Portrait : Jean-Claude Moisset, juge de proximité en zone rurale

Jean-Claude Moisset, juge de proximité à Issoire (Puy-de-Dôme), et délégué régional de l’association nationale des juges de proximité (ANJP) revient sur son mandat. Sept ans de bonheur, de passion et de foi expliquent son inquiétude pour l’avenir de la justice de proximité. Une justice efficace et à faible coût, dont la suppression est pourtant programmée.
Ancien avocat, Jean-Claude Moisset a « épousé la cause » de la juridiction de proximité il y a sept ans, en 2004. A l’âge où d’autres profitent de leur retraite en cultivant leur jardin, ce grand professionnel du droit, devenu formateur à l’Ecole nationale de la magistrature (ENM), a préféré se consacrer à « l’intérêt du justiciable ». Un choix assumé, qui l’a projeté au cœur des « petits » litiges de la vie quotidienne. Le juge de proximité a en effet en charge le contentieux civil n’excédant pas 4 000 euros
Promesse du candidat Chirac, les juridictions de proximité ont été créées par la loi du 9 septembre 2002
Mais si les juges de proximité ne sont pas des magistrats, ce ne sont pas pour autant des non professionnels. Au nombre de 664 en 2010 (un chiffre dérisoire au regard des 3 300 annoncés en 2002), ces juges sont nommés par décret du président de la République, pris sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Un processus de nomination identique à celui des magistrats professionnels. Et si ce sont des contractuels, ils sont néanmoins soumis, pour ce qui est de leur responsabilité, au Conseil supérieur de la magistrature. Ne peuvent en outre prétendre à cette fonction que les anciens magistrats, les anciens fonctionnaires de catégories A et B des services judiciaires, les conciliateurs de justice ayant au moins cinq ans d’expérience, les auxiliaires de justice à statut réglementé, et plus généralement, les personnes titulaires d’une expérience juridique avérée. Et avant de prendre leurs fonctions et de prêter serment, ils doivent suivre une formation à l’Ecole nationale de la magistrature, et un stage en juridiction
N’est donc pas juge de proximité qui veut. Jean-Claude Moisset a prêté serment en tant qu’avocat en 1966 près la cour d’appel d’Aix-en-Provence. A la tête d’un gros cabinet généraliste niçois, ce publiciste de formation, qui fut premier secrétaire de la conférence du stage du barreau de Nice en 1969, a défendu notamment les intérêts de la famille Giscard d’Estaing. Mais aussi ceux du département des Alpes-Maritimes au moment des affaires Médecin. La « guerre des casinos » qui faisait rage à cette époque sur la Côte d’Azur, n’a ainsi plus de secret pour Jean-Claude Moisset. Son cabinet a également connu de l’affaire Omar Radad… jusqu’a ce qu’un certain Jacques Vergès lui succède dans le dossier.
Mais si tout lui a souri pendant ses 30 ans de carrière en tant qu’avocat, Jean-Claude Moisset n’en a pas pour autant oublié sa foi. Sa médaille, en évidence au-dessus de sa chemise, le trahit : « en tant que chrétien je faisais payer les riches, et je travaillais gratuitement pour les autres. Mais j’ai eu des récompenses morales fabuleuses… j’ai encore des clients qui m’envoient des vœux tous les ans, qui m’appellent ». Un souci du justiciable hors du commun, qui « colle » parfaitement avec sa fonction de juge de proximité.
« La philosophie de cette création correspondait tout à fait à ma vision de la justice »
Car cette mission nécessite pédagogie et humanité, tant la relation avec le justiciable est primordiale. « J’ai eu l’occasion de faire des transports sur les lieux. Les gens qui se battaient pour un litige de voisinage par exemple, voyant que le tribunal se déplaçait, se sentaient pris en considération. Et dans 80 % des cas, on aboutissait à une conciliation. En zone rurale, quand le tribunal se déplace, il y a encore une certaine aura de la justice ». Une aura essentielle et souvent dissuasive. « Nous étions une référence. Lorsqu’ils étaient convoqués, les gens venaient au tribunal. A Issoire, il y avait un gendarme qui venait à l’audience, et le greffier était toujours présent. Il y régnait ainsi une certaine atmosphère, et la solennité du decorum rendait palpable la crainte des justiciables ». Au lieu de signer directement une ordonnance pénale, Jean-Claude Moisset convoquait parfois les justiciables à l’audience, pour marquer le coup. Et cela fonctionnait : « je me souviens d’un jeune homme qui faisait l’objet d’une ordonnance pénale pour un ‘’excès de vitesse eu égard aux circonstances’’ (ancien art. R-10 du code de la route). J’ai refusé de signer et l’ai convoqué. De venir à l’audience, de lui expliquer les dangers que cela représentait - cela a pris vingt minutes tout au plus-, ça l’a calmé. Il n’a plus jamais eu de problèmes. Et ses parents m’ont dit un grand merci ».
Mais le rôle du juge de proximité ne s’arrête pas là ; la dimension psychologique de sa fonction est également essentielle. Jean-Claude Moisset se souvient de ce couple d’enseignants, en procès contre le marbrier qui avait fait la tombe de leur fils, mort à 23 ans. « Cela faisait sept ans, mais ils n’avaient jamais fait leur deuil. Ils avaient fait une fixation sur le marbrier, se plaignant de dégâts sur la tombe. J’ai ordonné un transport sur les lieux, et je me suis fait accompagner par un sapiteur, quelqu’un du métier. Une fois sur la tombe, je demande aux parents quels sont leurs griefs. Ils me montrent la tombe en me disant : 'là, il y a une rayure'. Je comprends alors. Je demande au sapiteur, qui me confirme qu’il n’y a pratiquement rien. Il fallait donc déplacer le débat, là, au pied de la tombe. On y est arrivé ; ça m’a pris une heure et quart mais ils sont partis avec une conciliation. Peu de temps après, j’ai reçu une carte des parents qui me remerciaient pour mon humanité. Ça a été une grande satisfaction intellectuelle ». Et pour Jean-Claude Moisset, «voilà l’essence même du métier de juge de proximité en zone rurale». Ecouter, discuter, conseiller, punir quand il le faut, ce métier demande du temps. Mais le temps du justiciable n’est pas toujours celui de la Chancellerie.
Et les juges de proximité ont été les premiers touchés par la pénurie de moyens qui soulève actuellement le monde judiciaire. La fonction est ainsi devenue un véritable « sacerdoce » : « C’est presque du bénévolat. Quand je prends une audience
« C’est un faux problème de dire que la suppression de la juridiction de proximité serait justifiée par une économie de moyens ». Pourtant, le projet de loi relatif à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles actuellement en discussion, et directement inspiré du rapport Guinchard de 2008
« La proximité, c’est gratuit : il suffit de faire une déclaration au greffe du tribunal d’instance »
Principale mise en cause par le projet de loi : la délimitation des compétences entre juges de proximité et tribunal d’instance. Encore un faux problème pour Jean-Claude Moisset : « si vous interrogez les avocats, ils ont très bien compris quelles étaient les compétences du juge de proximité par rapport au tribunal d’instance. Et beaucoup disent d’ailleurs à leurs clients de limiter leur demande à 4 000 euros pour passer devant le juge de proximité et éviter ainsi le tribunal d’instance. La proximité, c’est gratuit : il suffit de faire une déclaration au greffe du tribunal d’instance. En instance, il faut une assignation donc un huissier. Et avec la juridiction de proximité, vous avez une réponse judiciaire dans un délai de 4 semaines
Une justice gratuite, à l’écoute du justiciable. Et efficace en prime, comme le démontrent les délais de jugement. « Le justiciable y trouve son compte, car on a enlevé du contentieux du juge d’instance au moins 30 % des dossiers civils ». D’autant que les décisions des juges de proximité, non susceptibles d’appel, ne sont pas plus censurées que les autres en cassation. Et que l’utilité de la juridiction de proximité, désormais bien acceptée, n’est plus à démontrer. « Au début tous les magistrats pouvaient avoir une crainte. Elle a perduré pendant quelques années, puis la réforme a été acceptée. A tel point que si vous interrogez maintenant les juges d’instance, ils sont très inquiets de nous voir partir. Ils ont déjà beaucoup de travail et on les soulageait d’une bonne partie du contentieux. Et maintenant que ça marche bien, on veut supprimer cette juridiction… c’est incompréhensible ».