Mineurs non accompagnés : Le Défenseur des droits prône l’abandon du projet de fichier national biométrique

Le Défenseur des droits

Le projet de décret autorisant la création d’un traitement de données à caractère personnel relatif aux mineurs non accompagnés, prévu par l’article 51 de la loi n° 2018-778 pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, inquiète « fortement » le Défenseur des droits Jacques Toubon qui a fait part de ses « vives préoccupations » dans des courriers adressés aux ministres de l’intérieur, de la justice, et des solidarités et de la santé.

Chargé de défendre l’intérêt supérieur et les droits de l’enfant, le Défenseur des droits considère que ce dispositif, sous couvert de « mieux garantir la protection de l’enfance et lutter contre l’entrée et le séjour irréguliers des étrangers en France », porte en fait « atteinte au respect de la vie privée et au droit à l’égalité des personnes se disant mineures et réclamant une protection au titre de l’enfance en danger ».

L’enregistrement des empreintes digitales et une photographie des jeunes se disant mineurs non accompagnés formalise le fait, pour Jacques Toubon, qu’ils sont considérés d’abord comme « des étrangers fraudeurs plutôt que comme de potentiels enfants en danger » et ces inquiétudes, qu’il avait déjà exprimées dans son avis du 11 octobre 2017Avis n° 17-10 à la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale pour les crédits de la mission « Solidarité » du projet de loi de finances pour 2018, sur le thème de « la prise en charge départementale des mineurs étrangers non accompagnés », sont aggravées par ce projet de texte qui « élabore une procédure d’évaluation de la minorité et de l’isolement privilégiant la gestion des flux migratoires au détriment de la protection de l’enfance ».

Le Défenseur des droits estime que l’efficacité du dispositif élaboré par le ministère de l’intérieur pour lutter contre le phénomène de « réévaluation » par les départements est incertaine dans la mesure où dans de nombreuses situations qui lui sont soumises, une décision judiciaire de placement à l’aide sociale à l’enfance d’un département — prise après évaluation réalisée par un autre département — n’empêche pas le département de procéder « délibérément » à une nouvelle évaluation, ce qui fait que la création d’un fichier biométrique n’aura « aucune incidence ».

Quant à la lutte contre le phénomène du « nomadisme administratif des personnes se disant mineures non accompagnées », le Défenseur des droits rappelle avoir préconisé, depuis plusieurs mois, la nomination d’un administrateur ad-hoc ou tuteur provisoire pour garantir un « accès effectif », des jeunes gens se disant mineurs, à leurs droits et se dit particulièrement inquiet de constater que le fichier « aide à l’évaluation de minorité » prévoit « le transfert systématique de l’ensemble des données personnelles, qui sont toutes des données sensibles, des personnes évaluées majeures par le département, vers le fichier principal de gestion des étrangers », l’information prévue à l’égard de la personne se disant mineure non accompagnée sur les enjeux du nouveau dispositif apparaissant « très insuffisantes ».

Le Défenseur des droits entend rappeler par ailleurs que la décision administrative du conseil départemental et la décision de non-lieu à assistance éducative du parquet ne constituent pas des décisions définitives puisque la personne peut exercer un recours en saisissant le juge des enfants et, le cas échéant, interjeter appel alors que la notion de fin d’évaluation prise en compte dans le projet de décret paraît renvoyer à la date de la décision du président du conseil départemental et ainsi « faire fi des voies de recours possibles devant le juge des enfants ».

Le projet de décret, selon Jacques Toubon, n’est pas amendable dès lors qu’il part d’un principe d’assimilation des jeunes se disant mineurs non accompagnés à « des étrangers soumis à une réglementation spécifique avant de les voir comme des enfants en droit de bénéficier d’une protection en France » et considère que seul l’abandon de ce projet de décret sera de nature à éviter les atteintes aux droits fondamentaux des enfants. Dans cette hypothèse, il pourrait être mis en place, en concertation avec les associations et la société civile, des procédures uniformisées d’évaluation de minorité et d’isolement respectueuses des droits et de l’intérêt supérieur de ces enfants conformément aux dispositions de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant. C’est ce que le Défenseur des droits avait proposé au gouvernement dès le début de l’année 2018.