Théâtre : Qui a peur de Virginia Woolf ?

« Qui a peur de Virginia Woolf ? », d'après la pièce « Who is afraid of Virginia Woolf ? » (1963) d'Edward Albee (1928-2016), traduction de la dernière version retouchée par l'auteur de Daniel Loayza. Mise en scène par Panchika Velez. Avec Frédérique Lazarini (Martha), Stéphane Fiévet (George), Agnès Miguras (Honey) et Aurélien Chaussade (Nick). Au théâtre 14
Dans un campus américain des années 60, après une réception bien arrosée donnée par son père qui assure la direction d’une petite université de la Nouvelle-Angleterre, Martha, la cinquantaine bien marquée mais presque toujours aussi belle et attirante, et son mari de six ans son cadet, George, un professeur d’histoire aussi insignifiant que quelconque, sont mariés depuis une bonne vingtaine d’années et se retrouvent à deux heures du matin dans leur maison de fonction où Nick, un tout jeune professeur de biologie opportuniste, et sa femme, Honey, aussi angélique que sotte et hystérique mais (également) fort riche, sont attendus à cette heure tardive pour prendre un ultime verre qui sera suivi de bien d’autres.
Jeu pervers ou réalité profonde, c’est pendant toute la nuit ou presque, au fur et à mesure que les bouteilles de brandy et de whisky se vident les unes après les autres, que Martha et George vont se livrer ensemble ou successivement à un déballage de leurs rancœurs présumées enfouies ou oubliées et à des scènes à n’en plus finir d’une violence extrême mais aussi de séduction calculée pour amener le jeune couple à prendre parti pour mieux le déstabiliser dans cet effet miroir qui leur renvoie les failles et faiblesses de leur propre couple et de ce qu’il sera dans quelques années. Vivre ensemble par amour, haine et surtout intérêt.
Soixante ans plus tard, la pièce n'a pas pris une seule ride. En Martha, Frédérique Lazarini est assez sublime et nous rappelle, à la fois, physiquement et dans ses excès verbaux, la non moins sublime Elizabeth Taylor qui a immortalisé le rôle (1966, Mike Nichols) sur le grand écran, aux côtés de celui qui était à l’époque son mari sur scène et en ville, Richard Burton.
Mais que diable vient faire Virginia Woolf là-dedans, vous demandez-vous sans doute. Et bien, dans la pièce, George et Martha chantonnent, à plusieurs reprises, pour se faire « peur » l’un l’autre, Qui a peur de Virginia Woolf ? sur l’air de « Qui a peur du grand méchant loup ? » (Who’s Afraid of Big Bad Wolf), la chanson enfantine tirée du dessin animé de Walt Disney Les trois petits cochons (1933, Three Little Pigs). Interrogé à plusieurs reprises à ce sujet, Edward Albee expliquait que le choix du titre pouvait être interprété comme « Qui a peur de vivre une vie sans illusions ? ».