Conflit d'intérêts : Éric Dupond-Moretti renvoyé devant la CJR sera jugé mais s’accroche à son ministère

L’Assemblée plénière de la Cour de cassation a validé vendredi le renvoi du garde des sceaux Éric Dupond-Moretti devant la Cour de justice de la République (Cjr) afin d’y être jugé pour des faits de prise illégale d’intérêts.
Mis en examen le 16 juillet 2021 par la commission d’instruction de la Cjr du chef de prises illégales d’intérêts concernant des enquêtes administratives diligentées contre des magistrats, l’ancien avocat pénaliste devenu ministre de la justice un an plus tôt avait formé pas moins de huit pourvois en cassation portant, d’une part, sur l'arrêt du 3 octobre 2022 ordonnant son renvoi devant la formation de jugement de la Cjr et, d’autre part, sur sept décisions lui ayant refusé notamment une demande d’audition du procureur général François Molins en tant que « témoin » ou rejetant des requêtes en nullité des documents saisis lors de la perquisition dans les locaux de son ministère.
Les trois questions contenues dans ces huit pourvois et soumises à la sagacité de la Haute juridiction par Me Patrice Spinosi pour son illustrissime client Éric Dupond-Moretti concernaient donc la régularité de la saisine de la commission d’instruction de la Cjr, la régularité de la saisie de certains documents lors de la perquisition effectuée dans les locaux du ministère de la justice et, enfin, last but not least, l’information due à l’ex-avocat pénaliste chevronné et actuel ministre de la justice garde des sceaux quant à son droit de se taire (sic !) lors de l’audience devant la commission d’instruction qui a décidé de son renvoi devant la commission de jugement de la Cjr.
La réponse est positive à la première question et négative aux deux autres. Un arrêt-fleuve de 18 pages fort bien motivé, en forme de cours magistral pour l’avocat aux conseils Spinosi et le ministre Dupond-Moretti qui n’entend pas démissionner pour si peu et devrait être jugé pour les faits qui lui sont reprochés au cours de l’année 2024 par la Cour de justice de la République composée de trois juges professionnels et de douze parlementaires. Une première dans les annales pour un ministre en exercice qui devrait ainsi bénéficier d’une couverture médiatique planétaire aussi importante que les Jeux olympiques.
La commission d’instruction de la Cjr a été régulièrement saisie
La loi prévoit que c’est le procureur général près la Cour de cassation qui exerce la fonction de ministère public devant la Cjr et qui est donc l’autorité de poursuite. Il agit sur dénonciation ou d’office et saisit, dans les deux cas, la commission d’instruction après avis conforme de la commission des requêtes précédé, le cas échéant, de vérifications sommaires en cas de signalement pour en « apprécier la pertinence » et la suite à y donner.
Au cas particulier, le parquet s’est saisi d’office mais, parallèlement, l’association Anticor et deux syndicats de magistrats, le Syndicat de la magistrature et l’Union syndicale des magistrats, avaient chacun transmis une plainte que le procureur général s’est fait communiqués. Il était donc critiqué la non-vérification de la régularité de ces trois plaintes et, accessoirement, le fait que le réquisitoire introductif soit signé par un avocat général et non par le procureur général.
« La commission d’instruction a été régulièrement saisie par un réquisitoire signé au nom du procureur général par un avocat général désigné par celui-ci pour l’assister dans l’exercice du ministère public près la Cour de justice de la République », répond l’Assemblée plénière
La saisie des documents est annulée mais cela n’affecte aucunement la procédure
Sans aucune base légale, est-il souligné, la commission d’instruction avait cru pouvoir confier à l’un de ses greffiers le soin de trier parmi les documents saisis au cours de la perquisition dans les locaux du ministère de la justice ceux susceptibles d’être en lien avec la procédure poursuivie alors que cette tâche incombait aux seuls magistrats chargés de l’instruction.
La saisie des documents litigieux est donc annulée mais il n’y a pas matière à censurer, estiment les Hauts magistrats, la décision de renvoyer M. Dupond-Moretti devant la Cjr dans la mesure où cette décision se réfère « à d’autres éléments qui, selon la commission [d’instruction], constituent des charges suffisantes ».
Le mis en examen n’a pas à être informé de son droit de se taire à chaque audition
Le garde des sceaux ministre de la justice ne contestait pas avoir été dûment informé de son droit de se taire lors de sa première comparution devant la commission d’instruction mais soulevait, de manière puérile pourrait-on dire, le fait que cette information n’ait pas été renouvelée à chaque audition subséquente et notamment celle à l’occasion de laquelle la commission d’instruction a décidé de le renvoyer devant la commission de jugement de la Cjr.
La notification qui lui a été faite lors de sa première comparution, relève la Haute Assemblée, « vaut pour toute la durée de la procédure d’information conduite par la commission d’instruction » et il n’était donc pas « nécessaire de renouveler cet avertissement »