Réforme des retraites : L’avis critique du Conseil d’État

l'avis critique du conseil d'état sur la réforme des retraites

Le gouvernement a décidé de rendre public l'avis rendu jeudi par le Conseil d’État sur la réforme des retraites, comprenant un projet de loi organique et un projet de loi instituant un système universel de retraite, dont il a initialement été saisi le 3 janvier 2020, outre une saisine rectificative quotidienne entre le 9 et le 16 janvier 2020.

Le projet de loi organique comprend, indique liminairement le Conseil d’État, cinq articles ayant pour objet de fixer le cadre général de la gouvernance et du pilotage financier du système universel de retraite (SUR) d’une part, et, d’autre part, d’organiser l’affiliation des parlementaires, des membres du Conseil constitutionnel et des magistrats judiciaires à l’un des régimes d’assurance vieillesse constitués dans le cadre du SUR. Le projet de loi, lui, comprend 64 articles répartis en cinq titres : les principes du nouveau SUR, les retraites progressives et les situations professionnelles obéissant à des règles de retraite spécifiques, les mécanismes de solidarité et les droits dérivés de la pension de retraite (pension minimale, prise en compte des interruptions de carrière, des études et des incidences liées à la naissance d’enfants, pension de réversion), organisation et gouvernance du nouveau système et le dernier titre est consacré aux dispositions transitoires et d’entrée en vigueur.

D’emblée, dans cet avis, le conseil du gouvernement estime « insuffisante », au regard des prescriptions de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009, l’étude d’impact initiale qui doit répondre « aux exigences générales d’objectivité et de sincérité » laquelle, même complétée et approfondie sur plusieurs points en cours d’examen, reste « en deçà de ce qu’elle devrait être », de sorte qu’il incombe au gouvernement de « l’améliorer » avant le dépôt du projet de loi au parlement, en particulier sur « les différences qu’entraînent les changements législatifs sur la situation individuelle des assurés et des employeurs, l’impact de l’âge moyen plus avancé de départ à la retraite » qui résulterait sur le taux d’emploi des seniors, les dépenses d’assurance chômage et celles liées aux minima sociaux.

Le Conseil d’État se plaint par ailleurs, qu’eu égard à la date et aux conditions de sa saisine et aux nombreuses modifications apportées aux textes pendant qu’il les examinait, la volonté du gouvernement de disposer de son avis dans un délai de trois semaines ne l’a pas mis à même de « mener sa mission avec la sérénité » et les délais de réflexion « nécessaires pour garantir au mieux la sécurité juridique » de l’examen auquel il a procédé. Situation jugée d’autant plus « regrettable » que les projets de loi procèdent à une réforme du système de retraite inédite depuis 1945 et destinée à transformer pour les décennies à venir un système social qui constitue l’une des composantes majeures du contrat social.

Le recours massif à 29 ordonnances est également critiqué car le fait, pour le législateur, de s’en remettre à des ordonnances pour la définition d’éléments structurants du nouveau système de retraite fait perdre « la visibilité d’ensemble » qui est « nécessaire » à l’appréciation des conséquences de la réforme et, partant, « de sa constitutionnalité et de sa conventionnalité » et notamment l’une d’elles qui est « particulièrement cruciale » pour la protection des droits des assurés pour laquelle il est estimé nécessaire d’ajouter « une disposition précisant qu’en l’absence d’intervention de l’ordonnance prévue, la loi ne s’appliquera pas aux assurés concernés ».

En fait, il n’est pas créé un « régime universel de retraite » qui serait caractérisé par un ensemble constitué d’une « population éligible unique, de règles uniformes et d’une caisse unique mais d’un « système universel » par points applicable à l’ensemble des affiliés à la sécurité sociale française, du secteur privé comme du secteur public qui se substitue aux actuels régimes de base, complémentaires et surcomplémentaires obligatoires avec, à l’intérieur de ce « système », cinq « régimes » différents, à savoir le régime général des salariés, le régime des fonctionnaires, magistrats et militaires, le régime des salariés agricoles, le régime des non-salariés agricoles et le régime des marins. La profession des navigants aériens, affiliée au régime général des salariés, conserve, quant à elle, son régime complémentaire obligatoire. À l’intérieur de chacun de ces régimes créés ou maintenus, des règles dérogatoires à celles du système universel sont définies pour les professions concernées, avec pour objectif majeur la stabilisation de la dépense liée aux retraites à 14 % du PIB sans prise en compte de tous les paramètres dans l’étude d’impact.

La création, pour les générations nées à compter du 1er janvier 1975, d’un corpus juridique totalement distinct de celui applicable aux autres générations, avec lequel il est pourtant appelé à coexister pendant plusieurs décennies, souligne le Conseil d’État, impose des modalités de codification des dispositions de la loi adaptées aux fins de répondre le mieux possible à l’objectif de valeur constitutionnelle « d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi » qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Il est donc suggéré une rédaction permettant « de regrouper, au sein de nouvelles subdivisions bien identifiées et, lorsque cela est possible, relevant d’une numérotation commune, dans les différents codes concernés, les dispositions propres aux assurés relevant du système de retraite universel », sans abroger les dispositions actuelles qui demeurent applicables aux générations antérieures à 1975.

L’objectif selon lequel « chaque euro cotisé ouvre les mêmes droits pour tous » reflète « imparfaitement » la complexité et la diversité des règles de cotisation ou d’ouverture des droits définies par le projet de loi, selon le Conseil d’État qui entend préciser à ce propos que ce principe est appliqué « dans les conditions prévues par la loi ».

Un avis somme toute globalement critique et sévère que le gouvernement n’avait nullement besoin de rendre public pour se faire flageller et on peut s’interroger à cet égard ce qui l’a conduit à le faire. Transparence, masochisme, arrière-pensée ou autre, on ne sait guère.