Verbatim : Interview de Jean-Jacques Urvoas sur France Inter

Léa Salamé : Merci d’être là. Amateurisme, fiasco, bérézina, vous choisissez quoi comme mot ?
Jean-Jacques Urvoas : Respect de la Constitution.
Ouf ! Pardon.
Oui. 1958, le texte de la Constitution a été bien écrit. Qu’est-ce qu’il prévoit dans l’article 89 ? Il prévoit que c’est le Parlement qui procède à la révision de la Constitution et qu’il faut une majorité des trois cinquièmes. Quand le président de la République constate que le Parlement n’est pas capable de se mettre d’accord il a raison d’arrêter.
Trois mois, 63 heures de débat pour réaliser que vous aviez le choix entre rompre entre l’égalité des citoyens ou alors créer des apatrides, ce n’est pas un peu long ?
Trois mois pour démontrer une détermination face au péril qui nous a frappés à deux reprises pendant l’année 2015. Parce que c’est de ça dont il était question. Ce débat il vient d’où ? Il vient du fait que la France a été face à son avenir, face à un horizon qui s‘est appelé le terrorisme et dans lequel il fallait manifester la capacité à tenir la barre, à rassembler le pays. C’est ce que le président de la République a fait. C’est ce à quoi j’avais contribué comme président de la Commission des lois à l’Assemblée nationale. C’est ce que l’Assemblée nationale avait réussi puisqu’il y a eu un texte au 3/5ème. Et ça je trouve que c’est un fait qui est passé sous silence aujourd’hui, on a oublié que le texte de l’Assemblée nationale avait réuni au-delà de la droite et la gauche, le Sénat a fermé…
A quel prix, monsieur Urvoas, trois mois de division de votre camp ! Jean-Christophe Cambadélis qui présente ses excuses en accusant la droite ! Est-ce que c’est pas facile de rejeter vos propres turpitudes sur la droite ?
Je ne rejette rien sur personne, je fais les constats. Le constat c’est qu’il n’y a pas la droite et la gauche dans cette affaire. Il y a l’Assemblée nationale et le Sénat. Quand les deux chambres ne se mettent pas d’accord alors cela veut dire qu’il n’y aura pas de révision. Il fallait dépasser les postures, il fallait chercher un rassemblement. L’Assemblée l’avait trouvé, le Sénat l’a refusé. Constatons-le. Maintenant ce qui compte c’est que nous continuons, il faut continuer à rassembler, il faut continuer à agir sur le terrorisme. On a eu les informations, y compris ce matin, que nous sommes passés à côté d’un attentat. Saluons d’abord les services de police qui ont su le déjouer, on leur reproche tellement d’être inefficaces, là ils ont été utiles. Maintenant moi comme Garde des Sceaux, quelle est ma responsabilité ? Faire en sorte que les juges, que les Procureurs puissent avoir les moyens de travailler. Or pour le moment la justice française est sinistrée, et mon travail à moi dans la responsabilité qu’on m’a donnée, pour le 13 mois qui viennent, c’est de donner des moyens à la justice pour qu’elle soit efficace.
Christiane Taubira, votre prédécesseuse, s’est félicitée dans un message sur Facebook hier de « la fermeture d’une douloureuse parenthèse, nous revoilà libres ensemble » a-t-elle écrit. Elle a eu raison finalement de claquer la porte, quand on voit le dénouement ?
Je ne suis pas un commentateur, je n’ai pas été nommé pour commenter, j’ai été nommé pour agir. J’étais hier au Sénat, pendant que cela se passait, pour construire justement un texte sur la réforme pénale, pour permettre qu’il y ait de nouveaux outils pour les procureurs pour qu’ils continuent leurs investigations en garantissant les justiciables. Moi j’espère que tout le monde va se rassembler sur ce texte, on en parle peu, mais ça va être les outils de demain pour combattre le terrorisme ; et ce texte à l’Assemblée il a fait, pardon Léa Salamé, il a fait 474 voix, il y a eu 32 voix contre. J’espère que nous aurons le même rassemblement au Sénat.
On va en parler mais d’abord François Hollande a donc décidé de clore le débat constitutionnel….
Sur la déchéance de la nationalité…
Justement, est-ce que ça veut dire que la réforme du Conseil supérieur de la magistrature que vous deviez présenter à l’Assemblée nationale, dont le texte devait revenir à l’Assemblée nationale le 6 avril, est-ce qu’il est maintenu ou est-ce qu’il part avec l’eau du bain, il n’y a pas de réforme du CSM qui est très attendue par les magistrat ?
Précisons ce qu’est le CSM. Le CSM c’est le Conseil supérieur de la magistrature. De quoi parlons-nous ? De l’indépendance de la justice. Moi comme Garde des Sceaux, j’ai la possibilité de nommer qui je veux comme procureur. Qui je veux. Eh bien il faut arrêter cela ; je ne le fais évidemment pas. Il y a une instance qui s’appelle le Conseil supérieur de la Magistrature qui fait des vœux. Moi je souhaite que les décisions du CSM deviennent la norme dans la constitution.
Pour consacrer cette indépendance du parquet…
Pour garantir que les juges puissent agir sans influence politique.
Il faut réformer la Constitution. Est-ce qu’elle sera réformée ou pas ?
Oui, mardi prochain je défendrai à l’Assemblée nationale un texte qui a déjà été voté par le Sénat, voulu par la droite au Sénat. Cet après-midi je serai déjà au Sénat mais sur la réforme pénale, mardi j’appellerai les députés Les Républicains à refuser l’influence politique sur les magistrats ; je les appellerai à rompre le lien entre la politique et la justice ; je les appellerai à voter l’indépendance de la justice. Je pense que je vais y réussir. Pourquoi ? Eh bien parce que monsieur Juppé, dont je viens d’entendre par monsieur Thomas Legrand, qu’il était l’un des prétendants à la fonction présidentielle, a écrit un livre, que j’ai lu ce week-end, et à la page 229 je lis « il faut rompre le lien entre le pouvoir politique et les juges ». Quand j’écoutais Nicolas Sarkozy en janvier 2012 devant les hautes juridictions, il disait « il faut rompre le lien ». Quand Messieurs Sarkozy et Juppé proposent, j’imagine que les députés Les Républicains vont rompre ce lien et voteront mon texte.
Donc vous dites ce matin que si le même texte est voté à l’Assemblée nationale que le texte voté au Sénat il y aura un Congrès à Versailles pour réformer la Constitution pour inscrire l’indépendance…
Je vous ai dit que l’article 89 prévoyait qu’il fallait que l’Assemblée nationale et le Sénat aient voté le même texte et qu’ensuite on aille à Versailles pour obtenir la majorité des trois cinquièmes. Ce pas est fait au Sénat, le texte existe, l’Assemblée nationale va le reprendre, si elle le vote, évidemment je plaiderai pour que nous allions à Versailles.
Donc le débat constitutionnel n’est pas totalement clos comme a dit le président de la République hier…
Pas sur l’indépendance de la magistrature, oui.
Celle-là non plus n’est pas enterrée, donc le projet de réforme de procédure pénale que vous défendez, qui a été votée, comme vous l’avez souligné, très largement à l’Assemblée nationale, il est actuellement au Sénat, Nathalie Kosciusko-Morizet défend l’idée d’une perpétuité réelle pour les terroristes, est-ce que c’est une bonne idée ?
Elle aurait dû venir dans les débats de l’hémicycle, le 8 mars, puisque ce sujet a été posé par un député Les Républicains, Guillaume Larive qui a proposé que nous passions la période de sûreté, c'est-à-dire une période pendant laquelle il ne peut pas y avoir un aménagement de peine, de 22 ans à 30 ans. J’étais représentant du Gouvernement évidemment, j’ai donné mon accord, pourquoi ? Parce qu’il faut durcir un certain nombre de conditions. Il ne faut pas agiter des chimères. Madame Kosciusko-Morizet aurait dû réfléchir à deux fois. La première, elle devrait dire qu’aujourd’hui on peut être en prison en France sans avoir de perspective de sortie, y compris pour le terrorisme. Georges-Ibrahim Abdala, qui est un terroriste, a été condamné en 1987 à la perpétuité, il a demandé à neuf reprises une libération conditionnée, il est toujours en prison parce que les juges, en qui il faut avoir bien sûr du respect mais surtout de la confiance, ont refusé. Ce que nous avons fait à l’Assemblée, et ce que je ferai cet après-midi au Sénat, nous durcissons, nous interdisons les aménagements de peine. Donc madame Kosciusko-Morizet aurait dû venir participer au débat plutôt que de faire référence à des éléments qu’elle ne maîtrisait pas.
Jean-Jacques Urvoas, votre collègue au gouvernement Patrick Kanner, le ministre de la Ville, avait-il raison de dire qu’il y a des centaines de Molenbeek en France ?
Je n’en sais rien. Moi dans la responsabilité qui est la mienne, je suis dans mon couloir de nage, donc je m’occupe ce dont je dois m’occuper. Mon travail à moi c’est les moyens de la justice, le fonctionnement des enquêteurs, la capacité d’action. Je ne suis pas ministre de la Ville. S’il l’a dit c’est qu’il a des raisons de le dire.
La réforme de la justice des mineurs – à laquelle tenait tant Christiane Taubira – est-ce qu’elle est abandonnée ?
Non, mais rien n’est jamais abandonné, simplement j’ai 14 mois, maintenant j’en ai même plus que 13…
Et vous la proposez quand alors si elle n’est pas abandonnée ? Vous la mettez quand, à l’ordre du jour ?
Mon sujet aujourd’hui, quand j’ai été nommé, je l’ai dit en présence de tous ceux qui ont bien voulu m’écouter : j’ai 13 mois avec un texte, un seul texte qui m’intéresse, la loi de finances. Parce que je ne veux pas voter des réformes qui n’ont pas les moyens d’être appliquées. Quand ce sont des droits de papier qui ne sont pas des droits concrets, alors ce n’est pas une bonne activité. Moi j’ai une justice aujourd’hui qui est sinistrée, toutes les juridictions que je visite sont sinistrées. Il y a …
Combien vous allez obtenir dans ce vote significatif, combien vous voulez ?
Beaucoup. Beaucoup.
Ça veut dire quoi en chiffre, qu’est-ce que vous dites à monsieur Macron, combien vous lui demandez de donner ?
Ce n’est pas monsieur Macron c’est monsieur Eckert, et je le vois demain matin. Je lui dis d’abord que avant la fin de l’année il faut me donner de l’argent parce que j’ai des dettes, je ne peux pas payer… je ne peux pas vous dire combien parce que ça voudrait dire que ma prétention est limitée, or ma prétention est extrême parce que j’ai des besoins extrêmes. Vous avez aujourd’hui des associations, vous avez des experts que la justice sollicite ; on ne les paye pas. Je ne paye pas mes dettes à la sécurité sociale. L’administration pénitentiaire ne paye pas ses cotisations. C’est quand même incroyable ! La justice n’est pas solvable.
Donc vous ne voulez pas nous dire combien vous allez demander d’augmentation du budget de la justice pour créer notamment 12 000 places de prison….
Non, parce que j’en veux beaucoup, j’en veux beaucoup. Il y a 4 millions de Français qui vont dans des palais de justice tous les ans, il faut qu’ils soient bien accueillis et que la justice fonctionne bien. Elle n’a pas les moyens aujourd’hui de bien fonctionner, la justice est sinistrée, il faut qu’on m’aide.
Le message est passé.