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Torture blanche : Un détenu porte plainte contre le garde des Sceaux

Par CAROLINE REINHART | LEXTIMES.FR |

C’est une première juridique. Un détenu placé à l’isolement depuis 16 mois porte plainte contre Michel Mercier devant la Cour de justice de la République (CJR) pour abus d'autorité, violences et traitements dégradants et inhumains. Un recours rendu possible par l’article 68-2 de la Constitution relatif à la CJR1LexTimes.fr est allé à la rencontre de Me Eddy Arneton, l’avocat à l’origine de la plainte.

  • 1Toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit commis par un membre du gouvernement dans l'exercice de ses fonctions peut porter plainte auprès d'une commission des requêtes. Cette commission ordonne soit le classement de la procédure, soit sa transmission au procureur général près la Cour de cassation aux fins de saisine de la Cour de justice de la République (art. 68-2).

Le détenu en question n’est autre que Teddy Valcy. Le 18 mai 2010, le jeune homme est interpellé avec 13 autres personnes — parmi lesquelles l'islamiste Djamel Beghal, condamné à dix ans de prison pour avoir préparé des attentats en France. Soupçonné de vouloir faire évader Smain Aït Ali Belkacem, l'un des artificiers de la vague d'attentats de 1995 en France, Teddy Valcy est tout de suite placé à l’isolement.

Pour l'administration pénitentiaire, dont l'un des courriers est cité dans la plainte, c'est alors « l'unique moyen » de prévenir « toute velléité d'évasion ». À deux reprises, en mai et août 2011, le garde des Sceaux — saisi, comme la loi l’exige, au bout d’un an d’isolement — décide de prolonger cette mesure à l’encontre de M. Valcy. En cause : sa mise en examen concernant le projet présumé d'évasion de Belkacem. Le ministre met également en avant une tentative d’évasion en 1998 et une évasion remontant à 2000. Mais pour Me Eddy Arneton, l'avocat de M. Valcy, ces deux prolongations sont illégales.

LexTimes.fr : Quels sont les fondements de la plainte de votre client ?
Me Eddy Arneton : En résumé, la plainte de mon client a trois fondements : les violences volontaires, l’abus d’autorité et les traitements inhumains et dégradants. En premier lieu, je considère que mon client subit des violences psychologiques — le droit pénal admet cette infraction. Les deux décisions du ministre de la Justice qui consistent à prolonger l’isolement de mon client constituent des actes de violence. 
L’abus d’autorité est également constitué dans la mesure où il y a atteinte à la présomption d’innocence : pour motiver sa décision, le ministre de la Justice considère que les chefs de mise en examen sont suffisants. Je soulève également l’atteinte à la liberté religieuse puisque mon client ne peut pas l’exercer comme il l’entend. Il pourrait, en théorie, assister à une prière collective une fois par semaine mais la mesure d’isolement rend l’exercice de cette liberté impossible. Concernant les traitements inhumains et dégradants, les personnels soignants qui connaissent l’isolement parlent de « torture blanche ». Ce n’est pas anodin.
Tout cela constitue incontestablement des violences volontaires.

Quel a été votre cheminement pour aboutir à cette plainte contre Michel Mercier ?
J’ai toujours attaqué les décisions qui touchaient à l’isolement de M. Teddy Valcy. Très tôt, j’ai attiré l’attention de M. le juge d’instruction qui m’a renvoyé vers l’administration pénitentiaire, qui seule peut lever l’isolement. Tous les trois mois, une décision de prolongation de l’isolement est prise. J’ai donc attaqué l’administration pénitentiaire devant le tribunal administratif en référé et au fond le 21 avril 2011. En référé, le tribunal administratif m’a répondu que les choses n’étaient pas urgentes puisqu’il était à l’isolement, et qu’il pouvait y rester. L’affaire doit être étudiée sur le fond mais depuis avril 2011, je n’ai pas de date d’audience. 
Au bout d’un an, le ministre de la Justice doit prendre la décision de prolonger ou non la mesure. Sa première décision de prolongation date du 17 mai 2011. J’ai alors écrit au ministre de la Justice le 1er août 2011, en précisant que les chefs de mise en examen ne sont pas suffisants pour maintenir l’isolement, qu’il y a des textes et notamment une circulaire du 24 mai 2006 qui dit bien que l’appartenance au grand banditisme ne peut pas être le fondement d’une telle décision ni les chefs de mise en examen. On ne peut pas non plus se fonder sur un risque d’évasion qui n’est pas étayé. Dans le cas de mon client il n’y a donc pas d’élément pour que l’isolement soit maintenu.

Quels pourraient être, en théorie, ces éléments objectifs et probants justifiant l’isolement ? 
Concernant M. Teddy Valcy, les chefs de mise en examen ne justifient pas une prolongation de l’isolement car c’est comme je l’ai déjà dit une atteinte à la présomption d’innocence et c’est une forme de double peine. Par ailleurs, son passé judiciaire remonte à plus de dix ans d’autant que dans une des affaires il n’y a pas eu condamnation. Des éléments objectifs pourraient être que M. Valcy agresse les surveillants, que son comportement laisse à penser qu’il est un véritable danger… 
Là, j ‘essaie de me placer dans l’esprit de celui qui prend la décision de prolonger ou pas. Mais pour moi, l’isolement ne devrait pas exister.
 

En fait, votre combat est celui-là…
Oui. L’isolement est un acte inhumain : on ne peut pas demander à des individus de se réinsérer dans la société quand on les place dans une maison d’arrêt en les coupant de tout lien social. Cela n’a pas de sens. Mon client doit rester 20 à 22 heures seul dans sa cellule, il a une ou deux heures pour faire une promenade, seul, encore une fois. Nous avons un système carcéral - avec ces mesures pour le moins exorbitantes du droit commun - qui va terriblement à l’encontre des droits de l’homme. L’isolement est une chose inacceptable.

Comment concilier cela avec le risque d’évasion d’un détenu, qui peut être réel ?
Je ne suis pas ministre de la Justice, je ne suis pas en charge de l’administration pénitentiaire. Je suis là en ma qualité d’avocat pour pointer des situations qui me semblent inacceptables. Je considère que les avocats demeurent les derniers remparts des libertés individuelles, notamment en droit pénal. Maintenant vous me demandez comment faire pour éviter les évasions : à mes yeux placer quelqu’un en détention et en maison d’arrêt a déjà pour but d’éviter les évasions… Alors, que le ministère de la justice essaie de trouver des règles pour faire en sorte que les détenus aient toujours un lien social et en même temps se préserver de toute évasion, je lui laisse trouver la solution. J’ai choisi mon métier qui n’est pas celui de ministre de la Justice. Michel Mercier est un ancien avocat, il a décidé d’être ministre de la Justice, qu’il assume entièrement sa charge. 
Quoi qu’il en soit, mon client ne doit pas rester à l’isolement car c’est, d’abord, un acte contraire aux droits de l’homme. Ensuite, nous avons dans ce dossier l’avis du juge d’instruction, interrogé très tôt, il est défavorable à la prolongation de l’isolement. La position du personnel pénitentiaire est tout aussi évocatrice : toutes les personnes qui ont eu des contacts avec M. Valcy ont fait des rapports pour le moins élogieux, parlant de « comportement irréprochable ».
C’est pour cette raison que j’en veux au ministre de la Justice et à la tête de l’administration pénitentiaire qui transmet les informations au ministère. Les gens qui sont en contact avec le dossier (le juge d’instruction, l’avocat), les gens qui sont en contact avec la personne de Teddy Valcy, tous s’accordent à dire qu’il pourrait bénéficier d’une détention ordinaire - alors même que nous savons déjà que la détention est quelque chose de déshumanisant. Et, quelques personnes qui sont dans des bureaux, très loin de Fleury-Merogis - on peut même se demander si elles y sont déjà allés – prennent des décisions ayant un impact sur les individus sans véritablement réfléchir à ce qu’elles font. 
J’ai tenté d’alerter aussi bien l’administration pénitentiaire que le ministère de la Justice par des voies « normales » : par une saisine du tribunal administratif, par des courriers… Dans celui du 1er août au ministre de la Justice, je disais déjà que j’avais l’intention d’agir contre la France. Aujourd’hui lorsque j’agis contre le ministre de la Justice, ce n’est pas une action anormale : j’agis contre la personne qui prend la décision, celle qui est responsable de ce qui est, à mes yeux, une provocation au suicide.

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