Déontologie : Les avis "irréguliers" et "sans fondement juridique" du barreau de Paris

Ordre des avocats de Paris

Dans un avis qualifié de « strictement confidentiel » dont LexTimes a pu prendre connaissance, la commission de la déontologie du barreau de Paris chargée des « incompatibilités et des conflits d’intérêts » considère qu’un avocat ne peut, en application des dispositions de l’article 4 du règlement intérieur national de la profession, être « témoin de faits s’étant déroulés dans le cadre de son exercice professionnel » et qu’elle ne peut « accepter » qu’il maintienne « sa défense [que] pour la période postérieure à son départ du cabinet […], soit à partir du mois de mai 1995 », le maintien pour la période antérieure à 1995 serait constitutive d’un « manquement ».

En l’espèce, poursuivie devant le conseil de prud’hommes de Paris par son « chauffeur-coursier » qui n’a eu, pour tout « salaire », pendant plus de 25 ans, que la jouissance de trois chambres de service au cinquième étage d’un immeuble sans ascenseur et qui se dit avoir été « exploité comme un nègre sous la colonisation », une avocate septuagénaire s’est « interrogée » sur « la compatibilité » de l’intervention, en mars 2017, devant la juridiction prud’homale, d’un confrère qui a partagé, entre 1993 et 1995, ses locaux de l’avenue Foch en tant que stagiaire-locataire.

Dans un avis daté du 3 octobre 2017 « strictement confidentiel au regard d’un usage constant et ancien et qu’il ne peut d’aucune manière être communiqué à [des] clients, à des tiers ou à des juridictions », signé par son secrétaire, Jérôme Martin, et transmis le lendemain à l’avocat concerné via une messagerie publique Google non sécurisée, la commission de déontologie considère qu’au regard « des règles régissant le conflit d’intérêts, conformément aux dispositions de l’article 4 du règlement intérieur national, [l’avocat du chauffeur-coursier de l’avocate esclavagiste] ne peut être témoin des faits s’étant déroulés dans le cadre de son exercice professionnel » et « si » elle « peut accepter qu’il maintienne sa défense, celle-ci sera nécessairement concentrée sur la période postérieure à son départ du cabinet de Mme Dussans, soit à partir du mois de mai 1995 ». Son maintien dans la défense du chauffeur-coursier pour la « période antérieure à 1995 », affirme sans ambages la commission de déontologie du barreau de Paris, serait « constitutive d’un manquement qui […] donnerait lieu à transmission à l’autorité de poursuite ».

La commission dont Me Jérôme Martin assure le secrétariat commet toutefois une double erreur qui mérite qu’une certaine publicité soit donnée à cette affaire. D’une part, dans un arrêt de 2011 abondamment commenté, la juridiction suprême a dit pour droit que « les échanges entre les avocats et les autorités ordinales ne sont pas confidentiels »Civ. 1e, 22 sept. 2011, n° 10-21219, bâtonnier de Paris c/ Alfredo Allegra. et, d’autre part, dans un autre arrêt, également de 2011, de la cour d’appel de Paris, il a été jugé que cette commission dite de déontologie n’a ni légitimité ni pouvoirParis, ch. 2-1, 8 déc. 2011, n° 11/05268 et 11/05269, Pieri c/ conseil de l’ordre des avocats de Paris..

Dans cet arrêt de décembre 2011, la cour d’appel de Paris a considéré, dans un dossier où il était demandé à un avocat de se déporter sans autre forme de procès, que la commission de la déontologie du barreau de Paris est « une structure dépourvue de légitimité pour pouvoir imposer à un avocat, sous peine de sanctions, d’abandonner, contre toute règle, son client », il ne peut s’agir, indique-t-elle, quelle que soit son appellation, que « d’instances préparatoires des "délibérations" ou des "décisions" prises par le conseil de l’ordre soumises, elles, à recours de l’avocat qui en est le destinataire et qui s’estime lésé ».

Ce genre de décision est, poursuivait la cour, « irrégulière » pour avoir été prise « sans fondement juridique, par un organe qui n’en avait pas le pouvoir, faisant fi au surplus de toutes les règles visant à assurer le respect de la contradiction, sans vérification des assertions […] ».

Pour rappel, l’article 4.1 du règlement intérieur national (RIN) de la profession d’avocat pose, sans fondement juridique, les principes du conflit d’intérêts qui, au cas d’espèce ne trouve pas de surcroît à s’appliquer, selon lequel « l’avocat ne peut être ni le conseil ni le représentant ou le défenseur de plus d’un client dans une même affaire s’il y a conflit entre les intérêts de ses clients ou, sauf accord des parties, s’il existe un risque sérieux d’un tel conflit./ Sauf accord écrit des parties, il s’abstient de s’occuper des affaires de tous les clients concernés lorsque surgit un conflit d’intérêt, lorsque le secret professionnel risque d’être violé ou lorsque son indépendance risque de ne plus être entière./ Il ne peut accepter l’affaire d’un nouveau client si le secret des informations données par un ancien client risque d’être violé ou lorsque la connaissance par l’avocat des affaires de l’ancien client favoriserait le nouveau client./ Lorsque des avocats sont membres d’un groupement d’exercice, les dispositions des alinéas qui précèdent sont applicables à ce groupement dans son ensemble et à tous ses membres. Elles s’appliquent également aux avocats qui exercent leur profession en mettant en commun des moyens, dès lors qu’il existe un risque de violation du secret professionnel./ Les mêmes règles s’appliquent entre l’avocat collaborateur, pour ses dossiers personnels, et l’avocat ou la structure d’exercice avec lequel ou laquelle il collabore » et l’article 4.2 en donne une définition selon laquelle, « il y a conflit d’intérêts [1] dans la fonction de conseil, lorsque, au jour de sa saisine, l’avocat qui a l’obligation de donner une information complète, loyale et sans réserve à ses clients ne peut mener sa mission sans compromettre, soit par l’analyse de la situation présentée, soit par l’utilisation des moyens juridiques préconisés, soit par la concrétisation du résultat recherché, les intérêts d’une ou plusieurs parties, [2] dans la fonction de représentation et de défense, lorsque, au jour de sa saisine, l’assistance de plusieurs parties conduirait l’avocat à présenter une défense différente, notamment dans son développement, son argumentation et sa finalité, de celle qu’il aurait choisie si lui avaient été confiés les intérêts d’une seule partie, [3] lorsqu’une modification ou une évolution de la situation qui lui a été initialement soumise révèle à l’avocat une des difficultés visées ci-dessus./ Il existe un risque sérieux de conflits d’intérêts, lorsqu’une modification ou une évolution prévisible de la situation qui lui a été initialement soumise fait craindre à l’avocat une des difficultés visées ci-dessus » ;

Et quand bien même, à supposer que l’article 4 du RIN ait un fondement juridique et la commission de déontologie une quelconque légitimité, nul peut être contraint, nous confie l’avocat, « à couvrir les faits délictuels ou criminels d’une autre personne même s’il s’agit d’un "confrère" », bien au contraire, la confraternité a une limite et oblige même, quel qu’en soit le prix, nous dit-il, à dénoncer toute « malhonnêteté viscérale et des agissements aussi repréhensibles qu’inacceptables » s’il l’on ne veut pas se rendre complice et pouvoir dormir en paix avec sa conscience.

Selon les informations recueillies par LexTimes, la cour d’appel de Paris a été saisie, dès le 4 octobre, d’un recours à l’encontre de cet avis qui ne serait certainement pas confidentiel mais qui serait, en revanche, assurément irrégulier et sans fondement juridique. Hasard du calendrier, le barreau de Paris a publié, le lendemain, 4 octobre 2017, un communiqué annonçant un meilleur fonctionnement dès… 2018.