Déontologie : Un magistrat rétrogradé se met en grève de la faim

Rétrogradé pour avoir « notamment utilisé son titre de magistrat comme d’un passe-droit », un ancien président de cour d’assises, Georges Domergue, élu UMP de Briare (Loiret), a entamé il y a deux semaines une grève de la faim et en appelle à tutti quanti pour que « la vérité soit reconnue […] et que son honneur soit rétabli ». Une démarche peu banale qui sidère et interpelle sur les liens existants ou supposés entre police, justice et politique.
À l’origine de cette descente aux enfers, Ernest Vilate, un artisan plombier de 46 ans d’origine béninoise, installé à Ouzouer-sur-Trézée (Loiret), qui s’est fait dévaliser, le 2 décembre 2011, sa camionnette. La gendarmerie de Briare n’ayant mis aucun zèle pour tenter de mettre la main sur son présumé voleur, le plombier en parle au magistrat qu’il connaît pour être intervenu à son domicile et c’est ainsi que le 9 décembre 2011 vers 18 heures 30, le magistrat Domergue, flanqué du plombier Vilate, se rend à la brigade de gendarmerie de Briare, non sans avoir passé au préalable un coup de fil au procureur de la République de Montargis, Florent Boura, pour s’assurer que le meilleur accueil sera réservé à son protégé et à lui-même.
Mal lui en pris de ne pas avoir respecté le dicton malaisien : « Occupe-toi de tes affaires ! ». Malgré sa présence et l’appel au procureur, l’accueil est en effet on ne peut plus glacial et le major commandant la brigade lui signifie même qu’il« ne recevra pas sa déposition », révélera Georges Domergue, onze mois plus tard, lorsqu’il décide d’en appeler à la ministre de la justice Christiane Taubira et au ministre de l’intérieur Manuel Valls pour qu’une enquête « sérieuse soit menée, tant sur le comportement des gendarmes que sur les conditions dans lesquelles cette affaire a été traitée par le parquet de Montargis et le parquet général d’Orléans » et de médiatiser l’affaire pour lui donner une importance qu’elle n’avait sans doute pas. Seconde erreur qui lui vaudra un avertissement et lui coûtera la présidence de la cour d’assises du Loiret.
Selon les propos colportés à l’époque dans la presse, le magistrat imputait à un adjudant-chef d’avoir « agressé verbalement M. Vilate en lui demandant pour qui il se prenait pour déranger deux magistrats, un procureur et un magistrat à la cour d’appel » et lui aurait « demandé fermement de cesser de parler ainsi à une victime ». Il s’en était suivi un échange d’amabilités réciproques qui n’a été du goût ni des uns ni des autres.
Toujours est-il que les diverses démarches et procédures initiées par M. Domergue, 57 ans, magistrat expérimenté et ancien directeur de cabinet de la secrétaire d’État aux droits des victimes Nicole Guedj (2004-2005), à l’encontre des gendarmes pour avoir « mal traité la victime d’un vol » sont restées lettre morte mais, en revanche, son « comportement » et ses initiatives n'ont pas été appréciés et ont conduit la ministre de la justice à saisir le conseil supérieur de la magistrature (CSM) qui a prononcé sa rétrogradation le 19 décembre dernier alors même que la chancellerie n’avait requis qu’un abaissement d’échelon.
M. Domergue a soumis cette sanction aussi humiliante qu’infamante à la censure du Conseil d’État qui aura à se prononcer sur cette décision jugée« complaisante [et] truffée d’erreurs de fait et de droit » par son comité de soutien mais le magistrat réclame davantage et c’est ce qui justifie sa grève de la faim qu’il « maintiendra […] jusqu’à ce que la vérité soit reconnue par les auteurs de cette machination et que son honneur soit rétabli ». Une démarche bien singulière pour un magistrat qui ne peut ignorer que Hollande, Taubira, Cazeneuve et les autres ne peuvent rien pour lui si ce n’est lui rappeler que la séparation des pouvoirs étant ce qu’elle est, il n’y a rien à espérer de l’exécutif et surtout de la part d’un exécutif de gauche pour un juge de droite.
Une grève de la faim bien inutile de la part d’un magistrat chevronné qui a eu le droit de vie et de mort sur bon nombre de délinquants et criminels pendant de nombreuses années qui, eux, pour la plupart, n’ont pas eu la chance de pouvoir médiatiser leur affaire.
Hier en fin d'après-midi, M. Domergue a annoncé qu'il cessait sa grève de la faim. Le CSM, dans sa nouvelle composition renouvelée en février dernier, a estimé jeudi que la sanction prononcée serait « illégale ».
Droit de réponse : Un courrier du magistrat Georges Domergue, 15 avr. 2014.