fin de l’année dernière, par le conseil de l’ordre sous le bâtonnat de Jean Castelain mais qu’un désistement de ce pourvoi a ensuite été voté sous l’actuel bâtonnat de Christiane Féral-Schuhl. Cette décision serait donc définitive. Ne riez pas : le service de déontologie du barreau de Paris est un « service certifié ISO 9001 par Bureau Veritas Certification ».