Concentrations : Le niet de Bruxelles à l’acquisition d’Alstom par Siemens

Malgré les interventions françaises et allemandes au plus haut niveau de ces dernières semaines pour faire naître un « champion » européen du ferroviaire, la Commission européenne en a décidé autrement en interdisant, en vertu du règlement de l'Union européenne (UE) sur les concentrations, le projet d'intégration du français Alstom par l’allemand Siemens. Les deux entreprises n’ayant pas proposé de mesures correctives suffisantes, la concentration aurait porté atteinte, selon la Commission, à la concurrence sur les marchés des systèmes de signalisation ferroviaire et des trains à très grande vitesse.
« Des millions de passagers en Europe comptent tous les jours sur des trains modernes et sûrs. Siemens et Alstom sont toutes deux des fers de lance de l'industrie ferroviaire. En l'absence de mesures correctives suffisantes, cette concentration aurait entraîné, selon la commissaire chargée de la politique de concurrence Margrethe Vestager, une hausse des prix pour les systèmes de signalisation qui assurent la sécurité des passagers et pour les futures générations de trains à très grande vitesse ».
Cette décision fait suite à une enquête approfondie menée par la Commission sur l'opération de rachat qui devait permettre à Siemens et à Alstom de mettre en commun « leurs activités en matière de matériel et de services de transport » dans une nouvelle société exclusivement contrôlée par Siemens et qui aurait réuni les deux plus grands fournisseurs — leaders au niveau mondial — de divers types de systèmes de signalisation pour lignes ferroviaires et de métros, ainsi que de matériel roulant en Europe. La concentration aurait créé un leader incontesté du marché sur certains marchés de la signalisation et un acteur dominant dans le secteur des trains à très grande vitesse, et aurait « réduit de manière significative la concurrence dans ces deux domaines », restreignant, selon la Commission, le choix des clients, notamment les opérateurs ferroviaires et les gestionnaires d'infrastructure ferroviaire, en matière de fournisseurs et de produits.
Au cours de son enquête approfondie, la Commission dit avoir reçu plusieurs plaintes émanant de clients, de concurrents, d'associations professionnelles et de syndicats, ainsi que des observations négatives de plusieurs autorités nationales de la concurrence dans l'Espace économique européen (EEE). La crainte étant que l'opération envisagée affecte « de manière significative » la concurrence et réduise « l'innovation en matière de systèmes de signalisation et de matériel roulant à très grande vitesse, conduise à l'éviction de concurrents plus modestes et se traduise par des prix plus élevés et un choix restreint pour les clients ». Alstom et Siemens n'étant pas disposées à proposer davantage de mesures « correctives suffisantes » pour remédier à ces préoccupations, la Commission dit avoir bloqué la concentration afin de « protéger la concurrence dans le secteur ferroviaire européen ».
Les préoccupations de la Commission
La Commission explique que l'opération envisagée aurait entravé de « manière significative » l'exercice d'une concurrence effective dans deux domaines principaux. Les systèmes de signalisation et les trains à très grande vitesse qui peuvent dépasser les 300 km par heure. L'enquête de la Commission aurait plus particulièrement démontré que pour ce qui est des systèmes de signalisation, l'opération envisagée aurait éliminé un concurrent très puissant de plusieurs marchés de la signalisation pour grandes lignes et lignes urbaines. L'entité issue de la concentration serait devenue le leader incontesté sur plusieurs marchés de la signalisation grandes lignes, en particulier en ce qui concerne les systèmes de protection automatique des trains ETCS (comprenant à la fois les systèmes installés à bord des trains et ceux placés le long des voies) dans l'EEE et les systèmes d'enclenchement autonomes dans plusieurs États membres. Et en ce qui concerne la signalisation pour lignes urbaines (métro), l'entité issue de la concentration serait également devenue le leader du marché pour les systèmes de signalisation les plus récents de type « CBTC » (solution de contrôle des trains basée sur la communication).
Quant au matériel roulant à très grande vitesse, la Commission soutient que l'opération envisagée aurait réduit le nombre de fournisseurs en supprimant l'un des deux principaux fabricants de ce type de trains dans l'EEE. L'entité issue de la concentration aurait détenu des parts de marché très importantes tant au sein de l'EEE que sur un marché plus vaste comprenant aussi le reste du monde à l'exception de la Corée du Sud, du Japon et de la Chine où le secteur, reconnaît la Commission, n'est pas ouvert à la concurrence.
Dans le cadre de son enquête, la Commission dit avoir également examiné « attentivement » l'environnement concurrentiel dans le reste du monde. En particulier, elle a analysé la concurrence qui pourrait être exercée à l'avenir au niveau mondial par les fournisseurs chinois en dehors de leur marché national. Constat de la Commission : les fournisseurs chinois ne sont pas (encore) présents dans l'EEE et ne deviendront pas des « fournisseurs crédibles » pour les gestionnaires d'infrastructure européens « avant très longtemps ». Il convient donc d’attendre, selon la Commission, que le chinois CRRC pénètre convenablement le marché européen avant de s’en inquiéter sérieusement.
Des mesures correctives jugées insuffisantes
Les mesures correctives proposées par Alstom et Siemens ne permettaient pas, selon la Commission, de répondre de manière satisfaisante aux préoccupations concurrentielles et notamment en ce qui concerne les systèmes de signalisation grandes lignes. Le remède proposé consistait en « une combinaison complexe d'actifs de Siemens et d'Alstom, certains d'entre eux étant transférés en tout ou en partie, et d'autres cédés sous licence ou copiés » et n’était pas en une activité « autonome et pérenne qu'un acheteur aurait pu utiliser pour concurrencer de manière effective et indépendante l'entreprise issue de la concentration ». En ce qui concerne le matériel roulant à très grande vitesse, le tandem Alstom-Siemens avait proposé de céder soit un train actuellement incapable de rouler à très grande vitesse (le Pendolino d'Alstom), soit une licence portant sur la technologie à très grande vitesse Velaro de Siemens mais soumise à « de multiples conditions restrictives et exceptions », qui auraient « pour l'essentiel, fait obstacle au développement, par l'acheteur, d'un train à très grande vitesse concurrent, en le privant de la capacité et des incitations nécessaires pour ce faire ».
Pour les eurodéputés socialistes et radicaux, cette décision démontre l’urgence de « refonder la politique de la concurrence européenne » qui ne doit pas « empêcher l’Europe de se doter de la politique industrielle dont elle a tant besoin ».
À la bourse de Paris, à 16h12, le titre Alstom gagne 4,26 % à 37,73 € dans de petits volumes (0,71 % du capital échangé) et dans un marché en baisse de 0,23 % pendant que Siemens, à Francfort, lache 0,69 % à 95,67 €.