Portrait : Jean-Claude Moisset, juge de proximité en zone rurale

Jean-Claude Moisset. Photo Caroline Reinhart pour LexTimes.fr

Jean-Claude Moisset, juge de proximité à Issoire (Puy-de-Dôme), et délégué régional de l’association nationale des juges de proximité (ANJP) revient sur son mandat. Sept ans de bonheur, de passion et de foi expliquent son inquiétude pour l’avenir de la justice de proximité. Une justice efficace et à faible coût, dont la suppression est pourtant programmée.

Ancien avocat, Jean-Claude Moisset a « épousé la cause » de la juridiction de proximité il y a sept ans, en 2004. A l’âge où d’autres profitent de leur retraite en cultivant leur jardin, ce grand professionnel du droit, devenu formateur à l’Ecole nationale de la magistrature (ENM), a préféré se consacrer à « l’intérêt du justiciable ». Un choix assumé, qui l’a projeté au cœur des « petits » litiges de la vie quotidienne. Le juge de proximité a en effet en charge le contentieux civil n’excédant pas 4 000 eurosÀ l’exclusion des conflits relatifs aux baux d’habitation et des litiges relevant du crédit à la consommation., et le contentieux pénal relevant des contraventions des quatre premières classes. La loi du 26 janvier 2005L. n°2005-47 du 26 janv. 2005 relative aux compétences du tribunal d'instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance, J.O., n° 27, 27 janv. 2005, p. 1409. permet à ces juges de siéger en qualité d’assesseurs aux audiences collégiales correctionnelles.

Promesse du candidat Chirac, les juridictions de proximité ont été créées par la loi du 9 septembre 2002L. n°2002-1138 du 9 sept. 2002 d'orientation et de programmation pour la justice, J.O., 10 sept. 2002, p. 14934. , afin de « donner une réponse simple, rapide et efficace » à ces litiges, et ainsi désengorger les tribunaux d’instance. Rapprocher la justice du justiciable était également un des arguments présidant à la création de cette nouvelle juridiction. D’où sa dénomination, « maladroite »pour Jean-Claude Moisset. Car pour ce juriste chevronné qui a fait ses classes auprès des plus grands professeurs de droit à l’université Paris II, les juges d’instance, réminiscence des anciens juges de paix, sont en réalité les plus proches du justiciable. Pas étonnant que la réforme ait été à l’origine très contestée par ces mêmes juges, qui voyaient là une institution concurrente à leur fonction, incarnée qui plus est par des « non professionnels ». Les magistrats s’insurgeaient alors contre « une justice au rabais »«une justice de notables».

Mais si les juges de proximité ne sont pas des magistrats, ce ne sont pas pour autant des non professionnels. Au nombre de 664 en 2010 (un chiffre dérisoire au regard des 3 300 annoncés en 2002), ces juges sont nommés par décret du président de la République, pris sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Un processus de nomination identique à celui des magistrats professionnels. Et si ce sont des contractuels, ils sont néanmoins soumis, pour ce qui est de leur responsabilité, au Conseil supérieur de la magistrature. Ne peuvent en outre prétendre à cette fonction que les anciens magistrats, les anciens fonctionnaires de catégories A et B des services judiciaires, les conciliateurs de justice ayant au moins cinq ans d’expérience, les auxiliaires de justice à statut réglementé, et plus généralement, les personnes titulaires d’une expérience juridique avérée. Et avant de prendre leurs fonctions et de prêter serment, ils doivent suivre une formation à l’Ecole nationale de la magistrature, et un stage en juridictionLa durée de formation à l’ENM de Bordeaux est de deux semaines. Le stage probatoire a été rendu obligatoire pour tous en 2007, (sauf quelques rares exceptions) et se déroule en juridiction. Sa durée varie entre 3 et 6 mois. Ce n’est qu’après avis de la hiérarchie que le juge de proximité est « installé » (ou pas). .

N’est donc pas juge de proximité qui veut. Jean-Claude Moisset a prêté serment en tant qu’avocat en 1966 près la cour d’appel d’Aix-en-Provence. A la tête d’un gros cabinet généraliste niçois, ce publiciste de formation, qui fut premier secrétaire de la conférence du stage du barreau de Nice en 1969, a défendu notamment les intérêts de la famille Giscard d’Estaing. Mais aussi ceux du département des Alpes-Maritimes au moment des affaires Médecin. La « guerre des casinos » qui faisait rage à cette époque sur la Côte d’Azur, n’a ainsi plus de secret pour Jean-Claude Moisset. Son cabinet a également connu de l’affaire Omar Radad… jusqu’a ce qu’un certain Jacques Vergès lui succède dans le dossier.

Mais si tout lui a souri pendant ses 30 ans de carrière en tant qu’avocat, Jean-Claude Moisset n’en a pas pour autant oublié sa foi. Sa médaille, en évidence au-dessus de sa chemise, le trahit : « en tant que chrétien je faisais payer les riches, et je travaillais gratuitement pour les autres. Mais j’ai eu des récompenses morales fabuleuses… j’ai encore des clients qui m’envoient des vœux tous les ans, qui m’appellent ». Un souci du justiciable hors du commun, qui « colle » parfaitement avec sa fonction de juge de proximité.

« La philosophie de cette création correspondait tout à fait à ma vision de la justice »

Car cette mission nécessite pédagogie et humanité, tant la relation avec le justiciable est primordiale. « J’ai eu l’occasion de faire des transports sur les lieux. Les gens qui se battaient pour un litige de voisinage par exemple, voyant que le tribunal se déplaçait, se sentaient pris en considération. Et dans 80 % des cas, on aboutissait à une conciliation. En zone rurale, quand le tribunal se déplace, il y a encore une certaine aura de la justice ». Une aura essentielle et souvent dissuasive. « Nous étions une référence. Lorsqu’ils étaient convoqués, les gens venaient au tribunal. A Issoire, il y avait un gendarme qui venait à l’audience, et le greffier était toujours présent. Il y régnait ainsi une certaine atmosphère, et la solennité du decorum rendait palpable la crainte des justiciables ». Au lieu de signer directement une ordonnance pénale, Jean-Claude Moisset convoquait parfois les justiciables à l’audience, pour marquer le coup. Et cela fonctionnait : « je me souviens d’un jeune homme qui faisait l’objet d’une ordonnance pénale pour un ‘’excès de vitesse eu égard aux circonstances’’ (ancien art. R-10 du code de la route). J’ai refusé de signer et l’ai convoqué. De venir à l’audience, de lui expliquer les dangers que cela représentait - cela a pris vingt minutes tout au plus-, ça l’a calmé. Il n’a plus jamais eu de problèmes. Et ses parents m’ont dit un grand merci ».

Mais le rôle du juge de proximité ne s’arrête pas là ; la dimension psychologique de sa fonction est également essentielle. Jean-Claude Moisset se souvient de ce couple d’enseignants, en procès contre le marbrier qui avait fait la tombe de leur fils, mort à 23 ans. « Cela faisait sept ans, mais ils n’avaient jamais fait leur deuil. Ils avaient fait une fixation sur le marbrier, se plaignant de dégâts sur la tombe. J’ai ordonné un transport sur les lieux, et je me suis fait accompagner par un sapiteur, quelqu’un du métier. Une fois sur la tombe, je demande aux parents quels sont leurs griefs. Ils me montrent la tombe en me disant : 'là, il y a une rayure'. Je comprends alors. Je demande au sapiteur, qui me confirme qu’il n’y a pratiquement rien. Il fallait donc déplacer le débat, là, au pied de la tombe. On y est arrivé ; ça m’a pris une heure et quart mais ils sont partis avec une conciliation. Peu de temps après, j’ai reçu une carte des parents qui me remerciaient pour mon humanité. Ça a été une grande satisfaction intellectuelle ». Et pour Jean-Claude Moisset, «voilà l’essence même du métier de juge de proximité en zone rurale». Ecouter, discuter, conseiller, punir quand il le faut, ce métier demande du temps. Mais le temps du justiciable n’est pas toujours celui de la Chancellerie.

Et les juges de proximité ont été les premiers touchés par la pénurie de moyens qui soulève actuellement le monde judiciaire. La fonction est ainsi devenue un véritable « sacerdoce » : « C’est presque du bénévolat. Quand je prends une audienceA Issoire, se tiennent par mois, une audience civile (50 dossiers appelés), et une audience de police., il y a environ 50 dossiers appelés. Or, on est payé 5 vacations à 70 euros, ce qui fait 350 euros par audience ». Une rémunération qui ne tient pas compte des temps de préparation et de rédaction des jugements. Et qui s’approche ainsi du tarif horaire d’un smicard.

« C’est un faux problème de dire que la suppression de la juridiction de proximité serait justifiée par une économie de moyens ». Pourtant, le projet de loi relatif à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles actuellement en discussion, et directement inspiré du rapport Guinchard de 2008Le rapport Guinchard comprend 65 propositions en matière d’organisation judiciaire, d’accès à la justice et de procédure, de déjudiciarisation et d’allègement procédural. Il prévoit la suppression de la juridiction de proximité sans pour autant remettre en cause l’existence de ses juges, qui seraient rattachés non plus au TI mais au TGI. En dépit du maintien d’une partie de leurs compétences d’attribution, les juges de proximité new look devraient, selon ce rapport, s’acquitter de sous-travaux, comme la vérification des comptes de tutelle, les mesures d’instruction civile,… Mais bien avant ce rapport issu des commissions Attali et très critiqué par la profession, le rapport Charvet défendait en 2005 cette juridiction en prônant un accroissement de ses pouvoirs. Un rapport oublié, dont la relecture s’avère salutaire, en ces temps critiques pour cette institution. , prévoit la suppression de cette juridiction, et le rattachement de ses juges au tribunal de grande instance. Un changement de contrat qui n’est pas au goût de tous : «J’ai signé, car je voulais appartenir à une juridiction indépendante rattachée au tribunal d’instance. Là c’est un véritable changement de métier ; beaucoup sont sur le point de démissionner», souligne Jean-Claude Moisset. « Et si mon mandat ne s’arrêtait pas au 31 octobre 2011, j’aurais suivi ».

« La proximité, c’est gratuit : il suffit de faire une déclaration au greffe du tribunal d’instance »

Principale mise en cause par le projet de loi : la délimitation des compétences entre juges de proximité et tribunal d’instance. Encore un faux problème pour Jean-Claude Moisset : « si vous interrogez les avocats, ils ont très bien compris quelles étaient les compétences du juge de proximité par rapport au tribunal d’instance. Et beaucoup disent d’ailleurs à leurs clients de limiter leur demande à 4 000 euros pour passer devant le juge de proximité et éviter ainsi le tribunal d’instance. La proximité, c’est gratuit : il suffit de faire une déclaration au greffe du tribunal d’instance. En instance, il faut une assignation donc un huissier. Et avec la juridiction de proximité, vous avez une réponse judiciaire dans un délai de 4 semainesA Issoire, au civil. Pour 2009, le durée moyenne de traitement d'un dossier par un juge de proximité est de 5 mois contre 5,4 mois par un tribunal d’instance (source : Chancellerie). : ce n’est rien ».

Une justice gratuite, à l’écoute du justiciable. Et efficace en prime, comme le démontrent les délais de jugement. « Le justiciable y trouve son compte, car on a enlevé du contentieux du juge d’instance au moins 30 % des dossiers civils ». D’autant que les décisions des juges de proximité, non susceptibles d’appel, ne sont pas plus censurées que les autres en cassation. Et que l’utilité de la juridiction de proximité, désormais bien acceptée, n’est plus à démontrer. « Au début tous les magistrats pouvaient avoir une crainte. Elle a perduré pendant quelques années, puis la réforme a été acceptée. A tel point que si vous interrogez maintenant les juges d’instance, ils sont très inquiets de nous voir partir. Ils ont déjà beaucoup de travail et on les soulageait d’une bonne partie du contentieux. Et maintenant que ça marche bien, on veut supprimer cette juridiction… c’est incompréhensible ».