Zoom sur... : Bertrand Dacosta, rapporteur public au Conseil d'État

Bertrand Dacosta. Coll. pr.

Avant d’être nommé rap- porteur public le 1er janvier 2008, Bertrand Dacosta était, jusqu’en 2003, chargé de mission au secrétariat général du Gouvernement. En septembre de la même année il fut ensuite nommé membre du Conseil d'État en tant que maître des requêtes. Aujourd’hui, à 47 ans, cela fait quatre ans qu’il est rapporteur public au Conseil d'État. Pour LexTimes.fr, il évoque son métier plein d’enjeux…

LexTimes.fr : Comment devient-on rapporteur public au Conseil d'État ?
Bertrand Dacosta : Les rapporteurs publics sont choisis parmi les « jeunes »membres du Conseil d'État. C’est-à-dire parmi ceux qui soit y sont entrés comme auditeurs à la sortie de l’ENA [École nationale d’administration, ndlr], soit y ont été nommés comme maître des requêtes quelques années plus tard et qui ont au moins trois ou quatre années d’expérience en tant que rapporteur. On prend donc les vingt rapporteurs publics, parmi les rapporteurs du Conseil d'État qui manifestent un goût particulier pour la discipline contentieuse.

Jusqu’en janvier 2009, l’ancienne appellation était « commissaire du gouvernement », pourquoi un changement ?
Dans l’esprit du public non averti du fonctionnement de la juridiction administrative, les mots « commissaire du gouvernement » laissaient supposer que la personne qui prenait la parole en public n’était pas un magistrat indépendant mais le représentant du gouvernement, donc était là pour défendre ses thèses. 
Ce n’était pas le cas mais, par exemple, lorsque des articles de journaux faisaient état des conclusions du commissaire du gouvernement, les journalistes se croyaient systématiquement obligés d’ajouter que celui-ci ne représentait pas le gouvernement. De plus, la Cour européenne des droits de l’homme, particulièrement sourcilleuse sur la théorie des apparences, aurait pu estimer que l’appellation de commissaire du gouvernement pouvait faire naître un doute sur son impartialité. Donc au bout de plus d’un siècle et demi, l’appellation a été changée sans bien sûr changer en rien les fonctions réellement exercées par les intéressés.

Comment présente-t-on sa « candidature » ?
On n’est jamais nommé rapporteur public contre son gré, mais il n’y a pas de procédure formalisée par laquelle on présenterait sa candidature. Le choix est effectué par le président de la section du contentieux. Ceux qui aspirent à exercer cette fonction peuvent lui demander s’ils ont des chances ou non d’être nommés à ces fonctions. Mais l’initiative peut également venir du président de la section du contentieux, qui indique à un rapporteur qu’il le verrait bien exercer ces fonctions-là. C’est très informel.

Était-ce votre objectif en entrant au Conseil d'État ?
Devenir rapporteur public ne peut pas être un but quand on entre au Conseil d'État, car à ce stade-là il est un peu difficile de savoir si on aura le goût et l’envie d’exercer ces fonctions. Mais au bout de quelques années, une telle nomination peut devenir un objectif d’évolution de carrière au sein de l’Institution. Cela a été mon cas.

Quelles sont vos missions, en quoi consiste votre travail quotidiennement ?
Je prends la parole publiquement lors des audiences de jugement, sur chacun des dossiers qui vient devant le Conseil d'État, pour exprimer un avis sur la solution juridique à apporter au litige dont la juridiction est saisie.
Concrètement je suis amené à prononcer des conclusions sur environ trois cents affaires par an. Mon travail au quotidien, c’est de prendre connaissance des dossiers qui arrivent jusqu’à mon bureau et pour chacun d’entre eux, d’examiner les questions de droit qu’il pose. Soit les questions qui sont directement posées par les requérants soit éventuellement les moyens d’ordre public que le juge doit soulever d’office même si le requérant n’y pense pas. Mon travail consiste donc à analyser les questions posées par le dossier. C’est également analyser les enjeux qu’il y a derrière, examiner si à ces questions, des réponses ont déjà ou non été apportées par la jurisprudence. Ensuite, soit on se coule dans le moule de la jurisprudence antérieure, soit on propose une solution nouvelle s’il n’y a pas de jurisprudence. Le rapporteur public peut aussi, proposer une inflexion ou une modification de la jurisprudence s’il apparaît qu’elle n’est plus tout à fait pertinente.

Qu’appréciez-vous dans ce métier ?
La totale indépendance d’esprit dans laquelle il est exercé. Les rapporteurs publics ont pour mission d’exprimer en leur âme et conscience la solution qu’appelle selon eux en droit le litige qui leur est soumis. L’intérêt du métier c’est aussi la très grande variété et souvent la très grande complexité des dossiers traités et donc c’est extrêmement stimulant sur un plan purement intellectuel. Mais derrière il y a des enjeux concrets qui sont souvent très importants, c’est donc l’articulation entre une réflexion juridique d’un côté et puis des enjeux pratiques, des personnes qui sont derrière, soit des personnes morales, soit des personnes physiques. Nous sommes là pour contribuer à apporter des réponses à des contentieux existants, pendants devant la juridiction administrative, que nous nous employons à résoudre au mieux.

Quelles sont les qualités requises pour être rapporteur public ?
Le rôle du Conseil d'État est de rendre la justice sur des affaires qui lui sont soumises. Le rapporteur public, étant le seul qui prend la parole, en émettant son point de vue en droit sur la question qui est posée, est un peu la voix du Conseil d'État, la voix de l’Institution par rapport à l’extérieur, par rapport aux parties tout d’abord, à la doctrine ensuite. Cela nécessite de faire preuve de clarté, de pédagogie, d’examiner dans la mesure du possible tous les tenants et aboutissants d’une affaire, les solutions possibles, c’est être le plus éclairant pour les parties et pour les tiers sur les raisons pour lesquelles telle ou telle solution juridique est proposée au litige, sachant évidemment que le rapporteur public n’est pas toujours suivi par la formation de jugement.

Justement, comment analysez-vous le fait que votre avis ne soit pas toujours suivi ?
Si les conclusions sont conformes à la décision qui est finalement rendue, elles sont en quelque sorte le mode d’emploi ou l’éclairage de la décision. Dans le cas contraire, elles permettent aussi de montrer que d’autres pistes étaient possibles.
Le droit n’est pas une science mathématique, il n’y a pas à chaque question juridique posée une seule solution envisageable. Parfois c’est le cas mais il y en a souvent deux, parfois davantage et généralement dans leurs conclusions, les rapporteurs publics examinent les différentes solutions possibles et expliquent les raisons pour lesquelles ils privilégient telle ou telle d’entre elles plutôt que les autres. Il y a toujours du pour et du contre, le droit n’est pas une science exacte. Le rapporteur public qui propose une solution et qui voit ensuite que ce n’est pas celle retenue par la formation de jugement ne le ressent pas normalement comme une remise en cause personnelle mais comme une analyse juridique différente de celle qui a été la sienne.