Rentrée solennelle Cour de cassation : L’indépendance du parquet mise aux oubliettes

De g. à dr. Jean-Claude Marin, Emmanuel Macron et Bertrand Louvel, 15 janv. 2018.
De g. à dr. Jean-Claude Marin, Emmanuel Macron et Bertrand Louvel, 15 janv. 2018. Capture d'écran.

Le président de la République Emmanuel Macron a notifié lundi matin, aux deux plus hauts magistrats de la Cour de cassation, le premier président Bertrand Louvel et le procureur général Jean-Claude Marin, une fin de non-recevoir quant à l’indépendance du parquet à l’occasion de l’audience solennelle de rentrée de leur Cour.

« La question du parquet occupe la place centrale dans la problématique de l’indépendance judiciaire dans son ensemble, tant les connexions sont évidentes et nombreuses entre les deux bras de la magistrature, aussi bien au plan de leur statut qu’au plan de leurs fonctions et au plan de la perception qu’en ont les citoyens », a pourtant rappelé à l’issue des préliminaires de son discours le premier président Bertrand Louvel pour qui « le sujet est considérable et il est très difficile de dégager une pensée, tout à la fois, globale, cohérente et consensuelle ».

La demande d’alignement complet du statut des magistrats du siège et de ceux du parquet, a plaidé M. Louvel, n’est pas « corporatiste » mais tiendrait à « l’internationalisation de la justice qui connaît [un] formidable essor ». Le ministère public est en effet engagé dans des « enquêtes et des actions à dimension internationale » et sa crédibilité doit « s’imposer auprès de ses partenaires extérieurs partageant les mêmes valeurs démocratiques ».

Quelle autorité judiciaire pour le beau pays de Montesquieu et quel ministère public pour notre République s’est interrogé, quant à lui, le procès général Jean-Claude Marin dont s’était le dernier discours de sa longue carrière qui débuta, en 1977, au parquet de Pontoise. Particularisme français, le concept d’ « autorité judiciaire » n’englobe pas en France, a-t-il rappelé, celui de « justice » puisqu’il existe une justice qui n’est pas judiciaire et des juges qui ne sont donc pas membres de l’autorité judiciaire, il s’agit de l’ordre administratif englobant les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel avec à leur tête le Conseil d’État, outre une kyrielle d’autorités administratives dites indépendantes.

Il n’y a donc qu’un fragment de la justice qui relève de l’autorité judiciaire dont l’indépendance est garantie par l’article 64 de la Constitution selon lequel « le Président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire. Il est assisté par le Conseil supérieur de la magistrature. Une loi organique porte statut des magistrats. Les magistrats du siège sont inamovibles » et au sein même de cette autorité judiciaire indépendante, il existe, poursuit M. Marin, une catégorie « de magistrats, eux-mêmes indépendants comme membres de cette autorité […] qui sont placés sous l’autorité du garde des sceaux, membre de l’exécutif », c’est-à-dire des magistrats « institutionnellement écartelés » qui bénéficieraient d’une « indépendance à mi-temps », à « éclipses » ou d’une « indépendance dépendante ».

Pour le procureur général Marin, il n’existe aujourd’hui « ni argument solide justifiant qu’il faille garder un lien entre l’exécutif et le ministère public, ni utilité d’un article 5 de l’ordonnance statutaire qui dispose que les magistrats du parquet sont placés sous l’autorité du garde des sceaux » car cela n’est plus « conforme à l’état de notre institution » et constitue le « poison du débat sur la place du ministère public ».

Fin de non-recevoir du président Emmanuel Macron qui a douché sèchement cette rentrée solennelle de la Cour de cassation au nom de la cohésion et de la politique pénale de la Nation menée par le gouvernement. L’indépendance totale du parquet par la coupure du cordon ombilical avec la place Vendôme n’est pas envisageable, a expliqué en termes choisis le chef de l’État, car cela conduirait rapidement à une politique pénale différenciée dans chaque ville ou région de France et de Navarre. Le président Macron a néanmoins promis quelques aménagements statutaires et notamment la discipline des parquetiers qui ne relèverait plus du garde des sceaux mais du Conseil supérieur de la magistrature.

L'Union syndicale des magistrats (USM) dénonce l'hypocrisie de la notion de "parquet à la française" qui cacherait en réalité le refus, par l'exécutif, de l'indépendance de la justice et dit déplorer une occasion manquée et l'absence d'ambition des réformes annoncées qui ne sont pas de nature à permettre à la France de répondre aux exigences européennes d'indépendance de la justice et à rétablir la confiance entre les citoyens et les institutions.