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Indépendance : Le Conseil d’État au secours de la Cour de cassation

Par Nicolas de Will | LEXTIMES.FR |
L'indépendance de la Cour de cassation préservée par le Conseil d'État. L'indépendance de la Cour de cassation préservée par le Conseil d'État.

Sur le recours de plusieurs syndicats et associations demandant l’annulation du décret du 5 décembre 2016 créant l’inspection générale de la justice (IGP) et l’arrêté du garde des sceaux précisant ses modalités d’organisation et ses missions, le Conseil d’État a validé la création de l’IGP mais estime toutefois qu’elle ne peut, en l’état des garanties existantes, contrôler la Cour de cassation et annule donc le décret sur ce point.

Plusieurs syndicats et associations, représentant notamment des magistrats, avaient en effet demandé au Conseil d’État d’annuler le décret n° 2016-1675 du 5 décembre 2016 portant création de l’inspection générale de la justice et qui institue, auprès du garde des sceaux un service d’inspection regroupant les différentes inspections qui existaient jusqu’alors au ministère de la justice. Certains d’entre eux ont également demandé l’annulation de l’arrêté du même jour du garde des sceaux précisant les modalités d’organisation de cette inspection et ses missions.

Les requérants estimaient qu’une telle inspection, dans la mesure où elle était rattachée au garde des sceaux, c’est-à-dire placée sous son autorité, méconnaissait le principe de séparation des pouvoirs et portait atteinte à l’indépendance de l’autorité judiciaire, en particulier s’agissant de la Cour de cassation, cour suprême de l’ordre judiciaire.

Le Conseil d’État1  fait partiellement droit à ces demandes en ce qui concerne le décret, et écarte l’ensemble de l’argumentation des requérants concernant l’arrêté.

Si la haute juridiction administrative admet le principe d’une inspection chargée d’évaluer et de contrôler l’activité des juridictions judiciaires que ni les principes de séparation des pouvoirs et d’indépendance de l’autorité judiciaire ni le droit à un tribunal indépendant et impartial « n’interdisent par principe qu’un service d’inspection appelé à contrôler ou à évaluer l’activité des juridictions judiciaires soit placé auprès du ministre de la justice », le Conseil d’État considère qu’un certain nombre de conditions doivent être remplies pour que la création d’un tel service soit « légale », conditions tenant à sa composition et au statut de ses membres, à son organisation ainsi qu’aux conditions et aux modalités de son intervention, précisant que ses investigations ne doivent pas le conduire « à porter une appréciation sur un acte juridictionnel déterminé » et estimant que n’est pas interdite la présence, au sein d’un tel organe, d’inspecteurs extérieurs à la magistrature judiciaire justifiant « de qualifications adéquates », dès lors que les investigations portant sur le comportement d’un magistrat sont conduites par un inspecteur ayant lui-même cette qualité et que celles qui portent sur l’activité juridictionnelle d’une juridiction le sont sous l’autorité directe d’un tel inspecteur.

Le Conseil d’État a ensuite vérifié que le service d’inspection mis en place par le décret et l’arrêté attaqués remplit ou non les conditions par lui précisées. Pour ce qui est de la composition de l’inspection générale de la justice et le statut de ses membres, le juge suprême administratif relève que tous les membres de l’inspection générale n’ont pas la qualité de magistrats mais le décret prévoit toutefois que seuls des inspecteurs généraux et inspecteurs ayant la qualité de magistrat peuvent conduire les inspections et contrôles de juridictions de l’ordre judiciaire et des enquêtes portant sur le comportement professionnel voire personnel d’autres magistrats, interprétant le texte du décret comme signifiant que l’un des inspecteurs généraux ou inspecteurs doit avoir un rang au moins égal à celui du magistrat concerné. Il souligne que ces inspecteurs généraux et inspecteurs ayant la qualité de magistrat bénéficient des garanties d’indépendance offertes par le statut de la magistrature, auquel ils sont soumis, et que, en vertu de la loi organique du 8 août 2016, les magistrats nommés à l’inspection générale le sont par le garde des sceaux après avis du Conseil supérieur de la magistrature (CSM).

Pour ce qui est de l’organisation et les modalités d’intervention de l’inspection, le Conseil d’État relève notamment que si le décret attaqué prévoit que le ministre arrête le programme annuel des missions de cette dernière sur proposition du chef de l’inspection, il précise également que le ministre ne peut s’immiscer dans la répartition de ces missions entre ses membres ou dans la définition de la méthode selon laquelle elles sont conduites. Il note également que le décret précise que l’inspection arrête librement ses constats, analyses et préconisations et, qu’ainsi, elle ne saurait recevoir aucune instruction du garde des sceaux dans l’exercice de ces missions. Il relève aussi que si le ministre peut déclencher une enquête non prévue dans le programme annuel, l’inspection peut de son côté également décider d’elle-même de diligenter toute enquête ou contrôle, y compris sur la manière de servir d’un magistrat. Enfin, le Conseil d’État rappelle que ces enquêtes et contrôles sont par eux-mêmes sans effet sur la situation des magistrats concernés, toute mutation et toute sanction disciplinaire faisant intervenir le CSM.

Quant à l’arrêté qui précise les modalités d’organisation de l’inspection et ses missions, le Conseil d’État juge qu’il apporte des garanties suffisantes s’agissant du caractère contradictoire des enquêtes et du respect de l’indépendance de l’autorité judiciaire. Eu égard à tous ces éléments, relatifs tant aux garanties dans l’organisation de l’inspection elle-même qu’à celles dont disposent les magistrats faisant l’objet d’une inspection, le Conseil d’État juge que les textes régissant l’inspection générale de la justice ne portent pas atteinte aux principes de séparation des pouvoirs et d’indépendance de l’autorité judiciaire ni au droit à un procès équitable, en ce qui concerne les juridictions judiciaires du premier et du second degré.

Le Conseil d’État annule toutefois l’article 2 du décret en tant qu’il inclut la Cour de cassation dans le champ de la mission de cette inspection générale. Il s’agissait d’une innovation du décret attaqué, souligne le communiqué, les précédents décrets de 1965 comme de 2010, qui instituaient déjà un service d’inspection auprès du ministre de la justice, avaient prévu que ces services n’étaient pas compétents pour inspecter la Cour de cassation. Le Conseil d’État censure donc cette innovation au motif que « eu égard à la mission particulière confiée par le législateur à la Cour de cassation, placée au sommet de l’ordre judiciaire, et aux rôles confiés par la Constitution à son premier président et à son procureur général, notamment à la tête du CSM chargé d’assister le président de la République dans son rôle de garant de l’autorité judiciaire, le décret attaqué ne pouvait inclure la Cour de cassation dans le champ des missions de l’inspection générale sans prévoir de garanties supplémentaires relatives en particulier aux conditions dans lesquelles sont diligentées les inspections et enquêtes portant sur cette juridiction ou l’un de ses membres ». L’Union syndicale des magistrats (USM) se félicite de cette censure qu’il réclamait.

 

  • 1CE, 23 mars 2018, n° 406066, 406497, 406498 et 407474, syndicat Force ouvrière Magistrats (FO Magistrats), syndicat Alliance des professionnels de santé (APS), Mouvement des libérés et Union syndicale des magistrats (USM) c/ premier ministre et ministère de la justice.

Commentaires

Monsieur Patrick POIRRET, inspecteur général, chef de l'inspection générale de la justice, Et membres, L'arrêt du conseil d'Etat du 23 mars 2018, ayant partiellement fait droit aux demandes des requérants contre le décret, et écarté l'ensemble de leurs argumentations quant à l'arrêté - tout en gardant effective la non-séparation des pouvoirs vu que la ministre de la justice et donc des juges relevant de l'autorité judiciaire est partie au pouvoir exécutif -, laisse manifestement mon signalement du 30 janvier 2017 en suspens dans l'attente d'un certain nombre de conditions qui "doivent être remplies pour que la création d’un tel service (sic) soit « légale », conditions tenant à sa composition et au statut de ses membres, à son organisation ainsi qu’aux conditions et aux modalités de son intervention". Ma demande porte...

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