Droits de l'homme : La Cour de Luxembourg pas favorable à une adhésion de l'Union à la CEDH

La cour de justice de l'Union européenne a émis un avis défavorable sur le projet d'accord relatif à l’adhésion de l’Union européenne à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales après avoir identifié des problèmes de compatibilité avec le droit de l'Union.
La convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) est un accord international multilatéral conclu au sein du Conseil de l’Europe
Depuis lors, le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission ont, en 2000, proclamé la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne à laquelle le traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009, a conféré la même valeur juridique que les traités. Ce traité a également modifié l’article 6 du traité UE qui maintenant prévoit, d’une part, que les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la CEDH et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l'Union en tant que principes généraux et, d’autre part, que l'Union adhère à la CEDH. À cet égard, le protocole n° 84 dispose cependant que l'accord d’adhésion doit remplir certaines conditions visant notamment à refléter la nécessité de préserver les caractéristiques spécifiques de l’Union et du droit de l’Union et à garantir que l’adhésion de l’Union n’affecte ni ses compétences ni les attributions de ses institutions.
À la suite d’une recommandation de la Commission, le Conseil a, le 4 juin 2010, adopté une décision autorisant l’ouverture des négociations pour un accord d’adhésion. La Commission a été désignée en tant que négociateur. Le 5 avril 2013, les négociations ont abouti à un accord sur les projets d’instruments d’adhésion. Dans ce contexte, la Commission s'est adressée, le 4 juillet 2013, à la cour de justice afin de recueillir son avis sur la compatibilité du projet d'accord avec le droit de l'Union, conformément à l’article 218, paragraphe 11, du Traité.
Dans l'avis rendu aujourd'hui, la Cour
La Cour observe ensuite que, du fait de l’adhésion, la CEDH — comme tout autre accord international conclu par l’Union — lierait les institutions de l’Union et les États membres et ferait partie intégrante du droit de l’Union. L’Union serait alors soumise « à un contrôle externe ayant pour objet le respect des droits et des libertés prévus par la CEDH » et ses institutions seraient soumises aux mécanismes de contrôle prévus par cette convention et, en particulier, aux décisions et aux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. S'il est inhérent à la notion même de contrôle externe que l’interprétation de la Convention EDH fournie par la Cour EDH lierait l’Union et toutes ses institutions et que l’interprétation donnée par la Cour de justice de l'UE d’un droit reconnu par la CEDH ne lierait pas la Cour EDH. Mais cela ne peut en être ainsi en ce qui concerne l’interprétation que la Cour elle-même fournit du droit de l’Union et, notamment, de la Charte.
La Cour souligne en particulier que, dans la mesure où la CEDH accorde aux Parties contractantes la faculté de prévoir des standards de protection plus élevés que ceux garantis par la convention, il convient d’assurer une coordination entre la CEDH et la Charte. En effet, lorsque les droits reconnus par la Charte correspondent à des droits garantis par la CEDH, il faut que la faculté accordée aux États membres par la CEDH demeure limitée à ce qui est nécessaire pour éviter de compromettre le niveau de protection prévu par la Charte ainsi que « la primauté, l’unité et l’effectivité du droit de l’Union ». La Cour déplore qu’aucune disposition du projet d’accord n’a été prévue pour assurer une telle coordination.
La Cour estime que l’approche retenue dans le projet d’accord — consistant à assimiler l’Union à un État et à réserver à cette dernière un rôle en tout point identique à celui de toute autre Partie contractante — méconnaît précisément la nature intrinsèque de l’Union. Pour la Cour, cette approche ne tient pas compte du fait que les États membres, en ce qui concerne les matières faisant l’objet du transfert de compétences à l’Union, ont accepté que leurs relations soient régies par le droit de l’Union, à l’exclusion de tout autre droit. En imposant de considérer l’Union et les États membres comme des Parties contractantes non seulement dans leurs relations avec les Parties qui ne sont pas membres de l’Union, mais également dans leurs relations réciproques, la CEDH exigerait que chaque État membre vérifie « le respect des droits fondamentaux par les autres États membres » alors que le droit de l’Union « impose la confiance mutuelle » entre ces États membres, ce qui fait dire à la Cour que « l’adhésion est susceptible de compromettre l’équilibre sur lequel l’Union est fondée ainsi que l’autonomie du droit de l’Union » car rien n’est prévu dans l’accord envisagé afin de prévenir une telle évolution.
La Cour relève que le protocole n° 16 à la CEDH, signé le 2 octobre 2013, autorise les plus hautes juridictions des États membres à adresser à la Cour EDH des demandes d’avis consultatif sur des questions de principe relatives à l’interprétation ou à l’application des droits et libertés garantis par la CEDH ou ses protocoles. Étant donné que, en cas d’adhésion, la CEDH ferait partie intégrante du droit de l’Union, le mécanisme instauré par ce protocole pourrait affecter l’autonomie et l’efficacité de la procédure de renvoi préjudiciel prévue par le traité FUE, notamment lorsque des droits garantis par la Charte correspondent aux droits reconnus par la CEDH. En effet, souligne la Cour, il n’est pas exclu qu’une demande d’avis consultatif introduite au titre du protocole n° 16 par une juridiction nationale puisse déclencher la procédure dite de« l’implication préalable » de la Cour, créant ainsi un risque de contournement de la procédure de renvoi préjudiciel.
La Cour rappelle également que le traité FUE prévoit que les États membres s’engagent à ne pas soumettre un différend relatif à l’interprétation ou à l’application des traités à un mode de règlement autre que ceux prévus par les traités. Par conséquent, lorsque le droit de l’Union est en cause, la Cour est exclusivement compétente pour connaître de tout litige entre les États membres ainsi qu’entre ces derniers et l’Union au sujet du respect de la CEDH. Le fait que, selon le projet d’accord, les procédures devant la Cour ne doivent pas être considérées comme des modes de règlement des différends auxquels les Parties contractantes ont renoncé au sens de la CEDH ne saurait suffire à préserver la compétence exclusive de la Cour. En effet, le projet d’accord laisse subsister la possibilité que l’Union ou les États membres saisissent la Cour EDH d’une demande ayant pour objet une violation alléguée de la CEDH par un État membre ou par l’Union en relation avec le droit de l’Union. L’existence même d’une telle possibilité porte atteinte aux exigences du traité FUE. Dans ces circonstances, le projet d’accord ne pourrait être compatible avec le traité FUE que si la compétence de la Cour EDH était « expressément exclue pour les litiges qui opposent les États membres entre eux ou les États membres et l’Union au sujet de l’application de la CEDH dans le cadre du droit de l’Union ».
La Cour analyse aussi les caractéristiques spécifiques du droit de l’Union concernant le contrôle juridictionnel en matière de politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et souligne à cet égard que, en l’état actuel du droit de l’Union, certains actes adoptés dans le cadre de la PESC échappent au contrôle juridictionnel de la Cour. Une telle situation est inhérente à l’aménagement des compétences de la Cour prévu par les traités et, en tant que telle, ne peut se justifier qu’au regard du seul droit de l’Union. Toutefois, en raison de l’adhésion telle que prévue par le projet d’accord, la Cour EDH serait habilitée à se prononcer sur la conformité avec la CEDH de certains actes, actions ou omissions intervenus dans le cadre de la PESC, notamment ceux pour lesquels la Cour n’est pas compétente pour exercer son contrôle de légalité au regard des droits fondamentaux. Une telle situation reviendrait à confier, en ce qui concerne le respect des droits garantis par la CEDH, le contrôle juridictionnel exclusif de ces actes, actions ou omissions de l’Union à un organe externe à l’Union. Par conséquent, le projet d’accord méconnaît, estime la Cour, « les caractéristiques spécifiques du droit de l’Union concernant le contrôle juridictionnel des actes, actions ou omissions de l’Union dans le domaine de la PESC » et en conclut que le projet sur l'adhésion de l'Union européenne à la CEDH n'est pas compatible avec les dispositions du droit de l'Union. Cet avis négatif de la Cour ne permet pas au projet d'aboutir, sauf modification de celui-ci ou révision des traités.