Justice : Des outils informatiques et applicatifs métiers obsolètes ou inadaptés

Cassiopée, un logiciel qui ne répond pas aux attentes des magistrats.
Cassiopée, un logiciel qui ne répond pas aux attentes des magistrats.

On savait parfaitement que la justice est et doit être lente pour être bien rendue et qu’elle est malheureusement encore un peu plus lente aujourd’hui devant toutes les juridictions avec le stock amassé depuis et à cause de la crise sanitaire de 2020. On ignorait toutefois qu’une partie non négligeable de cette lenteur superflue est directement imputable à des outils informatiques « obsolètes » datant de plusieurs décennies pour certains ou  « inadaptés » pour d’autres, à en croire une lettre ouverte adressée mercredi au ministère de la justice par l’Union syndicale des magistrats (Usm, majoritaire, marqué à gauche) dont LexTimes a pris connaissance.

« Les outils informatiques, et notamment les applicatifs métiers, dont les magistrats disposent en juridictions » datent de mathusalem et « au quotidien, les magistrats mais également les greffiers et personnels judiciaires doivent faire face à des défaillances multiples et récurrentes qui obèrent leurs conditions de travail », écrit sans détour le président du syndicat majoritaire Ludovic Friat dans une lettre destinée à la secrétaire générale du ministère de la justice Karine Chevrier, pointant un « irritant majeur » et où il est évoqué pêle-mêle, dans une sorte d’inventaire à la Prévert, toutes les doléances remontées de la base au cours des dernières années de la part des juges d’instruction, des juges de l’application des peines, des juges des enfants, des juges correctionnels et des parquetiers ainsi que des services statistiques et des services civils. Une litanie de doléances qui met en lumière les nombreux dysfonctionnements mais surtout l’incapacité des différents outils informatiques et applicatifs métiers des différentes juridictions à fonctionner ensemble harmonieusement et un apparent défaut de maintenance et de mises à jour qui les rend obsolètes avant même d’être amortis.

Les juges d’instruction se plaignent ainsi de Cassiopée (l'acronyme pour "Chaine applicative supportant le système d'information Oriente procédure pénale et enfants"), un logiciel créé en 2009 et déployé en 2011, supposé permettre de mieux assurer l’uniformisation et la maîtrise de la totalité du processus pénal (gestion des audiences, élaboration des décisions des juridictions de jugement, gestion des voies de recours et des recours en grâce, gestion des agendas, alertes et relances, édition des documents, archivage électronique, recherches et consultations intra et inter-juridictions), y compris l’assistance éducative des mineurs ainsi que l’enregistrement des procédures civiles et commerciales par les parquetiers. Dix ans plus tard, d’aucuns dénoncent un logiciel, qui ne répond pas à leurs attentes métiers, qu’ils doivent « subir » malgré des défaillances récurrentes entraînant des suspensions à répétition pendant de « longues heures de nuit en métropole empêchant tout travail outre-mer compte tenu du décalage horaire ». Les trames, non modifiables de Cassiopée, comportent plusieurs erreurs procédurales, etc., etc., mais c’est aussi, plus généralement, la migration d’Internet Explorer vers Microsoft Edge qui est source d’effroi, de déconnexions intempestives et de délais. Cerise sur le gâteau : la PNIJ (Plateforme nationale des interceptions judiciaires) et Cassiopée ne sont pas compatibles.

Les juges de l’application des peines se plaignent, eux, du logiciel Appi (Application des peines, probation et insertion) créé en 2003 et déployé en 2005. Dans certains tribunaux, au début de cette année 2023, il a fallu « réimplanter » dans le logiciel les données des situations traitées « à la main » du fait de « défaillances » pendant plusieurs semaines et s’il bénéficie d’une couverture nationale, les données ne sont consultables qu'au niveau local alors que les magistrats disent avoir besoin de « connaître le déroulé des suivis ou les autres peines en cous d’aménagement dans d’autres tribunaux que le sien » et les trames personnalisées disparaissent à chaque mise à jour du logiciel. Autre souci actuel des juges de l’application des peines, le logiciel Genesis qui permet, lorsqu’il fonctionne, la gestion, au niveau national, des personnes détenues en établissement pénitentiaire.

Les juges des enfants se plaignent du logiciel Wineurs — qui était appelé à disparaître lors du déploiement de Cassiopée mais qui reste toutefois encore usité en matière d’assistance éducative — qui tourne sous l’architecture obsolète du traitement de texte Wordperfect, incompatible avec Windows 10, obligeant à faire des copier-collers et ne permettant pas de travailler à distance.

Les juges correctionnels et parquetiers ne sont pas si mécontents mais se plaignent, pour certains, de n’avoir pas pu bénéficier de la formation nécessaire pour utiliser « toutes les potentialités » de leur nouveau logiciel Noé qui se substitue à Npp et présente une réelle « plus-value ». On terminera sur cette bonne note même si d’autres insatisfactions sont signalées dont notamment les logiciels pour réclamer le remboursement des frais de déplacement ou solliciter une formation.

La révolution technologique de la justice reste à faire, conclut Ludovic Friat.