Professions réglementées : Les huissiers de justice ouvrent le bal des grèves

Bureau du GIE des huissiers audienciers correctionnels, 15 sept. 2014. Photo Jon Helland pour LexTimes.fr.

Les huissiers de justice ont ouvert ce matin le bal des grévistes à la suite des conclusions d’un rapport de l’Inspection générale des finances (IGF) préconisant de réformer et de libéraliser 37 professions réglementées, dont les huissiers, pour redonner 6 milliards d’euros de pouvoir d’achat aux consommateurs.

Le revenu net mensuel médian d’un huissier titulaire ou dirigeant est de 6 272 euros et celui des 25 % les mieux rémunérés est de 10 125 euros, affirme la mission IGF qui a décortiqué les bénéfices déclarés à l’impôt sur le revenu par les professionnels des 37 professions concernées exerçant sous forme individuelle au titre de l’exercice 2010. Bien que le tarif forfaitaire des huissiers défini en 1996 n’ait été revalorisé qu’une seule fois en 2007, le revenu moyen net d’un huissier est passé de 112 794 euros à 162 373 euros entre 2001 et 2010, soit une augmentation de 44,0 % alors que l’inflation n’a été que de 18,5 % pendant cette période, selon ce rapport.

La profession d’huissier est caractérisée, poursuit-il, par des niveaux de marge de 32 % à 47 % du chiffre d’affaires, avec une moyenne de 41 % et des pointes frôlant les 60 % lorsqu’une étude avec un chiffre d’affaires important est « organisée efficacement », estime la mission qui considère qu’une baisse de 20 % des tarifs « se traduiraient par des marges comprises entre 12,5 % et 44 %, autour d’une moyenne de 24 % environ ».

Dans le collimateur, le monopole qu’ont les huissiers sur la signification des actes de procédure et des décisions de justice qui est, dans les grandes agglomérations (Paris, Marseille, Lyon,…), organisé sous forme d’un « bureau commun de signification » assuré par des clercs et cela ne permet pas, considère la mission, « d’identifier de spécificité de cette activité » qui légitimerait qu’elle soit « réservée aux [seuls] huissiers de justice » et estime qu’une autre organisation de cette activité est envisageable, soit une délégation de l’activité à un échelon territorial large voire national à un seul opérateur pour réaliser des économies d’échelle, soit confier cette tâche à La Poste qui est « déjà engagée dans les transmissions de plis pour lesquels une preuve de remise est demandée ». La mission préconise ainsi une suppression du monopole de signification des actes de justice et une ouverture sans restriction du capital des études d’huissiers aux non professionnels du secteur.
 


Manifestation des huissiers à Paris, Place Louis Lépine, 15 sept. 2014. Photo Jon Helland pour LexTimes.fr

Très forte mobilisation de la profession qui prête au gouvernement et au projet de loi en gestation des intentions qu’ils n’ont peut-être pas mais le rapport de la mission IGF est suffisamment « alarmant » pour que les huissiers de justice se mobilisent sans attendre les détails de ce qui les attend à l’issue d’une rencontre programmée pour ce mercredi 17 septembre avec les ministres de la justice Christiane Taublira et de l’économie Emmanuel Macron. De francilien la semaine dernière, le mouvement s’est rapidement étendu à toute la France ou presque et, ce matin, 15 septembre, place Louis Lépine, juste en face du palais de justice de Paris, les quelque 4 000 huissiers de justice s’étaient donné rendez-vous pour battre le pavé et scander « huissiers en colère »« les huissiers passent à l’acte »« non à la privatisation de la justice »« non à la justice de la finance »« 8 000 emplois sacrifiés »,…

La grève « illimitée » qui a débuté aujourd’hui ne vise toutefois que les audiences et les significations pénales qui leur sont payées au lance-pierre : 4,50 euros TTC pour la signification d’un jugement ou d’une citation à la demande du parquet, 60 euros TTC pour assurer une audience correctionnelle, soit un taux horaire inférieur au smic si l’audience dure au-delà de cinq heures et le règlement, se plaint la secrétaire générale du GIE Huissiers audienciers correctionnels de Paris, Anne Bonarek, n’est effectué que trois à six mois après la prestation.

Malgré la grève des huissiers, les audiences correctionnelles se sont toutefois tenues plus ou moins « normalement », a-t-on pu constater, et LexTimes.fr s’est donc interrogé sur l’utilité et le rôle des huissiers à ces audiences correctionnelles. « Nous gérons l’audience, nous sommes la police de l’audience, on s’assure que le dossier est prêt, que les parties sont présentes et on garde les dossiers plus complexes pour la fin », nous explique Me Jacques Alliel, huissier de justice à Paris et membre du GIE correctionnel de la capitale, qui pense que le tribunal avait parfaitement anticipé la grève et avait pris les mesures nécessaires pour parvenir à un bon déroulement de l’audience.

« C’est une réforme purement économique pilotée par Bercy et qui ne tient aucun compte de la profession », avait déclaré la semaine dernière àLexTimes.fr Me Marjory Flammery, huissier de justice à Colombes (Hauts-de-Seine) et membre du pôle communication des huissiers d’Île-de-France qui insiste sur sa mission de service public qui n’a pas à être contrôlée« capitalistiquement », comme le préconise la mission IGF, par des intérêts privés.

« Ce n’est pas si difficile de s’installer », nous explique Me Flammery qui a exercé pendant 6 ans en tant que clerc avant de s’associer avec son confrère-patron à hauteur de 20 % pendant 3 ans et ensuite à hauteur de 50 % pour moins de 500 000 euros qu’elle remboursera en quinze ans. 

Réduire ou supprimer les significations au profit des notifications n’est pas la solution car ce n’est pas la même sécurité juridique, nous dit Me Alliel, et, de surcroît, la différence de coût n’est pas si « énorme »« Tout est tarifé », il n’y a pas grand-chose à tirer d’une plus grande ouverture de la profession, avait précisé il y a quelques jours à LexTimes.fr Me Flammery, à l’exception des constats que l’on peut facturer plusieurs centaines d’euros selon le temps passé et un honoraire de 12 % TTC que nous sommes autorisés à facturer en matière de recouvrement de créances civiles et commerciales. En matière prud’homale et en matière de pension alimentaire, c’est interdit, nous précise-t-elle, ajoutant que les sociétés de recouvrement, ce n’est pas 12 % mais 20 % qu’elles prélèvent.

Avec les lobbies de 37 professions réglementées, ce n’est sans doute pas demain que le gouvernement accouchera de son projet de loi et s’il finit par mettre bas, ce sera peut-être juste d’une toute petite souris qui ne fera pas grand mal à quiconque mais ne rapportera pas les 6 milliards d’euros escomptés.

Le président de la Chambre nationale des huissiers de justice, Patrick Sannino, s'est dit mercredi « satisfait » des réponses apportées par les ministres de la justice et de l'économie aux revendications de sa profession. Christiane Taubira et Emmanuel Macron, qui l'ont reçu deux jours après une grève massive contre la réforme envisagée, se seraient engagés à ne pas ouvrir le capital des études d'huissiers et à maintenir leur monopole sur la signification des décisions de justice.