Magistrats : La Commission de Bruxelles saisie de "graves atteintes" à l’indépendance de la justice

Katia Dubreuil. Capture d'écran.
Katia Dubreuil. Capture d'écran.

Dans un courrier transmis mardi aux commissaires européens Věra Jourová chargée de la Transparence et des Valeurs et Didier Reynders chargé de la Justice, les représentantes des deux principaux syndicats de magistrats judiciaires, Katia Dubreuil du Syndicat de la magistrature (SM) et Céline Parisot de l’Union syndicale des magistrats (USM), ont saisi Bruxelles de « graves atteintes à l’indépendance de la justice française et plus généralement à l’État de droit » à propos de l’affaire impliquant l’ancien chef de l’État Nicolas Sarkozy et qui sera évoquée à partir du 23 novembre 2020 devant la 32e chambre correctionnelle du tribunal de Paris.

Les deux syndicalistes rappellent liminairement qu’il est reproché à l’ancien président de la République, et à son avocat Thierry Herzog, d’avoir promis, à l’ancien magistrat près la Cour de cassation Gilbert Azibert, son appui pour une nomination à Monaco en échange d’informations sur le dossier Bettencourt le concernant personnellement et reposant sur les écoutes téléphoniques d’une ligne utilisée sous le nom de « Paul Bismuth ».

Ayant acquis la « conviction » qu’un tiers avait averti les trois suspects mis sur écoute, le parquet national financier (PNF) les « fadettes » (factures détaillées) des lignes téléphoniques de plusieurs avocats, dont l’actuel garde des sceaux Éric Dupond-Moretti, et d’un magistrat ont été épluchées par les enquêteurs sans toutefois parvenir à identifier l’origine de la fuite.

Révélée, le 24 juin 2020, par l’hebdomadaire le Point, l’existence de cette enquête occulte en marge de l’affaire Bettencourt a suscité, dès le lendemain, au micro de LCI, une montée en charge de l’avocat Dupond-Moretti qui indiquait vouloir déposer plainte et dénonçait les « méthodes de barbouzes » du PNF comme une « atteinte au respect dû à sa vie privée » et c’est ainsi que la ministre de la justice d’alors, Nicole Belloubet, annonça, le 1er juillet 2020, une inspection du fonctionnement du PNF pour « évaluer la proportionnalité des mesures utilisées ».

Les deux magistrats estiment que l’inspection générale de la justice (IGJ), placée sous l’autorité du ministre de la justice, n’est pas « légalement » compétente pour évaluer la pertinence des actes d’enquête et des décisions prises par des magistrats et qu’il s’agirait donc d’une ingérence dans le fonctionnement de l’autorité judiciaire dont l’indépendance est pourtant garantie par la Constitution et n’aurait pour seul but que de préparer une « procédure disciplinaire en raison d’une décision juridictionnelle ». Cinq jours plus tard, le 6 juillet 2020, Éric Dupond-Moretti est nommé ministre de la justice et annonce qu’il retire sa plainte mais, soulignent Katia Dubreuil et Céline Parisot, un tel « retrait » est sans conséquence sur l’action publique.

Le communiqué du 18 septembre 2020 du ministre de la justice dévoilant les noms des magistrats du PNF à l’encontre desquels il est demandé l’ouverture d’une enquête administrative passe mal et porte « directement atteinte à la réputation des magistrats désignés », outre qu’il serait en situation de conflit d’intérêts bien qu’il a fini, le 12 octobre 2020, par se déporter au profit du premier ministre mais la grogne syndicale reste fort intense et dénonce un « double conflit d’intérêts du ministre, portant atteinte tant à l’indépendance du parquet qu’à celle du siège » et « l’inaction du […] président de la République » qui est le garant constitutionnel de l’indépendance de la justice.

Ces préliminaires posés, les deux magistrats disent en faire appel à la Commission de Bruxelles pour qu’elle s’assure que la France « met en place les garanties nécessaires pour faire cesser tout conflit d’intérêts dans les dossiers judiciaires et […] que les réformes institutionnelles nécessaires à la préservation de l’indépendance de la justice soient enfin menées à leur terme », dans la mesure où « le système institutionnel français est impuissant à mettre fin aux atteintes inédites [dénoncées] ». Des proches d’Emmanuel Macron sont des proches de Nicolas Sarkozy et pour illustrer leur propos, il est fait état de la proximité de Jean Castex avec Nicolas Sarkozy dont il était le secrétaire général adjoint. Il est également fait état du caractère vindicatif d’Emmanuel Macron qui a fait diligenter une inspection disciplinaire à l’encontre du magistrat et vice-président de l’association « Anticor » Eric Alt à la suite d’un dépôt de plainte de l’association à l’encontre d’un proche d’Emmanuel Macron et président de l’Assemblée nationale Richard Ferrand. Pas sûr que cette supplique, sans aucune référence à une quelconque disposition communautaire, relève effectivement des attributions de la Commission.