Conseil d'État : De la légalité du monopole de la parole des avocats aux Conseils

Un jeune avocat procédurier poursuit l’abrogation du monopole de la parole des avocats aux Conseils devant le Conseil d’État, selon une requête déposée la semaine dernière devant cette même Haute juridiction contre une décision implicite de rejet du premier ministre d’abroger les articles R. 432-1, R. 613-5 et R. 733-1 du code de justice administrative.

Même dans les hypothèses de l’article R. 432-2 du code de justice administrative (recours pour excès de pouvoir ou de légalité, litiges en matière électorale ou visant la concession ou le refus de pension) pour lesquelles le ministère d’un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation (avocat aux Conseils) n’est pas obligatoire ou celles de l’article R. 311-1 du même code qui liste les recours relevant directement du Conseil d’État en premier et dernier ressort, seuls les avocats aux Conseils peuvent en effet présenter des observations orales devant le Conseil d’État le jour de l’audience de jugement, en application des dispositions combinées des articles R. 432-1, R. 613-5 et R. 733-1 du code de justice administrative.

Jean-Sébastien Boda, inscrit au barreau de Paris depuis le mois de novembre 2012 et se citant lui-mêmeJ.-S. Boda : « Le contentieux du remplacement des élus au Parlement européen devant le Conseil d’État », Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger, 2013, n° 1, p. 3., explique que lors de l'audience de jugement de l'affaire ToregrossaCE, 30 nov. 2011, n° 348161, Toregrossa, AJDA, 2012, p. 659, note Dolez. à laquelle il a assisté, si l’avocat aux Conseils de la SCP Lyon-Caen—Thiriez a normalement pu intervenir oralement en début d’audience et après les observations du rapporteur public Damien Botteghi, le demandeur, pourtant présent à l’audience mais « absent au sens de la procédure », n’a pu intervenir pour développer et conforter l’argumentation du rapporteur public qui, sur le fond, concluait « au renvoi d’une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne relative à la situation de M. Brice Hortefeux ».

Titulaire d’un DEA en droit des libertés fondamentales (2005) et docteur en droit public (université de Paris-Ouest Nanterre, 2010), Me Boda est donc parti en guerre contre ce monopole de la parole, dont les avocats aux Conseils bénéficie devant le Conseil d’État qu’il s’agisse ou non d’une procédure avec représentation obligatoire, et a saisi le premier ministre Manuel Valls, le 22 décembre 2015, d’un recours gracieux tendant à l’abrogation des trois articles litigieux précités du code de la justice administrative.

Le délai de deux mois aussitôt expiré, Jean-Sébastien Boda, sans recourir bien évidemment à un avocat aux Conseils, a saisi lui-même, le 23 février 2016, le Conseil d’État d’un recours à l’encontre de la décision implicite de rejet du premier ministre de son recours gracieux.

Dans sa requête introductive d’une trentaine de pages, l’impétrant pose les bases de la discussion et demande, sur le fond, l’abrogation des dispositions critiquées sur le fondement de l’erreur manifeste d’appréciation, de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, de la violation du principe d’égalité, de la méconnaissance du droit de l’Union européenne et, enfin, de l’inconventionnalité des articles 3, 3-1 et 3-2 de l’Ordonnance du 10 septembre 1817 et de l’article 4 de la loi du 31 décembre 1971.

L’argument qui pourrait faire mouche et donner de la voix aux avocats à la Cour devant le Conseil d’État concerne le fait que devant le Conseil constitutionnel, depuis l’introduction de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) en 2010, les avocats à la Cour et les avocats aux Conseils sont mis sur un même pied d’égalité alors même que dans un cas, il s’agit de l’abrogation éventuelle d’une loi et que dans l’autre, il ne s’agit que de l’abrogation d’un décret ou d’un arrêté. Un avantage du Conseil d’État sur le Conseil constitutionnel qui ne se justifie nullement… mais le contre-argument sur ce point pourrait être de constater que les avocats à la Cour et les avocats aux Conseils sont sur un même pied d'égalité devant le Conseil constitutionnel parce qu'il n'existe pas d' « avocat au Conseil constitutionnel ».