Justice : La cour de cassation se rebiffe au nom de la tradition républicaine

« Par simple décret du premier ministre, […] la cour de cassation […] est placée sous le contrôle direct du gouvernement […], en rupture avec la tradition républicaine observée jusqu’à ce jour », écrivent Bertrand Louvel et Jean-Claude Marin, respectivement premier président et procureur général de la Haute juridiction de l’ordre judiciaire, au premier ministre Bernard Cazeneuve.
Le décret litigieux
Le problème est que la Cour de cassation jouit d’une certaine indépendance et que la compétence de l’actuel inspecteur général des services judiciaires se limite aux juridictions du premier et du second degré alors que la mission de l’inspection générale de la justice nouvellement créée a vocation à exercer, selon l’article 2 du texte, « une mission permanente d’inspection, de contrôle, d’étude, de conseil et d’évaluation sur l’ensemble […] des juridictions de l’ordre judiciaire […] », ce qui a fait sursauter les magistrats indignés et justifie la missive au nouvel hôte de Matignon.
Les deux hauts magistrats sont d’autant plus remontés que le garde des sceaux, Jean-Jacques Urvoas, ne leur a pas fait part de « disponibilités » pour les recevoir et demandent donc à Bernard Cazeneuve, qui vient de succéder à Manuel Valls, d’être reçus pour qu’il lui « communique des explications sur les raisons de ce décret dont la Cour a pris connaissance par le Journal officiel ».
Cet incident survient après celui avec le président de la République François Hollande qui avait taxé d' « institution de lâcheté » toute l’institution judiciaire dans ses confidences à deux journalistes du quotidien le Monde (Un président ne devrait pas dire ça…, Fabrice Lhomme et Gérard Davet, Stock, oct. 2016, 450 p. 24,50 €).
L'exclusion de la cour de cassation du champ de compétence de l'inspection générale n'a pas de justification évidente
Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, 7 déc. 2016.
L'inspecteur général des services judiciaires exerçait déjà, réplique le garde des sceaux dans une réponse en date d'hier, « une mission permanente d'animation, de coordination et de réalisation de l'audit interne de l'ensemble des juridictions de l'ordre judiciaire, sans exclusion de la cour de cassation ». L'exclusion de la cour de cassation du champ de compétence de l'inspection générale n'a pas, poursuit-il, de « justification évidente » et le décret ne fait que mettre en « cohérence des anciens textes en harmonisant les compétences de l'inspecteur général des services judiciaires, dans un sens déjà engagé ».
La cour de cassation n'admet pas d'être sous le contrôle d'un membre du gouvernement
Jean-Claude Marin et Bertrand Louvel, procureur général et premier président de la cour de cassation, 8 déc. 2016
Ce n'est pas du goût de la cour de la cassation qui, dans une duplique datée de ce jour, estime que ces dispositions « méconnaissent le statut de cour suprême de la Cour de cassation et rompent avec une conception de la séparation des pouvoirs qui faisait, jsuqu'à présent, consensus ». « La Cour de cassation, garante ultime de la liberté individuelle, se trouve ainsi, contrairement aux cours suprêmes françaises, soumise au contrôle d'un service placé sous l'autorité d'un membre du gouvernement », se plaignent les deux hauts magistrats qui dénoncent « toute extension des prérogatives de l'exécutif dans le fonctionnement de l'autorité judiciaire [qui] est perçue par nos concitoyens comme une ingérence ».
D'autres voies devraient être explorées, estime la cour de cassation, notamment la mise en place de dispositifs inspirés de ceux existant au Conseil d'État ou à la Cour des comptes, à défaut de rattachement de l'Inspection générale au Conseil supérieur de la magistrature, précisément institué pour garantir l'indépendance de la justice.
Jean-Claude Marin et Bertrand Louvel devraient être reçus par le garde des sceaux dans les tout prochains jours pour éclaircir et apaiser la situation.
Ce décret doit être modifié sans délai
François Fillon, candidat LR à la présidentielle 2017, 9 déc. 2019.
Si cette initiative réponse pour partie à des besoins de simplification, elle ouvre, indique dans un communiqué diffusé vendredi le candidat LR à la présidentielle 2017 François Fillon, « de manière irresponsable et inquiétante une crise inédite dans le fonctionnement démocratique de nos institutions, en ce que, aux antipodes des traditions républicaines, elle étend pour la première fois, à la Cour de cassation, le contrôle des inspecteurs ». Ce décret doit donc sur ce point « être modifié sans délai », juge-t-il.