Coronavirus : Des avocats plus démunis que leurs clients démunis

Des avocats aux abois.
Des avocats aux abois.

« Les juridictions [étant] fermées, les cabinets d’avocats [qui assurent quotidiennement la défense des plus démunis] n’ont plus d’activité » et rencontrent de grandes « difficultés depuis le confinement du 17 mars 2020 », ont écrit jeudi dernier les trois sommités de la profession — la présidente du Conseil national des barreaux (CNB) Christiane Féral-Schuhl, le bâtonnier de Paris Olivier Cousi et la présidente de la Conférence des bâtonniers Hélène Fontaine — à la garde des sceaux Nicole Belloubet pour quémander « des mesures d’assistance économique d’urgence […] dans les plus brefs délais » pour éviter « la fermeture [de cabinets] en grand nombre ».

La plupart des petits cabinets d’avocats — si ce n’est tous — sont pourtant peu ou prou éligibles à l’une ou plusieurs des mesures mises en place par le gouvernement très rapidement au cours des trois dernières semaines : aide financière de 1 500 euros en cas de baisse des recettes de 50 % en mars 2020 par rapport à 2019, aide complémentaire de 2 000 euros de la région pour les plus mal lotis auxquels leur banque a refusé un prêt ou un découvert, arrêt maladie indemnisé par le régime général auquel les avocats ne cotisent pas, chômage partiel pour le personnel et les avocats salariés, prêt bancaire sans intérêts et sans remboursement du capital pendant 12 mois, outre un report quasi d’office et sans avoir à le demander des échéances sociales et fiscales.

Toute une panoplie de mesures pour un coût estimé supérieur à 100 milliards d’euros parmi lesquelles tout travailleur indépendant ou salarié peut a priori piocher une petite aide qui lui permettra cahin-caha de tenir jusqu’à son déconfinement et à sa reprise d’activité.

« Nous ne méconnaissons pas la portée […] des aides proposées en cette période de crise » mais, selon les trois auteurs de la missive, il est « indispensable de recourir à des mesures spécifiques à la profession d’avocat ». De quelles mesures spécifiques s’agit-il et pourquoi ces avocats qui « s’occupent quotidiennement des plus démunis » sont-ils dans le dénuement le plus total après trois semaines de confinement ?

Des mesures spécifiques, il n’en est en fait proposé qu’une et une seule. Il s’agirait pour ces avocats, dont l’activité consiste essentiellement voire exclusivement à assurer des missions d’aide juridictionnelle, d’obtenir via les CARPA et avec l’aval du ministère de la justice « des avances remboursables […] dans des conditions encadrées, au plan juridique et économique et sous des conditions de strict contrôle, […] à valoir sur les missions d’aide juridictionnelle qu’ils accompliront » lorsque les tribunaux réouvriront. Cela n’explique pas pourquoi ces avocats n’auraient pas droit à l’aide financière de 1 500 ou de 2 000 euros si leur chiffre d’affaires est égal à zéro et que, de surcroît, leur banque leur aurait refusé tout prêt ou découvert.

« Mon activité consiste quasi exclusivement à assister des gardés à vue et à assurer quelques permanences à l’antenne des mineurs, explique à LexTimes une avocate parisienne quinquagénaire sous couvert d’anonymat, et la CARPA nous règle avec trois à cinq mois de retard. J’ai une comptabilité d’encaissements et ce que j’ai encaissé au mois de mars 2020 est à peu près égal à ce que j’avais encaissé au mois de mars 2019, je n’ai donc pas droit à l’aide de 1 500 euros ». « Je n’ai plus aucune activité depuis quatre mois, poursuit notre avocate spécialisée en gardes à vue et autres permanences, car, précise-t-elle, le bâtonnier avait décidé de suspendre toute commission et désignation d’office dans le cadre de la protestation du barreau de Paris contre la réforme des retraites et toutes les missions que j’ai faites avant la mi-décembre 2019 m’ont à présent été toutes réglées et je ne vais pas toucher le moindre centime au mois d’avril ».

Le barreau de Paris a annoncé la semaine dernière la création d’un fonds de secours spécial doté d’un 1,5 million d’euros, une aide d’urgence pour les avocats ayant « des difficultés financières résultant de la pandémie » et pendant la grève, il avait été annoncé une aide pouvant aller jusqu’à 3 000 euros. Avez-vous sollicité ces aides ? « Je n’ai obtenu aucune aide ni dédommagement pendant tout le temps qu’a duré la grève et j’ai déposé il y a quelques jours un dossier qui m’a pris une demi-journée à préparer et il m’a tout de suite été répondu que je n’y avais pas droit à cette aide de 1 000 euros ». Les conditions d'accès à cette aide de 1 000 euros paraissent excessivement intrusives. Il faut en effet justifier d'une insuffisance de trésorerie personnelle et professionnelle et s'engager sur l'honneur avoir — vainement — sollicité une ou plusieurs gouvernementales, outre la justification que les difficultés sont effectivement liées au covid-19 en remplissant l'un des quatre sous-critères prévus dans le cadre de cette aide d'urgence : baisse significative des revenus, arrêt maladie non indemnisé, perte de collaboration sans respect de préavis ou parent isolé sans maintien de rétrocession devant garder un enfant de moins de 16 ans ou de moins de 18 ans en situation de handicap.

Un témoignage accablant qui éclaire parfaitement la situation de détresse et de désespérance dans laquelle certains avocats, qui assurent quotidiennement la défense des plus démunis, se trouvent aujourd’hui mais dont la responsabilité incombe davantage aux trois sommités qui gouvernent la profession qu’au gouvernement qui fait ce qu’il peut avec le peu de moyens dont il dispose pour satisfaire tout le monde.