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Migrants : La chancellerie somme un juge des libertés de s'expliquer

Par Alfredo Allegra | LEXTIMES.FR |
Jungle de Calais Jungle de Calais

Le juge des libertés et de la détention de Nîmes, Jean-Louis Galland, est sommé de s'expliquer devant le ministère de la justice aux termes d'un courrier reçu le 8 avril dernier pour avoir « exercé son office de gardien des libertés [...] en opposition avec la volonté de l'État », dénonce la section Avocats pour la défense des droits des étrangers du Syndicat des avocats de France (SAF).

Le gouvernement reproche au juge Galland d'avoir pris la décision de libérer des exilés de Calais que l'État avait privé de liberté sous l'excuse de les renvoyer hors de France, alors que le but affiché était de désengorger la « jungle » de Calais fin 2015. Dans une ordonnance1 du 5 novembre 2015 extrêmement bien motivée concernant un migrant qui avait sollicité sa remise en liberté avant que la préfecture ne demande la prorogation de sa rétention administrative, le juge Galland avait retenu sa compétence en visant expressément l'article 66 de la Constitution, l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 15 de la directive 2008/115 du 16 décembre 2008 codifié aux articles L. 554-1, R. 552-17 et 18 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Indépendamment de tous ces textes, indique le magistrat dans son ordonnance, « le juge judiciaire est toujours compétent pour mettre fin à une voie de fait ou à une privation illégale de liberté » et la voie de fait, précise le juge Galland, ne se caractérise pas par la gravité de la faute commise mais est commise dès que l'administration sort « de façon évidente de sa sphère de compétence ».

Le placement en rétention d'un étranger ne peut être effectué, selon le gardien des libertés, que pour permettre la reconduite de celui-ci hors du territoire national et l'autorité préfectorale n'a pas compétence, a-t-il été retenu, pour placer en rétention des étrangers qu'elle n'a pas l'intention d'éloigner hors de France, le placement en rétention ne pouvant être utilisé dans le seul but de déplacer l'étranger d'un point du territoire national à un autre point du territoire national.

Et le magistrat d'en déduire que l'utilisation de la procédure de rétention à d'autres fins que l'éloignement de l'étranger du territoire national constitue « un détournement de pouvoir ayant pour effet de priver indûment de liberté une personne étrangère et une voie de fait » qu'il sanctionne par la mise en liberté de l'intéressé qui n'est pas du goût du gouvernement et justifie la mesure de « vérification administrative » dont M. Galland fait l'objet aujourd'hui.

Interprétariat par téléphone pour une notification collective des droits
Interprétariat par téléphone pour une notification collective des droits. Photo CGLPL

Le désengorgement de la « jungle » Calais avait également été pointé du doigt par le Contrôleur général des lieux de privations de liberté, Adeline Hazan, qui a fustigé, dans des « recommandations en urgence relatives aux déplacements collectifs de personnes étrangères interpellées à Calais », ce détournement de procédure.

Dans le courrier du 8 avril dernier, la chancellerie reproche au juge Galland de ne pas avoir respecter ses devoirs de loyauté et de réserve, de prudence et d'impartialité, imposés à tout fonctionnaire alors qu'il n'a fait que sanctionner une atteinte grave et manifeste par l'État aux droits et libertés que l'article 66 de la Constitution lui assigne de protéger.

Cette ingérence de l'exécutif dans l'exercice du pouvoir judiciaire est intolérable et préoccupante et elle reflète, selon le SAF pourtant marqué nettement à gauche, « un autoritarisme dangereux pour notre démocratie déjà mise à mal par la xénophobie alimentée par les discours des gouvernements quelles que soient leurs orientations politiques ». En qualité d'auxiliaires de justice et défenseurs des droits des étrangers, poursuit le communiqué, le syndicat manifeste « publiquement [son] soutien au juge Galland, réaffirmant [son] attachement à une justice indépendante et respectant les principes démocratiques essentiels ». L'abandon immédiat de cette « vérification administrative » par la Chancellerie est demandé.

 

  • 1TGI Nîmes, JLD, ord., 5 nov. 2015, n° 15/01382.

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