Justice : Une réforme qui passe mal

La garde des sceaux Nicole Belloubet a présenté hier aux députés son projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice que les sénateurs avaient réécrit en le « vidant » de sa substance et que la commission des lois a rétabli dans sa version initiale en le « durcissant » davantage au goût des magistrats, du Défendeur des droits et des avocats qui appellent à une journée « justice morte » ce jeudi 22 novembre 2018.
L’Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire) réclame une justice « humaine et accessible » en considérant que « limiter les compétences des juridictions, éloigner le juge du justiciable, réduire drastiquement la collégialité y compris en appel, supprimer les audiences,… » constituent autant de réformettes qui ont pour seul but de « limiter l'accès au juge » alors que le syndicat plaide pour plus de moyens pour que la justice fonctionne mieux mais contrairement au Syndicat de la magistrature (SM, minoritaire) qui « soutient » la « nouvelle journée "justice morte" » de ce jeudi 22 novembre, il n’a pas participé pas à la mobilisation de jeudi dernier et ne participera pas à celle de jeudi prochain.
Sont notamment critiqués par l’un ou l’autre ou les deux syndicats de magistrats, la fusion du tribunal d’instance avec le tribunal de grande instance pour former le « tribunal judiciaire », la création d'une juridiction nationale pour le traitement des injonctions de payer, la suppression du juge de l’application des peines dans certains tribunaux judiciaires, l’extension de la représentation obligatoire par avocat à « certains contentieux complexes » supérieurs à 10 000 euros et l’obligation de tentative de résolution amiable préalable à la saisine du tribunal judiciaire n’est pas jugée « cohérente » avec la volonté de vouloir supprimer la tentative de conciliation devant le juge aux affaires familiales. La « simplification » et la « numérisation » n’auraient en fait pour seule finalité, selon le syndicat de la magistrature, que de rendre la justice plus inaccessible et plus onéreuse dans certains cas ou pour certaines catégories de personnes.
Le Défenseur des droits ne dit pas autre chose. Plusieurs dispositions du projet de loi portent « atteinte », selon Jacques Toubon, « à l’accès au droit des justiciables, notamment des plus fragiles » et dénonce également la suppression des tribunaux d’instance qui sont chargés de la protection des plus vulnérables (mesures de protection, surendettement, baux d’habitation,…) et sont « géographiquement proches des justiciables, faciles à saisir, peu coûteux et jugent dans des délais raisonnables ». Une dématérialisation généralisée sans phase transitoire et sans accompagnement numérique des usagers est également critiquée à la lumière du nombre « important de saisines reçues à l’occasion du déploiement du Plan Préfecture Nouvelle Génération » qui a démontré l’ « ampleur des difficultés que peut entraîner une vague de dématérialisation pour l’accès aux services publics » et préconise de garder une voie alternative papier et un accueil téléphonique renforcé. Quant aux procédures de règlement amiable des litiges, elles doivent être uniquement « incitatives » et non obligatoires et la possibilité d’y mettre un terme à tout moment sans motif. Et, enfin, l’octroi de pouvoirs d’enquêtes complémentaires au parquet sans contrepartie en matière de garanties statutaires et le recul du contrôle de l’autorité judiciaire sur les services de police remettent en cause de façon disproportionnée, souligne le Défenseur des droits, l’équilibre de la procédure pénale.
Les avocats, quant à eux, qui appellent à une journée "justice morte" ce jeudi 22 novembre, se disent, dans une lettre ouverte du Conseil national des barreaux (CNB) à la garde des sceaux, « unis et unanimes […] inquiets et toujours déterminés » quant à la nouvelle mouture du projet adoptée par la commission des lois de l’Assemblée nationale et pointent notamment l’expérimentation élargie à cinq régions administratives de la nouvelle organisation des cours d’appel spécialisées, la création du tribunal judiciaire, la dématérialisation de la procédure pénale, la notification orale des droits au gardé à vue alors que des « engagements » auraient été pris par la chancellerie sur ces points après la manifestation nationale du 11 avril 2018. Même son de cloche du côté du e Syndicat des avocats de France (SAF) qui estime que le texte amendé par la commission des lois « aggrave […] les mesures du projet gouvernemental initial, poussant la logique de rationalisation des coûts et l’atteinte aux droits fondamentaux à son comble ».
Le conseil de l'ordre de Paris dit avoir voté à l'unanimité la grève des audiences et des désignations contre cette réforme et appelle à une mobilisation des avocats de Paris ce jeudi 22 novembre. Les avocats parisiens sont appelés à faire la grève des audiences et des désignations au titre de l’aide juridictionnelle et cette mobilisation porte, est-il précisé, sur la révision des pensions alimentaires par le directeur de la CAF, la centralisation de la procédure d’injonction de payer, la régression des droits de la défense et des victimes, la dématérialisation de la procédure pénale, et plus particulièrement des notifications des droits au gardé à vue, l’expérimentation élargie à 5 régions administratives, d’une nouvelle organisation de cours d’appel spécialisées, la fusion du tribunal de grande instance et du tribunal d’instance en un seul tribunal judiciaire et l’expérimentation du tribunal criminel départemental. Le barreau de Paris demande à tous les avocats de ne pas assurer les permanences de déferrement et de garde à vue, à ne pas tenir de consultations gratuites et à demander systématiquement le renvoi des dossiers qui devaient être évoqués au sein des juridictions. Et il n’y aura pas jeudi de désignation au titre de l’aide juridictionnelle.