Polémique parlementaire : La féminisation des noms de métiers, fonctions, grades et titres

Le député jusqu'au-boutiste UMP du Vaucluse Julien Aubert a été sanctionné lundi par ses pairs pour avoir persisté à vouloir donner du « madame le président » à sa collègue et député féministe PS de Paris Sandrine Mazetier, vice-président de l'Assemblée nationale, à l'occasion des débats sur la transition énergétique qu'elle présidait.
N'en étant pas à son coup d'essai, M. Aubert, 36 ans, magistrat à la cour des comptes avant d'être élu député en 2012, récidiviste qui se retranche derrière une application stricte des règles de langage édictées par l'Académie française en matière de féminisation des noms de métiers, fonctions, grades et titres, a fait l'objet d'un vif rappel à l'ordre avec « inscription au procès-verbal », entraînant une sanction pécuniaire d'un quart de son indemnité mensuelle, soit 1 378 euros, de la part de sa collègue Sandrine Mazetier qui exige qu'on lui donne, en application des usages parlementaires et du règlement intérieur, du« madame la présidente », et rien d'autre, lorsqu'il lui arrive de présider des débats.
Le lendemain, le président PS de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, a entériné la sanction en invoquant l'usage parlementaire codifié depuis 1998 et l'article 71 du règlement qui, en ses points 4 et 5, prévoit qu'« est rappelé à l'ordre avec inscription au procès-verbal tout député qui, dans la même séance, a encouru un premier rappel à l'ordre » et « est également rappelé à l'ordre avec inscription au procès-verbal tout député qui se livre à une mise en cause personnelle, qui interpelle un autre député ou qui adresse à un ou plusieurs de ses collègues des injures, provocations ou menaces ».
Le refus du député du Vaucluse de se soumettre à des usages contraires aux règles de langage et que l'Académie française réprouve, peut-il être qualifié d'injure ou de provocation ? C'est tout le débat qui agite les députés depuis une semaine. Car si, par solidarité, ses collègues UMP vont se cotiser et la sanction financière qui lui a été infligée va, en définitive, être prise en charge collectivement, la procédure disciplinaire de l'Assemblée nationale — qui permet, au cas particulier, à la prétendue « victime » de se faire justice elle-même pour une « injure » ou une « provocation » qui reste à démontrer — relève d'un autre âge et, en fait, constitue une injure à la jurisprudence de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme qui exige que le juge disciplinaire jouisse des mêmes attributs que tout tribunal (impartialité, indépendance, respect du contradictoire, voie de recours,...).
Au féminin, présidente désigne la femme d'un président
Dictionnaire de l'Académie française, 9e édition en cours de rédaction.
Ce rappel à l'ordre — avec inscription au procès-verbal et assorti d'une sanction pécuniaire — est en effet insusceptible de recours et ressemble fort à la justice moyenâgeuse des seigneurs sur leurs serfs. En bon juriste, M. Aubert écrit donc sur son blog qu'il étudie la possibilité d'une saisine du Conseil constitutionnel ou de la Cour européenne des droits de l'homme, criant haut et fort que c'est le dictionnaire de l'Académie française qui fait autorité et doit faire loi en matière de langage. Et, effectivement, dans la 9e édition du dictionnaire — en cours de rédaction — de l'Académie, on relève à l'entrée « président » qu'il s'agit d'une« personne qui préside une compagnie, une assemblée, un tribunal, une cour, etc. pour diriger les travaux et assurer l'ordre des délibérations » et qu'au féminin, « présidente » désigne « la femme d'un président ».
Interrogés par LexTimes.fr, les Sages du quai de Conti nous renvoient à une déclaration du 21 mars 2002 concernant la « féminisation des noms de métiers, fonctions, grades et titres » qui reste d'actualité et s'impose en matière de bien-parler :
« En 1984, après que le gouvernement eut pris une première initiative en faveur de « la féminisation des titres et fonctions et, d’une manière générale, le vocabulaire concernant les activités des femmes », l’Académie française, fidèle à la mission que lui assignent ses statuts depuis 1635, fit publier une déclaration rappelant le rôle des genres grammaticaux en français. Les professeurs Georges Dumézil et Claude Lévi-Strauss, à qui la Compagnie avait confié la rédaction de ce texte, concluaient ainsi :
"En français, la marque du féminin ne sert qu’accessoirement à rendre la distinction entre mâle et femelle. La distribution des substantifs en deux genres institue, dans la totalité du lexique, un principe de classification, permettant éventuellement de distinguer des homonymes, de souligner des orthographes différentes, de classer des suffixes, d’indiquer des grandeurs relatives, des rapports de dérivation, et favorisant, par le jeu de l’accord des adjectifs, la variété des constructions nominales... Tous ces emplois du genre grammatical constituent un réseau complexe où la désignation contrastée des sexes ne joue qu’un rôle mineur. Des changements, faits de propos délibéré dans un secteur, peuvent avoir sur les autres des répercussions insoupçonnées."
Cette analyse scientifique irréfutable était donc assortie, voici dix-huit ans, d’un avertissement dont il n’a été tenu aucun compte. Un catalogue de métiers, titres et fonctions systématiquement et arbitrairement « féminisés » a été publié par la Documentation française, avec une préface du Premier ministre. La presse, la télévision ont suivi avec empressement ce qui pouvait passer pour une directive régalienne et légale. Or, peu auparavant, la Commission générale de terminologie et de néologie, officiellement saisie par le Premier ministre, avait remis à celui-ci un rapport dans lequel elle déconseillait formellement la féminisation des noms de titres, grades et fonctions, par distinction avec les noms de métiers, dont le féminin découle de l’usage même. De ce rapport, le gouvernement n’a pas non plus tenu compte, alors qu’aucun texte ne lui donne le pouvoir de modifier de sa seule autorité le vocabulaire et la grammaire du français.
Sans revenir sur les arguments qu’elle exposait en 1984 et auxquels elle reste attachée, l’Académie française déplore les dommages que l’ignorance de cette doctrine inflige à la langue française et l’illusion selon laquelle une grammaire « féminisée » renforcerait la place réelle des femmes dans la société.
Valeur collective et générique du genre masculin
Il est inutile, pour désigner un groupe de personnes composé d’hommes et de femmes, de répéter le même substantif ou le même pronom au féminin puis au masculin. « Les électrices et les électeurs », « les informaticiennes et les informaticiens », « toutes celles et tous ceux » sont des tours qui ne disent rien de plus que « les électeurs », « les informaticiens », « tous ceux ». On évitera également d’indiquer entre parenthèses ou après une barre oblique la marque du féminin : « les adhérent(e)s », « les animateurs/trices », etc. De même au singulier, lorsque le masculin revêt un sens générique, de telles surcharges (« recrutement d’un/une technicien(ne) diplômé(e) », etc.) n’apportent aucune information supplémentaire et gênent considérablement la lecture. Au surplus, elles s’opposent à la règle, très générale en français, de l’accord du pluriel au masculin. Il est impossible d’écrire : « Le fauteuil et la table sont blanc(he)s. »
Ces redondances et ces alourdissements révèlent sans doute que, dans l’esprit de certains, le masculin est devenu un genre marqué au même titre que le féminin, et ne peut plus désigner que des personnes de sexe masculin. C’est ainsi que la féminisation peut introduire un déséquilibre dans les structures mêmes de la langue et rendre malaisée la formulation des phrases les plus simples.
Néologismes
L’application ou la libre interprétation de « règles » de féminisation édictées, de façon souvent arbitraire, par certains organismes français ou francophones, a favorisé l’apparition de nombreux barbarismes.
Il convient tout d’abord de rappeler que les seuls féminins français en -eure (prieure, supérieure...) sont ceux qui proviennent de comparatifs latins en -or. Aussi faut-il éviter absolument des néologismes tels que professeure, ingénieure, auteure, docteure, proviseure, procureure, rapporteure, réviseure, etc. Certaines formes, parfois rencontrées, sont d’autant plus absurdes que les féminins réguliers correspondants sont parfaitement attestés. Ainsi chercheure à la place de chercheuse, instituteure à la place d’institutrice. On se gardera de même d’user de néologismes comme agente, cheffe, maîtresse de conférences, écrivaine, autrice... L’oreille autant que l’intelligence grammaticale devraient prévenir contre de telles aberrations lexicales.
Enfin, seul le genre masculin, qui est le genre non marqué (il a en effet la capacité de représenter les éléments relevant de l’un et de l’autre genre), peut traduire la nature indifférenciée des titres, grades, dignités et fonctions. Les termes chevalière, officière (de tel ordre), députée, sénatrice, etc., ne doivent pas être employés.
Comme l’Académie française le soulignait déjà en 1984, l’instauration progressive d’une réelle égalité entre les hommes et les femmes dans la vie politique et économique rend indispensable la préservation de dénominations collectives et neutres, donc le maintien du genre non marqué chaque fois que l’usage le permet. Le choix systématique et irréfléchi de formes féminisées établit au contraire, à l’intérieur même de la langue, une ségrégation qui va à l’encontre du but recherché. »
Mme Mazetier peut, certes, émettre le vœu — si bon lui semble et bien qu'elle ne soit pas l'épouse du président de l'Assemblée nationale Claude Bartolone — d'être appelée « madame la présidente » lorsqu'il lui arrive de présider des débats mais elle ne peut prétendre pouvoir imposer à ses collègues de renoncer aux règles de bon langage recommandées par la seule Institution qui fait autorité en la matière.