Mariages forcés : En parler ici, subir là-bas
« Moi Nojoom, 10 ans, divorcée » (2015), drame biographique de Khadija Al Salami. Avec Reham Mohammed (Nojoom), Ibrahim Al Ashmori (le père), Sawadi Alkainai (le mari), Adnan Alkhader (le juge). En version arabe avec sous-titres français. Peut-être bientôt en salles mais entre-temps disponible sur mytf1vod, filmotv ou canalvod. 96’.
Il y aurait 700 millions de mariages « forcés » ou « arrangés » de par le monde et même chez nous, en France, il y en aurait quelques centaines. Parmi ces millions de victimes subies ou rebelles, Nojoud et Khadija, toutes deux mariées prépubères avec un homme aussi ou plus âgé que leur père dont elles ont voulu se délier. La première en a fait un magnifique livre-témoignage en 2009 que la seconde a brillamment porté à l’écran en 2015 pour sortir ces épouses-enfants de la clandestinité.
« Je m’appelle [Nojoud dans le livre et Nojoom à l’écran, ndlr] et je suis yéménite. Mariée de force par mes parents à un homme trois fois plus âgé que moi, j’ai été abusée sexuellement et battue. À 10 ans, j’ai demandé le divorce trois mois après mes noces. Un jour, en partant acheter du pain, j’ai décidé de ne pas rentrer chez moi et je me suis réfugiée au tribunal jusqu’à ce qu’un juge veuille bien m’écouter », c’est le témoignage poignant d’une fillette (Moi Nojoud, 10 ans, divorcée, Nojoud Ali avec la collaboration de Delphine Minoui, Michel Lafon, Paris, janv. 2009, 286 p., 18 €) qui a défié l'archaïsme des traditions de son pays en osant aller demander le divorce et en l'obtenant. Une première dans ce pays où plus de la moitié des gamines sont mariées de force avant leur 15e anniversaire. Élue « Femme de l'année 2008 » par le magazine américain Glamour, elle est passée du statut de victime à celui d'héroïne en racontant son histoire pour briser le silence et redonner espoir à celles qui ont vécu ou vivent, aujourd’hui encore, la même tragédie.
C’est bien évidemment loin d’être un chef-d’œuvre sur le plan cinématographique mais le résultat global demeure malgré tout assez exceptionnel et on pardonne d’autant plus facilement les quelques incohérences et imperfections scéniques à l’auteure de cette adaptation et réalisatrice, Khadija Al Salami, qu’elle a elle-même été victime, à l’âge de 11 ans, des mêmes faits pour avoir aussi été mariée de force, selon la même tradition tribale qui existe encore maintenant au Yémen, par sa famille à un homme étranger de vingt ans son aîné. Adaptation du livre de Najoud Ali et alimenté par son propre enfer personnel, Moi Nojoom…, un film réalisé avec un tout petit budget de 80 000 $ et de manière semi-clandestine au Yémen, déborde de poésie, de sensibilité et parfois même d’humour pour évoquer l’indicible que ni la religion ni la bêtise ni l’ignorance ni l’inculture ni l’analphabétisme ne peuvent justifier.
C’est à l’occasion de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes qui a eu lieu dimanche dernier que le ministère de la justice, le Conseil national des barreaux (CNB) et l’Union internationale des avocats (UIA) se sont unis pour lutter contre cette « problématique majeure [qu’est] le mariage forcé » et ont présenté, le lendemain, au cinéma le Louxor, dans le 10e arrondissement de Paris, une projection de ce film en présence de la réalisatrice et de nombreuses personnalités, dont la Grande-duchesse de Luxembourg María Teresa Mestre qui en aurait fait une de « ses » causes, suivie d’une table ronde sans voix discordante où il s’est plutôt agi pour chacun des neuf intervenants de présenter en moins de cinq minutes son engagement ou son action en la matière.