UMP-PS : La justice, « usual suspect » d'instrumentalisation politique

La polémique sur une éventuelle instrumentalisation de la justice autour de « l'affaire Jouyet-Fillon » en rappelle de semblables sous la droite, mais renvoie surtout à un péché originel autorisant toutes les suspicions : l'absence d'indépendance du parquet.

Car si le premier ministre Manuel Valls en a appelé mardi « au respect de la justice », la question est récurrente. Eric Alt, ancien magistrat aujourd'hui vice-président de l'association anti-corruption Anticor, résume sur son blog : au-delà d'une « polémique vaudevillesque [...] le scandale est ailleurs : il tient [à son] caractère parfaitement plausible ».

Les procureurs, qui mènent l'accusation mais aussi certaines enquêtes dites« préliminaires » qui peuvent durer des mois, sont en effet nommés en Conseil des ministres et révocables par le garde des sceaux. La France a d'ailleurs été à plusieurs reprises condamnée par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH), qui estime que le parquet ne peut constituer une « autorité judiciaire »en raison de ce statut ne garantissant pas son indépendance. Position qui faisait dire dès 2011 à Jean-Louis Nadal, alors procureur général près la cour de cassation, soit le premier de France, que le parquet était « proche d'un état de coma dépassé ».

Mais depuis, peu a changé. Certes, la gauche s'est engagée lors de l'alternance de 2012, et s'y est tenue, à suivre le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), qui donne sur les nominations de procureurs un avis non contraignant. Certes, une loi a consacré en juillet 2013 « l'indépendance du parquet », interdisant notamment à la Chancellerie de donner des instructions sur des dossiers particuliers. Mais la grande réforme du CSM promise est restée lettre morte, faute de la majorité des trois-cinquièmes requise au Parlement. Et l'indépendance complète des procureurs n'est pas à l'ordre du jour.

« Forcément il y a une suspicion, entretenue à tort ou à raison et qu'il n'y aurait pas si le parquet avait un statut véritablement indépendant », souligne Virginie Duval, présidente de l'Union syndicale des magistrats, largement majoritaire. Mais ce statut de subordination, « personne ne veut le remettre en cause », regrette-t-elle. Et si d'aventure François Fillon avait effectivement sollicité une intervention de l'Élysée pour accélérer les enquêtes sur Nicolas Sarkozy, « il ne se le serait autorisé que parce qu'il y a ce lien hiérarchique ».

Signalement de certaines affaires

Au demeurant, le parquet de Paris a souligné avoir déclenché une enquête préliminaire « au vu des seuls éléments portés à sa connaissance par les commissaires aux comptes de l'UMP ». Le dossier a d'ailleurs depuis été confié à des juges d'instruction, dont l'indépendance est, elle, statutaire. Mais le timing même de cette « prélim' », une semaine après le fameux déjeuner, nourrit les soupçons. D'autant qu'« on sait bien qu'il y a des coups de fil, sans trace au dossier », souligne une source judiciaire.

« Ce lien du parquet avec le pouvoir exécutif est insupportable », abonde Françoise Martres, présidente du syndicat de la magistrature (SM gauche), qui regrette une réforme du CSM « morte et enterrée ». Nicolas Giuglaris de l'Institut pour la justice (classé à droite) penche aussi pour cette indépendance, mais avec des garanties de « contre-pouvoirs », car « certains juges mènent des combats politiques ».

En attendant, chaque côté se renvoie la balle. Car si Nicolas Sarkozy accuse le pouvoir de « vouloir instrumentaliser en permanence la justice », son quinquennat a vu de nombreuses accusations d'interventionnisme. Et les relations de cet avocat de formation avec les magistrats ont toujours été houleuses. Il avait d'ailleurs souhaité supprimer les juges d'instruction...

Après l'alternance, la gauche s'est quant à elle pris les pieds dans certains tapis judiciaires. Christiane Taubira — qui ne s'est pas exprimée sur le dossier Fillon-Jouyet, même si son entourage souligne qu'il « n'y a pas d'intervention, point »— a dû justifier une circulaire de janvier 2014 définissant des critères pour que les parquets « signalent » des affaires à la Chancellerie, personnalités ou« médiatisation possible » notamment.

Et en mars elle avait assuré avoir appris l'existence d'écoutes de Nicolas Sarkozy dans la presse, avant d'être corrigée par Jean-Marc Ayrault, alors premier ministre, qui avait assuré être au courant des écoutes mais pas de leur contenu. Affirmation mise à mal lorsque la ministre avait brandi devant les caméras des documents synthétisant... certaines de ces écoutes.