Open Data : Doctrine.fr dans le collimateur du barreau de Paris

L’ordre des avocats de Paris dénonce, dans un communiqué diffusé vendredi dernier, les « pratiques » mises en œuvre par la société éditrice du site doctrine.fr, Forseti, pour constituer sa « base de données de décisions judiciaires » et dit avoir saisi le parquet de Paris d’une plainte visant ces agissements qui pourraient être « susceptibles de recouvrir plusieurs infractions pénales » parmi lesquelles « usurpation du titre d’avocat », « usurpation d’identité », « escroquerie », « vol », « maintien frauduleux dans un système informatique » et « recel ».
La base de données de doctrine.fr qui comprendrait plus de 7 millions de décisions de justice aurait été constituée, selon le barreau de Paris, par la méthode dite de « typosquatting » consistant à « utiliser de fausses adresses mail de cabinets d’avocats, d’élèves avocats ou d’universités de droit » pour obtenir « communication de décisions judiciaires par les greffes » qui ne seraient normalement pas « accessibles au public » et cela porterait atteinte aux « intérêts individuels de plusieurs [avocats] du barreau de Paris et aux intérêts collectifs de la profession ».
Le barreau de Paris dit également s’interroger sur l’existence d’un « dispositif informatique ayant permis de capter massivement des décisions de justice » et refuse par ailleurs l’utilisation de « statistiques […] inexactes » dont serait gratifié chacun des avocats parisiens à son insu et qui, pour certains, auraient vainement demandé la suppression de leurs informations personnelles publiées sans autorisation.
Sollicité par LexTimes, un avocat parisien s’est connecté sur doctrine.fr et a effectivement découvert « sa » fiche contenant ses nom, prénom, barreau d’appartenance, date de prestation de serment, adresse, toque, site internet, ainsi que ses trois « décisions récentes » et 80 autres décisions référencées qui ne peuvent être consultées qu’en s’inscrivant sur le site moyennant 129 euros HT par mois, après sept jours gratuits. Une demande de suppression de ces données personnelles formulée à l’adresse contact@doctrine.fr et par chat n’avait pas encore abouti quelques heures après avoir été sollicitée.
« Ne rien faire, c’est encourager une forme de pillage, estime le bâtonnier de Paris Marie-Aimée Peyron qui rappelle que si l’ordre des avocats de Paris souhaite promouvoir un numérique propre dans son secteur, [il] s’oppose à doctrine.fr comme à toute forme de détournement de l’open data », soulignant que le développement des plateformes doit se faire « dans le respect du droit [et] notamment de la loi du 31 décembre 1971 » qui porte réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.
Dans un communiqué publié ce matin, doctrine.fr dit prendre note de cette « plainte annoncée par le barreau de Paris à son encontre » et se plaint de n’avoir à « aucun moment été reçu ou entendu par les représentants du conseil de l’ordre » malgré ses demandes « répétées » au mépris du « principe du contradictoire [qui] ne guide pas l’action des représentants du barreau de Paris ».
Le site, qui se dit être une « publication technique [ayant] pour objet la diffusion d’information notamment juridique à travers la mise à disposition de décisions de justice, textes législatifs et réglementaires, articles, notes et commentaires, en lien avec l’actualité ainsi que tout autre document juridique ou information relative à l’activité des professionnels du droit », explique avoir mis en œuvre une « politique ambitieuse de soutien à la diffusion de la jurisprudence à travers des partenariats ouverts avec des juridictions, et à engager des investissements importants pour développer le contenu et la pertinence de [son] moteur de recherche ». Son objectif étant, est-il indiqué, « d’offrir aux avocats un accès toujours plus large à l’information, l’actualité et les données juridiques nécessaires à l’exercice quotidien de leur activité ».
Sur le fond, la société Forseti plaide la bonne foi en soulignant que les décisions de justice sont des « informations publiques dont la communication et la réutilisation sont libres » et réfute les « accusations de "détournement de l’open data" ou de "pillage" portées publiquement à [son] encontre », estimant que « loin d’être un détournement, [la] réutilisation de ces informations publiques participe au contraire de l’essence même de l’open data qui vise à accroître la transparence et la confiance des citoyens dans la justice ».
Immatriculée mi-2016 au registre du commerce et des sociétés de Paris et fondée par un « juriste », un « ingénieur » et un « mathématicien », la société Forseti, dont les comptes clos à fin 2017 ne sont pas encore disponibles sur infogreffe.fr alors qu’ils auraient dû être publiés pour le 30 juin 2018 au plus tard, revendique une « équipe de 60 salariés » et plus de « 1 000 organisations utilisatrices de ses services : avocats, magistrats, directions juridiques d’entreprises et de collectivités territoriales » dont 80 % d’avocats, individuels et de petites structures, parmi lesquels la moitié serait des avocats parisiens, soit environ 400 (50 % de 80 % de 1 000) sur les quelque 30 000 avocats que compte le barreau de Paris.