QPC : Le changement de circonstances permet le réexamen d'une disposition validée

Le Conseil constitutionnel a fait le point sur la notion de« changement de circonstances » qui lui a permis, depuis le 1er mars 2010, d'examiner la conformité à la Constitution d'une disposition législative dont il avait déjà eu à connaître.

L'un des critères communs à la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au Conseil d'État ou à la Cour de cassation et à son renvoi au Conseil constitutionnel est en effet que la disposition législative « n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ». Avant la QPC, le Conseil constitutionnel avait déjà recours à cette notion de « changement des circonstances » dans le cadre de son contrôle a prioriC. constit., 8 janv. 2009, n° 2008-573 DC, Loi relative à la commission prévue à l'article 25 de la Constitution et à l'élection des députés..

Depuis le 1er mars 2010, c'est à quatre reprises que le Conseil constitutionnel a retenu la notion de « changement des circonstances » pour s'autoriser à examiner la conformité à la Constitution d'une disposition législative dont il avait déjà eu à connaître.

Il en a été ainsi pour ce qui est du régime de droit commun de la garde à vue qu'il avait examiné en 1993C. constit., 11 août 1993, n° 93-326 DC, Loi modifiant la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme du code de procédure pénale. en retenant, dix-sept ans plus tardC. constit., 30 juill. 2010, n° 2010-14/22 QPC, Daniel W. et a., une généralisation de la pratique du traitement dit « en temps réel » des procédures pénales, une réduction des exigences conditionnant l'attribution de la qualité d'officier de police judiciaire aux fonctionnaires de la police nationale et aux militaires de la gendarmerie nationale, une augmentation de 25 000 à 53 000 du nombre de ces fonctionnaires civils et militaires ayant la qualité d'officier de police judiciaire et une augmentation du nombre de mesures de garde à vue.

Pour le défèrement contesté devant le procureur de la RépubliqueC. constit., 6 mai 2011, n° 2011-125 QPC, Abderrahmane L. à l'issue de la garde à vue, c'est sa précédente décisionC. constit., 30 juill. 2010, n° 2010-14/22 QPC, Daniel W. et a. en matière de garde à vue, déclarant les articles du code de procédure pénale relatifs à la garde à vue contraires à la Constitution notamment en ce qu'ils permettent que la personne gardée à vue soit interrogée sans bénéficier de l'assistance effective d'un avocat, qui va « constituer le changement des circonstances de droit justifiant le réexamen de la disposition contestée ».

Quant à la disposition concernant la publication du nom et de la qualité des citoyens élus habilités ayant présenté un candidat à l'élection présidentielle, elle avait fait l'objet d'un examen en 1976C. constit., 14 juin 1976, n° 76-55 DC, Loi organique modifiant la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du président de la République au suffrage universel.. Le Conseil d'État avait toutefois estimé, dans sa décision de renvoi du 2 février 2012, que « les changements ayant affecté la vie politique et l'organisation institutionnelle du pays [depuis 1976] justifient un nouvel examen de la disposition par le Conseil constitutionnel ». Mais ce dernier a préféré retenir que depuis 1976, l'article 4 de la Constitution a été complété d'un troisième alinéa selon lequel « la loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et des groupements politiques à la vie démocratique de la Nation » et c'est cette disposition constitutionnelle nouvelle qui constitue « un changement des circonstances de droit justifiant [...] le réexamen de la disposition contestée »

Enfin, dans la décision NuméricâbleC. constit., 5 juillet 2013, n° 2013-331 QPC, société Numéricâble et a., le Conseil constitutionnel a reconnu un double changement des circonstances de droit. D'une part, il a considéré que les modifications introduites postérieurement à la loi de 1996 dans la rédaction de l'article L. 36-11 du code des postes et des communications électroniques, notamment celles issues des lois du 9 juillet 2004 et du 4 août 2008, interdisaient de considérer que les dispositions contestées avaient déjà été jugées conformes à la Constitution et, d'autre part, une évolution de sa propre jurisprudence datant du 12 octobre 2012 selon laquelle « lorsqu'elles prononcent des sanctions ayant le caractère d'une punition, les autorités administratives indépendantes doivent respecter notamment le principe d'impartialité découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789 »

Tout en écartant l'existence d'un « changement des circonstances », d'autres décisionsC. constit., 29 sept. 2010, n° 2010-44 QPC ; 30 juin 2011, n° 2011-142/145 QPC ; 18 octobre 2012, n° 2012-4563/4600 AN et 2012-4565/4567/4568/4574/4575/4576/4577 AN. ont néanmoins apporté des précisions sur cette notion. Ainsi, il a jugéC. constit., 8 avr. 2011, n° 2011-120 QPC, Ismaël A. qu'une jurisprudence peut constituer un changement des circonstances de nature à conduire à ce qu'il soit à nouveau saisi d'une disposition précédemment jugée conforme à la Constitution sous réserve qu'il s'agisse d'une des deux cours suprêmes, Conseil d'État ou Cour de cassation, et non, par exemple, de la cour nationale du droit d'asile. 

Au total, se réjouit le Conseil constitutionnel, la notion de « changement des circonstances » a, depuis le 1er mars 2010, rempli l'office que lui avait assigné le législateur, c'est-à-dire « permettre qu'il existe une exception à l'interdiction de soumettre à nouveau au Conseil constitutionnel une disposition législative qu'il a déjà jugée conforme à la Constitution ». Le changement des circonstances de droit ne tient pas seulement, conclut-il, « à l'évolution du texte de la Constitution mais aussi à celle de la jurisprudence du Conseil à son sujet »