Délit d'initié : Le président de l'AMF critique la décision du Conseil constitutionnel

Le président de l'Autorité des marchés financiers (AMF) Gérard Rameix a jugé jeudi « très difficiles » les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel fin mars selon laquelle les délits d'initiés ne pourront plus être poursuivis deux fois.
« Les conséquences de cette décision sont très difficiles pour nous », a souligné Gérard Rameix, interrogé à l'occasion d'une conférence organisée par la French-American Foundation. « Elle va obliger à un choix assez cornélien entre deux voies de poursuite sur une infraction financière donnée », a-t-il fait remarquer.
Dans sa décision
La haute juridiction, saisie de deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) par des prévenus du procès de la maison mère d'Airbus, a notamment jugé que les textes définissaient « de la même manière » les infractions de manquement d'initié — retenu par l'AMF — et de délit d'initié — visé par la justice pénale — et que les sanctions prévues ne pouvaient « être regardées comme de nature différente ». Dès lors, le Conseil constitutionnel a considéré que les textes visés devaient « être déclarés contraires à la Constitution ».
« Logiquement, on ne devrait plus pouvoir poursuivre qu'une seule fois », a ajouté M. Rameix, évoquant le « dilemme » que représente le fait de devoir choisir entre le régulateur financier et la justice pénale pour poursuivre les infractions financières. « Le fait de choisir, et d'être obligé de choisir entre une des deux voies est quelque chose de difficile, quel que soit celui qui aura à faire le choix », a encore indiqué M. Rameix.
« La voie pénale a une très forte charge symbolique et peut conduire les délinquants financiers en prison », a-t-il fait valoir. « Mais dans la pratique, elle est extrêmement difficile à emprunter, très longue et donne des résultats qu'en tant que praticien, je peux juger décevants », a-t-il poursuivi. « La procédure du régulateur est exactement inverse », selon le président de l'AMF. « Elle est plus prosaïque, un peu plus discrète, beaucoup plus rapide puisque quand c'est justifié, on parvient à une amende en à peu près un an, un an et demi », a détaillé M. Rameix. En outre, « cette amende peut être forte et est ensuite susceptible [de faire l'objet] uniquement d'un recours devant la cour d'appel de Paris », a-t-il ajouté.
Depuis la loi de régulation bancaire et financière de 2010, l'AMF dispose d'un arsenal répressif plus dissuasif puisque le plafond des sanctions a été relevé à 100 millions d'euros contre 10 millions auparavant. « Dans un cas, vous êtes plus rapide, vous pouvez imposer une pénalité financière qui peut être très significative, dans l'autre vous avez tout l'appareil symbolique répressif du pénal mais avec un chemin procédural très compliqué », a résumé le président de l'AMF. « Je suis inquiet qu'on finisse par aboutir à un système se traduisant par un recul de l'effectivité de la répression de la délinquance boursière dans notre pays si on choisit trop souvent la voie pénale et que les affaires s'enlisent pour des raisons de droit, de procédure ou de complexité technique », a fait valoir M. Rameix.
Au terme de la publication de sa décision, le Conseil constitutionnel a accordé un délai au législateur pour modifier la loi, reportant au 1er septembre 2016 l'abrogation des textes visés. « Si le législateur n'intervient pas, à partir du 1er septembre 2016, on n'aura plus aucune base juridique pour poursuivre l'utilisation d'informations privilégiées ni sur le terrain de l'AMF, ni sur le terrain pénal, ce qui serait inacceptable et non conforme au droit européen », a fait remarquer le président de l'AMF. « Forcément, il y aura une loi, peut-être à l'été prochain, et en tout cas avant l'automne 2016 », a-t-il ajouté.