Marc Trévidic : L'USM évoque les pressions dont le juge ferait l'objet

Le torchon brûle entre le célèbre juge anti-terroriste Marc Trévidic et sa hiérarchie. Ce magistrat, chargé de l'enquête sur l'attentat de Karachi en 2002, affirme être harcelé. Il dit faire l'objet de brimades régulières visant à l'empêcher de travailler.
Dans un communiqué diffusé aujourd'hui, le premier président de la cour d'appel de Paris, Jacques Degrandi, nie catégoriquement. Il déclare n'avoir aucune intention d'empêcher le juge d'instruire "en toute indépendance les procédures dont il est saisi" et se dit "soucieux de les préserver de toutes pressions". Il dénonce, au sujet d'articles parus dans la presse sur le sujet, des"amalgames, contractions, propos épars [...] qui nourrissent une présentation manichéenne et tendancieuse de la réalité, ainsi que des portraits caricaturaux et injustes".
Il rappelle également que chacun doit "exercer la plénitude de ses attributions dans le respect des règles éthiques et déontologiques attachées à l'état de magistrat".
Christophe Régnard, président de l'Union syndicale des magistrats (USM), qui soutient Marc Trévidic, nous explique concrètement, dans un entretien, ce que le juge reproche à sa hiérarchie.
LexTimes.fr : Marc Trévidic se dit victime de pressions et a fait appel à vous. Que pouvez-vous faire dans un cas comme celui-là ?
Christophe Régnard : Ce qui pouvait être fait a été fait. À sa demande nous sommes intervenus auprès de la hiérarchie judiciaire parisienne, pour faire comprendre que ce genre d'attitudes de petites vexations et de petites tracasseries suffisaient, que nous serions très vigilants à l'avenir et que nous ne laisserions rien passer...
Qu'y a-t-il eu très concrètement ?
Il y a eu trois évènements au cours de l'année 2011.
Quel a été le premier ?
Le premier chronologiquement était en juin. Il avait un déplacement prévu dans le cadre d'une mission de formation des magistrats anti-terroristes au Niger, qui était calé sous l'égide de l'École nationale de la magistrature. Tout était organisé, calé. Trois jours avant de partir, le premier président de Paris lui a fait savoir qu'il n'en était pas question, en arguant de motifs divers et variés selon les interlocuteurs, soit qu'il avait trop de travail soit que cela devait être quelqu'un de plus gradé que lui qui devait s'y rendre. Or, il devait faire ce voyage au Niger, où il y a quand même Aqmi (Al-Qaida au Maghreb islamique) qui se répand de façon assez inquiétante. Une meilleure coopération internationale avec les autorités du Niger est tout à fait essentielle quand on mène ce genre d'investigations, et cela a profondément fâché les autorités locales.
Quel a été le deuxième évènement ?
Il a trait au nombre de dossiers dont Marc Trévidic est saisi. Il n'y a quasiment pas eu de nouveaux dossiers qui lui ont été confiés en 2011. Ceci dit, le nombre global de dossiers ouverts à l'instruction anti-terroriste à Paris a considérablement baissé, donc ce n'est pas en soi choquant. Ce qui est plus gênant est que lorsque l'on instruit, quand un dossier prend un peu trop d'ampleur et commence à s'orienter sur une direction différente de celle d'origine, on a tendance à couper cette branche et demander au parquet d'ouvrir un nouveau dossier qui partirait sur cette branche-là. C'est une pratique courante, mais ordinairement, le nouveau dossier en question est donné au même juge. Là, un certain nombre de ces dossiers ne lui sont jamais revenus, d'autres magistrats ont été désignés, sans qu'aucune explication cohérente ne lui ait été donnée sur la raison.
Avez-vous des exemples ?
Non, ce n'était pas sur des affaires sensibles, plutôt d'autres lambda, mais c'est simplement une démarche qui n'est pas très compréhensible. On nous a expliqué qu'il était déjà très chargé, qu'il fallait lui laisser du temps. Sauf que ce ne sont pas les explications qui lui ont été données à l'époque...
Quel a été le troisième évènement ?
C'est une histoire invraisemblable qui a trait à la presse. Marc Trévidic est aussi président de l'AFMI (Association française des magistrats instructeurs). À ce titre il a reçu, dans son bureau, dans la galerie Saint-Eloi anti-terroriste, un journaliste avec une photographe qui était là pour faire un portrait allant avec l'article prévu. Cette photographe a réglé son appareil photo dans la salle d'attente de Marc Trévidic avant de le voir, ce qui est formellement interdit, car les appareils ne sont pas autorisés dans cette partie-là. On a reproché cela à Marc, deux mois après l'incident, au motif qu'il aurait mis gravement en danger la sécurité du palais de justice et de ses collègues. Il n'y avait pas mort d'homme... Qu'on lui ait demandé un rapport d'explication sur ce qui s'était passé était légitime, mais le fait que derrière on veuille faire une sorte d'exemple avec une mention au dossier, c'est juste ahurissant...
Votre sentiment est qu'il y a eu un effet d'accumulation ?
Oui, les trois éléments pris les uns après les autres et indépendemment les uns des autres n'ont pas grande signification, mais quand on les cumule, l'état d'esprit dans lequel lui est amené à travailler se dégrade... C'est un peu ce que l'on avait connu avec Isabelle Prévost-Desprez à Nanterre. C'est soit on pousse au départ, soit on pousse à commettre un acte et à communiquer au-delà ce que le devoir de réserve autorise. Là c'est paru, ce n'est pas de notre fait mais de Marianne à la base, on ne sait pas comment le journal a eu l'info, c'est le secret des sources...
Marc Trévidic ne le souhaitait pas ?
Nous n'étions pas dans une logique de sortie. L'entretien avec le premier président était le 16 décembre, donc si on avait voulu balancer l'information, on l'aurait fait avant. Mais j'ai eu Marc ce matin, il était soulagé, car c'est quelque chose qui lui est resté sur le cœur.
Vous parliez d'Isabelle Prévost-Desprez. A quel niveau le cas vous paraît-il proche ?
J'ai vraiment eu l'impression de revivre le même processus, avec des petites tracasseries, des petites mesures de rétorsion, des rumeurs de couloir, des procédures disciplinaires qui ne disent pas leur nom...
Le fait que les deux affaires soient proches dans le temps est-il significateur selon vous ?
Cela existait déjà auparavant. Le problème est que là nous avons deux exemples récents. Quand on regarde dans le passé, il y a eu le juge Halphen, le juge Renaud Van Ruymbeke, un certain nombre de magistrats qui abordaient des dossiers sensibles. Ce type de cas s'est vu sous des gouvernements de gauche comme de droite. C'est tout à fait regrettable dans un pays qui se veut démocratique.