Droit de réponse : Un courrier du magistrat Georges Domergue
À la suite de l'article « Déontologie : Un magistrat rétrogradé se met en grève de la faim » (LexTimes.fr, 3 avr. 2015), nous avons reçu une demande d'insertion d'un droit de réponse de la part de M. Georges Domergue :
En décembre 2011, M. Ernest Vilate, artisan plombier d’origine africaine, qui me savait magistrat, a voulu me rencontrer. Il m’a confié des éléments permettant d’identifier l’auteur du vol important dont il avait été victime 8 jours plus tôt. M. Vilate, troublé, s’était présenté 2 h auparavant à la gendarmerie de Briare (45) sans oser faire sa déposition. Il me croyait procureur et en situation d’exploiter ces renseignements.
Je lui ai expliqué que tel n’était pas le cas. Néanmoins, le récit de ce plombier faisait apparaître que le matériel volé devait être transporté vers la région parisienne, en un lieu inconnu, et qu’il y avait donc une certaine urgence à intervenir. La ministre de la justice et le Conseil supérieur de la magistrature ont affirmé péremptoirement le contraire. N’ayant pas leur omniscience, j’ai appelé très vite le procureur de Montargis, seul magistrat compétent. Je lui ai livré les grandes lignes de l’affaire. Le procureur seul a ensuite pris sa décision, ainsi qu’il résulte de son rapport écrit, et donné pour instructions aux gendarmes d’entendre le soir-même la victime et de vérifier un appel téléphonique suspect.
Compte tenu de l’état psychologique de M. Vilate et parce que j’étais moi-mêmedépositaire de révélations détaillées, j’ai demandé au procureur l’autorisation d’accompagner la victime. Soucieux de ne pas gêner mon collègue, j’ai ainsi sollicité un accord préalable que je n’étais nullement tenu de demander, la gendarmerie étant, à 18 h 25, ouverte au public. Le procureur a fait plus qu’accepter, il a expliqué avoir « voulu soutenir [ma] démarche ».
Ce contact avec le procureur a été considéré par Mme Taubira et le C.S.M. comme un « abus » de ma qualité de magistrat, l’accompagnement de la victime, un « passe-droit », les demandes aux gendarmes de respecter les instructions du procureur, une « immixtion » dans l’enquête ! Ces trois points forment le premier grief des poursuites disciplinaires.
À notre arrivée à la gendarmerie, le major a, en effet, refusé de procéder à l’audition de la victime. La raison en a été donnée quelques instants plus tard par un adjudant qui a pris à partie M. Vilate. Ce militaire s’est étonné, sur un ton très vif, qu’une personne « comme lui » (c’est-à-dire ?) bénéficie de l’intervention de deux magistrats. Puis, M. Vilate, devant son amie également présente, a été tutoyé (« Tu as voulu nous apprendre notre métier ? ») et menacé (« Va falloir arrêter la bibine, sinon on va s’occuper de ton permis »).
Toutefois, pour le C.S.M., « à les supposer établis », les propos tenus envers M. Vilate « ne s’expliqueraient pas par une attitude marquée d’une quelconque discrimination raciale ou sociale ».
En quittant la gendarmerie, j’ai annoncé un rapport sur les faits dont j’avais été témoin. Le major et deux de ses subordonnés ont trouvé une parade redoutablement efficace : ils ont rédigé des rapports mensongers me mettant en cause pour outrage.
Le C.S.M. a passé sous silence le fait que ces trois rapports sur l’outrage étaient contredits tant par les deux civils présents à mes côtés que par le témoignage direct d’un adjudant et le témoignage indirect d’un adjudant-chef. Certes, les poursuites disciplinaires ne sont pas fondées directement sur ce prétendu outrage. Il reste que, eu égard aux contradictions qui viennent d’être évoquées, la prudence était d’écarter l’ensemble des rapports et dépositions de ces trois militaires. Il n’en a rien été. Le C.S.M. a largement puisé dans ces pièces de procédure très contestables pour établir son propre récit des faits.
J’ai tenté au cours de l’audience du C.S.M. de faire un rapprochement avec l’affaire d’Aulnay (93) dans laquelle 7 policiers ont été convaincus de faux et sévèrement condamnés. Le président Louvel m’a interrompu : « Cette affaire n’a rien à voir avec l’affaire d’Aulnay ! » !
Quant à la hiérarchie militaire, elle a fait preuve d’une solidarité sans faille avec le major et ses deux subordonnés. Je dispose d’une preuve écrite de la volonté,à un très haut niveau, de ne donner aucune suite aux divers signalements impliquant, au-delà de cette affaire, la brigade de Briare dans son traitement des victimes.
D’autres irrégularités concernent principalement deux magistrats. Ainsi, il est constant qu’un magistrat du parquet a pris des réquisitions sur ma plainte avec constitution de partie civile qui lui reprochait personnellement un “probable” faux en écriture. Tant la ministre de la justice que le C.S.M. n’ont pourtant pas hésité à retenir, parmi leurs griefs contre moi, la mise en cause de l’impartialité de ce magistrat.
En dénonçant cet ensemble de manquements, j’ai revendiqué le statut de lanceur d’alerte. Le C.S.M. a rejeté cette prétention, sans à aucun moment prendre la peine de se référer à la définition juridique du lanceur d’alerte pour en vérifier les conditions d’application.
La parole est maintenant au Conseil d’État.