Correspondance : Une lettre du conseil de M. Jean-Brieuc Le Tinier
À la suite de l'article « Manquement d’initié : Sanction de 200 K€ pour l’ancien directeur financier de Korian » (LexTimes, Jon Helland, 21 avr. 2017), nous avons reçu aujourd’hui du conseil de monsieur Jean-Brieuc Le Tinier, Me Stéphanie Zaks, via notre hébergeur, la société Gandi, un courriel annonçant une lettre recommandée AR doublée d’un envoi par chronopost datée du 26 septembre 2017 :
La publication de cet article me paraît constituer un traitement de données à caractère personnel illicite, en violation de l’article 6 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés qui dispose que […].
Aussi, pour les motifs ci-après exposés, j’ai l’honneur de vous mettre en demeure de supprimer de l’article litigieux les nom, prénom et profession de Monsieur Jean-Brieuc Le Tinier dans un délai de 24 heures à compter de la réception de la présente, en raison de l’imminence du dommage que cette publication illicite est sur le point de lui causer.
L’article litigieux consiste en un exposé de la décision rendue le 19 avril 2017 par la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers qui, à la demande de Monsieur Jean-Brieuc Le Tinier, a anonymisé la décision de sanction prononcée à son encontre […].
Or, l’article litigieux mentionne les nom, prénom et profession de Monsieur Jean-Brieuc Le Tinier, en violation de la décision de l’AMF.
Cette publication prive ainsi mon client du bénéfice de l’anonymisation que l’AMF lui accordé, considérant que les faits qui lui étaient reprochés n’étaient pas d’une gravité telle qu’ils justifiaient la publication de la décision qui était de nature à lui cause un « préjudice grave et disproportionné ».
Il apparaît ainsi que la publication de l’article litigieux porte une atteinte disproportionnée au droit de Monsieur Le Tinier au respect de sa vie privée qui n’est nullement justifiée par le droit à l’information du public, ce dont il résulte que le traitement de données auquel vous avez procédé est inadéquat, non pertinent et excessif au regard de ses finalités.
Il en est d’autant plus ainsi que la mention des nom, prénom et profession de mon client n’apporte rien à l’analyse juridique de la motivation de la décision de l’AMF à laquelle vous procédez sur votre site internet qui a manifestement une vocation d’information juridique.
Je vous précise, par ailleurs, que, par une délibération du 12 juillet 2011, la Commission nationale de l’informatique et des libertés a consacré l’obligation d’anonymiser les décisions de justice publiées sur internet, en considérant que cette obligation ne porte pas atteinte au droit à l’information en matière judiciaire.
Ainsi, même dans les cas où les décisions de justice ne sont pas anonymisées par les autorités judiciaires et administratives qui les rendent, leur publication sur internet doit être anonymisée afin d’empêcher l’identification des parties.
Monsieur Le Tinier est donc bien fondé, conformément à l’article 40 de la loi informatique et libertés lui conférant un droit à l’oubli, à solliciter la suppression de ses nom, prénom et profession de l’article litigieux qui me paraît constituer un traitement de données à caractère personnel illicite, en violation de l’article 6 de ladite loi.
Enfin, l’immunité prévue à l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ne paraît pas s’appliquer puisque votre article ne consiste pas en un compte-rendu fidèle d’une décision judiciaire ; des données à caractère personnel y ayant été ajoutées.
Je vous informe que l’Agefi a, après que la décision anonymisée a été rendue et conformément aux dispositions de la loi informatique et libertés, procédé à l’anonymisation de la dépêche qu’elle avait publiée à l’issue de l’audience de l’AMF à laquelle Monsieur Le Tinier avait comparu […].
L’article litigieux, qui apparaît en première page des résultats de recherches Google associés au nom « Jean-Brieuc Le Tinier », lui cause un préjudice moral et financier extrêmement important.
En effet, en raison de la publication de l’article litigieux et de son apparition en première page dans le moteur de recherche Google, Monsieur Le Tinier est sur le point de se voir écarté d’un poste pour lequel sa candidature avait été initialement retenue.
Je vous mets donc en demeure de supprimer de l’article litigieux les nom, prénom et profession de Monsieur Le Tinier, dans les 24 heures de la réception de la présente, afin d’éviter la réalisation du préjudice auquel la publication de l’article litigieux l’expose.
À défaut, je vous informe que mon client m’a donné instruction d’engager à votre encontre une procédure judiciaire visant à ce qu’il vous soit prescrit de supprimer ses prénom, nom et profession, outre une action visant à obtenir réparation, par l’allocation de dommages et intérêts, de l’important préjudice moral et financier qu’il subit.
Vous devez considérer la présente comme une mise en demeure de nature à faire courir tous délais, intérêts et autres conséquences que la loi – particulièrement l’article 1231-6 du code civil – et les tribunaux attachent aux mises en demeure ainsi que comme une ultime opportunité de résoudre amiablement ce litige, conformément à l’article 56 du code de procédure civile.
NDLR : La loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés et le « droit à l’oubli » ne sont pas applicables à un article publié dans un journal qui relève des seules dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Au demeurant, on relève que le contenu de l’article n’est pas contesté et qu’il est simplement fait état, le 26 septembre 2017, de « l’imminence [d’un] dommage » que M. Le Tinier serait « sur le point » de subir à propos d'un article publié cinq mois auparavant.