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Participation salariale : La Cour de cassation couvrirait la fraude de Wolters Kluwer

Par Nicolas de Will | LEXTIMES.FR |
Ces hermines de la Cour de cass qui aiment la perruque, le Canard Enchaîné, 18 avr. 2018. Ces hermines de la Cour de cass qui aiment la perruque, le Canard Enchaîné, 18 avr. 2018.

Dans sa dernière livraison, le Canard enchaîné gratifie la Cour de cassation de deux articles. L’un, sur quatre colonnes, porterait « gravement atteinte à l’honneur et à l’impartialité de trois magistrats » ayant rendu un arrêt le 28 février 2018 dans l’affaire Wolters Kluwer et l’autre, de taille très modeste, discréditerait « la gestion à travers le marché public de réfection de son mobilier ». Le premier président Bertrand Louvel conteste « fermement » les deux mises en cause et s’en explique dans deux communiqués distincts.

L’arrêt1  rendu le 28 février 2018 dans l’affaire Wolters Kluwer (WK), cassant sans renvoi et annulant en toutes ses dispositions l’arrêt infirmatif rendu le 2 février 2016 par la cour d’appel de Versailles qui avait accueilli les demandes des syndicats au motif que « l’opération de restructuration "Cosmos" [était] constitutive d’une manœuvre frauduleuse de la part des directions des sociétés WKF et HWKF [et] inopposable dans ses effets sur le montant de la réserve spéciale de participation pour les années 2007 à 2010, à l’égard des salariés de la société WKF, bénéficiaires du régime obligatoire de participation », s’inscrit, affirme le premier président Louvel, dans une jurisprudence constante et établie de la chambre sociale en ce qui concerne « la participation des salariés et fait application d’un mécanisme de sécurisation clair instauré par le législateur ».

Le premier alinéa de l’article L. 3326-1 du code du travail, au visa duquel l’arrêt précité du 28 février 2018 a été rendu, dispose en effet que « le montant du bénéfice net et celui des capitaux propres de l'entreprise sont établis par une attestation de l'inspecteur des impôts ou du commissaire aux comptes. Ils ne peuvent être remis en cause à l'occasion des litiges [relatifs à la participation aux résultats de l’entreprise] » mais les juges du fond versaillais avaient estimé pouvoir écarter l’application de ces dispositions compte tenu des faits de l’espèce.

Pour financer sa restructuration, Wolters Kluwer France (WKF) a emprunté, en juin 2007, à sa maison-mère, la Holding Wolters Kluwer France (HWKF), 445 millions d’euros sur 15 ans à un taux — jugé très excessif pour une opération intra-groupe par l’expert désigné par le tribunal de commerce, Alain Abergel — de 2,75 % au-dessus de l’Euribor 3 mois, réduisant à rien ou pas grand-chose le résultat net et supprimant du même coup tout versement aux salariés au titre de la participation pendant de nombreuses années.

L’attestation du commissaire aux comptes ne peut être remise en cause, même en cas de fraude ou d’abus de droit
Cass. soc., 28 févr. 2018, n° 16-50015, Wolters Kluwer.

Bien que les dispositions de l’article L. 3326-1 précité soient d’ordre public, la cour de Versailles avait considéré que cela ne peut faire obstacle à leur remise en cause « en cas de fraude », les comptes n’ayant été certifiés par le commissaire aux comptes que sur la base des informations fournies par la société WKF dont les manœuvres frauduleuses sont avérées. C’est toutefois cet écart que la chambre sociale de la Cour cassation — composée pour l’occasion de trois magistrats, Jean-Yves Frouin, Jean-Guy Huglo et Laurence Pécaut-Rivolier, collaborateurs occasionnels salariés de WKF depuis près de 12 ans pour le premier — a censuré en cassant sans renvoi et en rappelant que « la sincérité [de l’attestation du commissaire aux comptes] ne [peut] être remise en cause […] quand bien même l’action des syndicats était fondée sur la fraude ou l’abus de droit invoqués à l’encontre des actes de gestion de la société ». La fraude et l’abus de droit de WKF restent impunis et ce serait donc, à bon droit, que les salariés n’ont droit à rien grâce à cette disposition qui ne peut être remise en cause et au stratagème mis en place par une société spécialisée dans l’édition et la diffusion d’ouvrages en matière de droit du travail. À ce stade, la cassation étant sans renvoi, le salut ne pourra venir que de la Cour européenne des droits de l’homme ou du législateur s’il daigne se pencher sur la question.

Pour les trois magistrats collaborateurs occasionnels salariés de WKF qui auraient pu voire dû se déporter, le rappel à l’ordre pourrait venir du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) qui pourrait utilement se pencher sur leur statut et leurs liens avec l’éditeur qui est parvenu à passer entre les mailles du filet grâce à une application fort opportune d’une « jurisprudence constante et établie » qu’il convenait d’écarter par la simple application de l’adage « fraus omnia corrumpit ».

Une tempête dans un verre d’eau ?

S’il arrive que les magistrats concernés président des journées d’information destinées aux spécialistes du droit du travail (avocats, directeurs des ressources humaines, syndicalistes,...), cela s’inscrit, selon M. Louvel, dans la tradition de la chambre sociale tendant à permettre une meilleure connaissance de sa jurisprudence et dans le prolongement naturel de l’activité professionnelle des magistrats et en aucun cas, les magistrats qui participent à ces journées ne peuvent être considérés comme « salariés des structures organisatrices puisqu’ils ne sont évidemment pas placés sous un quelconque lien de subordination »

En l’espèce, souligne le haut magistrat, le montant des sommes perçues — qui ne s’élèvent qu’à quelques centaines d’euros pour une intervention, précise-t-il — correspond à « un simple défraiement » et enlève « toute pertinence à d’éventuelles interrogations sur l’impartialité des magistrats visés ». Ces mêmes magistrats, poursuit M. Louvel, ont d’ailleurs rendu dans une période récente plusieurs arrêts [Soc. 12 nov. 2015, n° 14-15430 ; Soc. 24 mai 2016, n° 15-20974) dont la solution a été défavorable pour la société Wolters Kluwer. « Les magistrats concernés n’ont jamais eu aucune relation avec les organes dirigeants de la société Wolters Kluwer et n’y détiennent aucun intérêt. Les participations des magistrats visés à ces formations font l’objet d’une large publicité et sont connues de tous », conclut M. Louvel.

Toutefois, admet-il, cet incident est révélateur « de l’attention très particulière, légitimement portée aux décisions de la Cour de cassation et aux conditions d’impartialité objective dans lesquelles elles doivent être rendues » et appelle tous les magistrats à « une vigilance accrue ».

Restauration des sièges de la Grand’chambre de la Cour de cassation

Dans le second articulet que le Canard enchaîné consacre à la Cour de cassation dans sa dernière livraison, il s’agit d’un appel d’offres pour « la restauration des sièges de la Grand’chambre de la Cour de cassation comprenant la restauration en ébénisterie (dégarnissage complet des garnitures, révision des assemblages, décapage vernis, ponçage, mise en teinte, vernis de finition, pose de patins amortisseurs en feutre), la fabrication de 24 cadres en bois destinés à remplacer les galettes d’assises coulissantes permettant ainsi d’harmoniser avec le reste des sièges en assises fixes, la fabrication d’un coussin d’assise additionnel pour le fauteuil du président et la restauration en tapisserie en garniture traditionnelle » pour une valeur totale estimée HT de 240 000 euros.

À cet égard, le premier président Louvel rappelle que la haute juridiction est implantée au 5 Quai de l’Horloge dans des locaux historiques et elle est « tenue d’en assurer la parfaite conservation, ainsi que du mobilier et œuvres d’art qu’ils abritent, sous le contrôle du service de la Conservation des monuments historiques et de la direction du Mobilier national ».

La Grand’chambre de la Cour, précise M. Louvel, est intégralement classée et c’est là que se tiennent les audiences solennelles à caractère national de la Cour de cassation. Les chaises et fauteuils de cette salle, qui n’ont pas fait l’objet de restauration durant de nombreuses années, commencent à présenter, selon le communiqué, « un état de dégradation qui engage la responsabilité de la Cour » et c’est pourquoi un marché public a été publié.

La procédure d’appel d’offres, poursuit-il, est obligatoire dès lors que le seuil de dépense évalué est susceptible de dépasser un seuil de 25 000 euros hors taxe par an et le but de cette procédure est de permettre une mise en concurrence des entreprises, dans des conditions de stricte égalité, afin d’aboutir à une prestation de qualité au meilleur coût possible.

Les indications précises que comporte le cahier des clauses administratives et techniques particulières (CCATP) du marché public, est-il expliqué, ne relèvent pas d’un choix arbitraire, elles sont induites par les travaux qu’impliquent des sièges et fauteuils historiques qui doivent « répondre à des règles de l’art spécifiques, dans un lieu entièrement classé ». « Le choix même des couleurs est dicté par une gamme chromatique résultant des règles fixées par l’administration des bâtiments de France » et faute de toutes ces indications très précises et techniques dans le CCATP, la Cour de cassation serait exposée à des offres d’entreprises « ne correspondant pas aux prestations attendues dans le contexte précité ».

 

  • 1Soc. 28 févr. 2018,n° 16-50015, Wolters Kluwer France et Holding Wolters Kluwer France c/ Syndicat interprofessionnel de la presse et des médias de la Confédération nationale du travail, le Syndicat national des journalistes, le Syndicat national de l'écrit CFDT et l'Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens CGT.

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