Déontologie : Un magistrat suspendu pour un cumul public-privé

Rude retour de bâton pour la société Capavocat qui, l’an dernier, avait obtenu de la juridiction administrative la dissolution de sa concurrente, Assas Lextenso formations, créée en 2012 par l’université de Paris II Panthéon-Assas et Lextenso éditions. L’un de ses trois associés, Olivier Coiffet — qui cumulait ses fonctions de juge avec sa qualité d’associé de Capavocat — vient en effet de subir l’humiliation d’une exclusion temporaire de 18 mois dont 12 mois ferme de son poste de président-assesseur à la cour administrative d’appel de Nantes. Explications.

La société Capavocat, un « établissement privé d’enseignement supérieur »créé en 1994 sous la forme d'une société à responsabilité limitée (SARL) par ce magistrat suspendu (41,5 % du capital) et deux avocats parisiens, Jérôme Pentecoste (41,5 %) et Élisabeth Abbou (17 %), prospère depuis une vingtaine d'années sur le juteux marché des préparations estivales à l’examen d’entrée à l’École de formation du barreau de Paris (EFB) avec un résultat net à deux chiffres pour les années 2009 à 2011 à faire pâlir d'envie, oscillant entre 17 et 21 % pour un chiffre d’affaires supérieur à 3 millions d’euros réalisé avec un effectif d’à peine 7 personnes.

Petite baisse de régime du résultat net à 14,5 % en 2012 pour un chiffre d’affaires qui reste malgré tout toujours supérieur à 3 millions d’euros lorsque, cette année-là, la société Lextenso éditions décide de s’allier à l’université de Paris II pour créer une filiale commune, Assas Lextenso formations, qui aura pour objet l’organisation d’une préparation estivale identique à celle de Capavocat sous le nom de « la prépa d’Assas ».

Ce n’est évidemment guère du goût de Capavocat qui, ni une ni deux, dès le 24 septembre 2012, saisit la juridiction administrative parisienne pour que soient notamment annulées les délibérations du conseil d’administration de l’université de Paris II ayant approuvé les statuts constitutifs de la société Assas Lextenso formations et elle parvient à ses fins. Le tribunalTA Paris, 29 oct. 2013, n° 1217449/2-1, société Capavocat c/ université de Paris II et société Assas Lextenso formations. enjoint à l’université de Paris II de procéder à la dissolution de la société, dont elle détient 80 %, dans un délai de six mois en retenant que l’article L. 711-1 du code de l’éducation ne lui permettait pas de créer une filiale pour préparer des étudiants à un examen qu’elle organisait elle-même.

Mal lui en prit toutefois puisqu’à l’occasion de cette procédure, des gens pas très bien intentionnés vont se pencher sur son propre acte de naissance et découvrir la présence d’un magistrat de l’ordre administratif, le sieur Olivier Coiffet, résidant actuellement à Nantes (Loire-Atlantique) et propriétaire de 415 parts sur les 1000 composant le capital de 7 622 euros de la société à responsabilité limitée Capavocat, immatriculée au registre du commerce et des sociétés (RCS) de Paris sous le n° 395 333 297.

S’ensuivra cette sanction disciplinaireDécret du 7 juillet 2014 portant sanction disciplinaire, J.O., n° 157, 9 juill. 2014, n° 66. déshonorante d’exclusion temporaire de dix-huit mois assortie d’un sursis de six mois promulguée le 7 juillet par le président la République et publiée au Journal officiel le surlendemain. Ce n’est bien évidemment pas l’activité d’enseignement à Capavocat qui est en cause mais le profit tiré du contrôle d’une société commerciale et un cumul public-privé dissimulé depuis deux décennies.

Cette sanction aurait néanmoins pu rester « confidentielle » si un petit fouineur du Point.fr n’était tombé sur les deux lignes publiées au Journal officiel du 9 juillet à ce sujet :

« Par décret du Président de la République en date du 7 juillet 2014, la sanction disciplinaire de l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de dix-huit mois assortie d'un sursis de six mois est prononcée à l'encontre de M. Olivier Coiffet, président du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel »

sans aucune autre précision mais Marc Leplongeon qui signe l’article du Point.frfait dire au Conseil d’État que « c’est un business juteux qui n’est pas compatible avec la fonction et la déontologie des magistrats ».

Olivier Coiffet, 51 ans, a effectué toute sa carrière dans l’ordre administratif. À sa sortie de l’École nationale de la magistrature (ENM) en janvier 1990, il est affecté au tribunal administratif de Versailles et est promu conseiller 1re classe à compter du 1er janvier 1996 avant de rejoindre la cour administrative d’appel de Paris (1999-2010) où il y exerce les fonctions de commissaire du gouvernement du 1er septembre 2004 au 31 août 2008. Il a le grade de président depuis le 1er avril 2010 et est affecté à la cour administrative d’appel de Nantes à compter du 1er septembre de la même année. Il apparaît dans l'organigramme 2014 de la cour de Nantes en tant que président-assesseur et siège à la 3e chambre de cette cour qui en comporte cinq.

Ses deux futurs ex-coassociés, Élisabeth Abbou et Jérôme Pentecoste, tous deux avocats au barreau de Paris, depuis 1994 pour la première et 1993 pour le second, sont mutatis mutandis dans la même situation d’incompatibilité puisque selon l’article 111 du décret n° 11-1197 du 27 novembre 1991 « la profession d'avocat est incompatible […] avec toutes les activités de caractère commercial, qu'elles soient exercées directement ou par personne interposée […] ».

Sollicités par LexTimes.fr, Me Abbou et Me Pentecoste n’ont pas souhaité réagir ni la société Capavocat.