Carte judiciaire : Le traité de Turin impose le maintien de la cour de Chambéry

Près de trente élus, dont cinq députés et trois sénateurs, exécutifs départementaux, présidents d’agglomération, maires et adjoints étaient présents ce matin pour une table ronde organisée par les barreaux de Savoie et de Haute-Savoie sous la présidence de Michel Allaix, premier président de la cour d’appel de Chambéry, et de Brice Robin, procureur général, pour s’informer et débattre du « maintien de la cour d’appel de Chambéry ».
Il s’agissait, selon les organisateurs, d’essayer de décrypter les annonces faites par le gouvernement ainsi que le rapport remis par les députés Philippe Houillon (LR) et Dominique Raimbourg (PS) sur l’organisation judiciaire et de réaffirmer la position des cinq barreaux de Savoie et de Haute-Savoie. Et si la ministre de la justice assure qu’aucun lieu de justice ne sera supprimé et que le maillage territorial judiciaire sera conservé, il n’en demeura pas moins qu’à Chambéry on s’interroge sur ce qui se cache derrière : socle commun, tribunal unique départemental, tribunal de proximité, numérique qui serait « le cœur du réacteur » de la réforme car « sans le numérique, la réforme de la justice française ne serait pas possible », selon la garde des sceaux elle-même.
Les cinq bâtonniers de Savoie et Haute-Savoie le réaffirment avec force par la voix de Catherine Anxionnaz bâtonnier de Chambéry référent : « nous refusons le risque de voir se créer des déserts judiciaires au même titre qu’il existe aujourd’hui des déserts médicaux. De voir se créer des zones entières où des populations auraient l’impression d’être exclues du circuit juridique normal devenant de fait des citoyens de seconde zone. Ceux-ci se verraient contraints de porter leur contentieux dans d’autres villes plus éloignées multipliant et aggravant ainsi les obstacles géographiques, matériels et financiers d’accès à la justice. Cela toucherait bien entendu les justiciables les plus vulnérables ou les plus en difficulté, qui pourraient être amenés à renoncer à leurs actions. Tout ça nous inquiète et si nous partageons la volonté de modernisation de la justice, nous, défenseurs de tous les citoyens et souvent des plus faibles, n’accepterons qu’aucun droit des citoyens puisse être amoindri, voire sacrifié sur l’autel de la ‘’modernisation’’ et de la ‘’simplification’’ ».
Aujourd’hui, selon les avocats savoyards, 30 % des citoyens n’ont pas accès au numérique et parmi eux les plus fragiles. Pour d’autres, expliquent-ils, comment les laisse-t-on seuls « devant un écran se débrouiller pour exposer leurs griefs ». Les avocats ne veulent pas, disent-ils, d’une justice « rendue en appuyant sur un bouton par un simple algorithme ».
Quelles missions des juridictions pour quel avenir ?
Le rapport Houillon et Raimbourg évoque un socle commun de compétences pour les cours d’appel, mais dans cette version, ce socle commun est réduit au strict minimum. Le projet de réforme pourrait bien vider de sa substantifique moëlle — c’est-à-dire la dépouiller de ses activités essentielles de cour de plein exercice — la cour d’appel de Chambéry qui n’est pas régionale et le même constat prévaut pour le tribunal de proximité qui serait réduit à un juge unique avec peu de domaines de compétence et une suppression des recours. Même si la cour d’Appel est aujourd’hui maintenue, les dispositions législatives ou réglementaires vont amoindrir, par le transfert de contentieux hors des ressorts de Savoie et Haute Savoie, la situation ou les compétences de la cour d'appel de Chambéry et des juridictions locales qui, à terme, en raison de la baisse d'activité prévisible, posera à nouveau l'existence de la cour et des tribunaux.
Le traité de Turin de 1860 impose le maintien de la cour d'appel de Chambéry
Les travaux de recherche menés pendant plusieurs mois par les justiciers savoyards et livrés à l’Élysée, à Matignon, à la Chancellerie ainsi qu’aux rapporteurs Raimbourg et Houillon font, selon leurs auteurs, la démonstration de l’existence des actes préparatoires au traité et de ce que le maintien de la cour d’appel de Chambéry a été « une condition préalable majeure au traité [de Turin] de 1860 » et il s’agit d’un argument que les barreaux de Savoie Mont-Blanc entendent bien « activer si besoin ».
Des déplacements plus fréquents, des distances plus longues à parcourir, des frais plus importants pour les citoyens, des périodes plus longues d’absence ou d’indisponibilité alors que l’accès à la justice de proximité contribue à « une qualité de vie, à un environnement favorable au développement, à la fluidité des relations entre les entreprises et entre les entreprises et leurs salariés » et à ce titre, rappelle-t-on du côté de Chambéry, les juridictions participent de l’écosystème économique de la Savoie et de la Haute-Savoie en offrant « une garantie du respect des droits des hommes comme des entreprises ».
Une méthode de concertation contestable
Le timing de la garde des sceaux est une marche forcée, dénoncent avocats, magistrats et élus, les concertations se font « au pas de charge » et cette méthode contestable a produit « de l’expectative, de la crainte, la transmission d’informations erronées et un stress diffus général pour tous les partenaires de justice et les citoyens en Savoie » mais aussi dans d’autres territoires français qui connaissent la même situation.