Théâtre : Gisèle Halimi, Une farouche liberté

« Gisèle Halimi, Une farouche liberté », d'après le livre éponyme d'Annick Cojean (Grasset, août 2020, 160 p., 14,90 €). Mise en scène par Léna Paugam. Avec Ariane Ascaride/Philippine Pierre-Brossolete (Gisèle Halimi). À la Scala
Petit génie au quotient intellectuel nettement supérieur à 130 né en Tunisie en 1927 dans un corps de fille au sein d’une famille juive ultra-orthodoxe qui, de surcroît, voulait un autre garçon et non d’une fille dont le père dissimulera d'ailleurs la naissance pendant plusieurs semaines, la petite Zeiza Taïeb — devenue Gisèle Halimi après son mariage en secondes noces avec Paul Halimi en 1949 —, mal-aimée par sa mère et à peine tolérée par son père, va très vite se rebeller contre la condition féminine de l’époque et faire la grève de la faim, à dix ans, pour conquérir son « droit à la lecture » et, à treize ans, pour ne plus avoir à faire « le lit de son frère » ni servir les mâles à table ni se consacrer aux tâches ménagères dont ses frères, à l’intelligence plus que moyenne voire nulle, étaient dispensés.
Avocate à 22 ans, Gisèle Halimi épousera la cause des militants tunisiens et algériens indépendantistes qu’elle défendra avec toutes ses tripes et en métropole, non seulement elle signera le « Manifeste des 343 » rédigé par Simone de Beauvoir et publié dans le Nouvel Observateur du 5 avril 1971 mais elle sera également le porte-voix des quatre accusées du procès dit de Bobigny dont elle obtiendra la relaxe pour trois d’entre elles et du sursis pour la quatrième (la mère de la gamine de 16 ans violée et poursuivie par le violeur pour avoir avorté).
De tous les combats féministes et politiques qui lui tiennent ardemment à cœur, loin de prendre du recul comme il sied à un bon avocat, elle s’identifiait en effet complètement et totalement, corps et âme, à ses clients pour mieux comprendre leurs besoins et, à ce titre, elle ne put prononcer qu’à contrecœur le serment d’avocat et était même critiquée par certains de ses pairs qui n’apprécièrent guère la féminisation avant l’heure du mot « avocat » en « avocate » qu’elle fit figurer, dès 1949, sur son papier à lettres et cartes de visite.
De cette vie extraordinairement riche et intense, Annick Cojean, journaliste et grand reporter au Monde, en a recueilli la quintessence au cours de plusieurs entretiens qui se sont déroulés il y a environ 35 ans et qui n’ont été publiés que quelques jours après le décès de Gisèle Halimi, sous le titre « Une farouche liberté » et l’idée de son adaptation théâtrale a germé dans la tête de Philippine Pierre-Brossolette laquelle soumise à Léna Paugam n’a pas dit non malgré, dit-elle, « la surcharge de travail à laquelle elle devait faire face cet automne ».
Du brouillon préparé par Philippine Pierre-Brossolette avec Agnès Harel, bien que « entièrement retravaillé », Léna Paugam a gardé cette narration à deux voix, deux Gisèle Halimi, une jeune et une plus âgée, et lui a donné cette dramaturgie reposant sur un jeu de collages qui déconcerte un peu beaucoup pendant les premières minutes mais lui donne un excellent rythme qu'il aurait sans doute été impossible d'obtenir avec un monologue.