Théâtre : Le cas Eduard Einstein

« Le cas Eduard Einstein », d'après le roman éponyme (Flammarion, Paris, août 2013, 304 p.) de Laurent Seksik. Mise en scène par Stéphanie Fagadau. Avec Michel Jonaz (Albert Einstein), Hugo Becker (Eduard Einstein), Josiane Stoléru (Mileva Einstein), Pierre Bénézit (Franz Heimrat), Amélie Manet (Wendy) et Jean-Baptiste Marcenac (John Sturcon). À la Comédie des Champs-Élysées
Nous sommes en 1932. Mileva Einstein conduit à la clinique psychiatrique du Burghözli à Zurich, en Suisse, son fils Eduard, 22 ans, qu'elle élève seule depuis sa petite enfance après le départ pour Berlin, en 1914, de son mari qui s’en alla rejoindre sa cousine Elsa qu’il épousera, en 1919, après leur divorce. En ces temps troubles des années 30, après de brefs adieux à son fils qu’il laissera à son sort, Albert Einstein préférera, lui, s'exiler aux États-Unis, à Princeton, pour sauver sa peau et poursuivre ses travaux.
Entre deux crises de schizophrénie, d’injections d’insuline et de traitements de choc, dans une petite chambre minuscule au confort spartiate d’un asile qui pourrait tout aussi bien être celle d’une prison, Eduard se raconte, le plus souvent à lui-même, avec une intelligence que l’on suppute bien supérieure à la moyenne et une étonnante lucidité désarmante. Adaptée du roman éponyme de Laurent Seksik publié en 2013, Stéphanie Fagadau nous fait ainsi découvrir avec cette pièce « le cas Eduard Einstein » la vie méconnue du second fils de Mileva et Albert Einstein qui, incapable de se faire un prénom ou une place entre deux géniteurs hors du commun, a fini, à l’instar de sa tante maternelle Zorka et à peine sorti de l’adolescence, parmi les « fous ». Seul et délaissé de tous, il deviendra le jardinier de la clinique du Burghölzli aussitôt qu’insuline et traitements auront petit à petit produit tous leurs pleins effets et annihilé toute résistance à sa déchéance.
« Mon fils est le seul problème qui demeure sans solution », écrira Albert Einstein en exil mais comment ce génie mondialement reconnu a-t-il pu abandonner si facilement cet enfant à son triste et terrible sort est la question que pose et à laquelle tente de répondre l’auteur en exhumant et en donnant la parole à ce fils oublié qui dévoile un drame fort intimiste sur fond de tragédie de l’entre-deux-guerres. Mais pas que, différent des autres, hier comme aujourd’hui encore, on est toujours le noir ou le juif de quelqu’un, y compris de ses propres parents juifs ou noirs. Au décès de son père, en 1955, que lui apprend Heimrat, le surveillant de l’asile, Eduard ne ressent absolument rien pour ce « père » complètement disparu, pour lui, déjà 20 ans plus tôt et avec qui il ne partage que le nom.
En Albert Einstein, Michel Jonasz est exceptionnel de ressemblance mais c’est incontestablement Hugo Becker, en Eduard, qui mérite la palme dans ce formidable rôle de composition où il parvient, avec ses mimiques, à interpréter, avec une parfaite justesse, tous les degrés de la folie et du désarroi.